"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Bien souvent Jean Teulé dans ses romans nous régale avec sa truculence et son verbe très imagé. L’adaptation en roman graphique, par Jean-Luc Cornette et Jürg, de son roman de Fleur de Tonnerre paru en 2013 chez Julliard, ne fait pas exception à cette règle et nous narre l’histoire romancée d’Hélène Jégado, présentée à raison comme la plus grande tueuse en série française.
Cette femme, fille de Jean et Anne Jégado, est née dans le Morbihan en 1803 et commence son « apprentissage » inconsciemment quand sa mère lui interdit de ramasser des baies de belladone alors qu’elles se promènent sur la lande. Très rapidement la jeune Hélène comprend l’intérêt de certaines plantes pour se débarrasser des situations qui lui posent un problème. Sa mère sera son premier essai, transformé, grâce à une soupe aux herbes dans laquelle baigneront quelques baies.
Veuf et sans argent, le père d’Hélène se voit contraint de placer Hélène chez le curé de Bubry où sa marraine travaille déjà comme bonne. C’est en allant chercher, à la demande du curé, chez le pharmacien du bourg du produit pour tuer les rats dans la grange, que la jeune fille découvre les propriétés étonnantes de l’arsenic. Très rapidement les rats continuent à pulluler alors que sa marraine meurt en mangeant un gâteau. Il est vrai qu’au fur et à mesure, Hélène devient une cuisinière émérite qui n’a aucun problème à retrouver une place malgré le nombre de morts qui gravitent autour d’elle. Les médecins penseront pendant plus à une épidémie de choléra qu’à la possibilité qu’une empoisonneuse en série sévisse dans la région.
Quel régal que cet album qui nous fait osciller entre effroi et horreur selon les situations comme celle du bateau pillé et étonnement puis sourire tellement cette histoire nous paraît abracadabrantesque. Et dire qu’il faudra que cette femme finisse par travailler dans des milieux plus éclairés pour que ses actes soient mis à jour par un médecin et un professeur de droit.
Les dessins sont très sombres comme l’étaient les conditions de vie au début du 19e siècle pour ces gens de la campagne, obnubilés par la religion et les croyances et en totale adéquation avec le texte, savoureux et époustouflant.
Lors de son procès, Hélène Jégado sera accusée d’avoir essayé de tuer 97 personnes dont 60 en mourront. On estime même aujourd’hui, d’après l’examen des reliques qu’elle gardait, qu’elle serait plus proche des 80 morts.
Une histoire incroyable à laquelle on ne peut rester insensible.
« Fleur de tonnerre » ce n’est pas l’un des jurons fleuris dont le Capitaine Haddock a le secret mais le titre d’un roman du non moins truculent Jean Teulé paru en 2013. Cette biographie romancée inspirée de l’histoire réelle d’Hélène Jegado, la plus grande tueuse en série de l’histoire de France, a bénéficié en octobre dernier d’une adaptation en bande dessinée par Jean-Luc Cornette et Jürg aux éditions Futuropolis. Ont-ils réussi à rendre le ton si caractéristique de l’artiste entre « true crime » et humour grinçant dans leur one shot de près de 120 p ?
Les œuvres de Jean Teulé ont décidément la côte auprès des bédéistes. « Fleur de Tonnerre » est la septième adaptation de l’un de ses romans et deux autres sont en chantier. Sans doute parce qu’il a commencé lui -même dans le 9eme art et que ses livres sont séquencés et rythmés comme des albums et très visuels dans leur style. Il a fait du roman historique son fonds de commerce et, après Le Moyen Age de « Je, François Villon » , la Renaissance de « Charly 9 » ou d’ « Entrez dans la danse », le XVIIe siècle du « Montespan », il s’est intéressé à des faits divers du XIXe : le drame de Hautefaye dans « Mangez-le si vous voulez » et, ici, l’histoire d’une enfant bretonne fascinée par le personnage légendaire l’Ankou et le pouvoir des plantes et des poisons qui commence sa carrière à huit ans en assaisonnant la bouillie de blé noir de sa génitrice avec de la belladone et va durant près de quatre décennies tuer des dizaines de ses contemporains sans raison apparente.
Au départ, le duo Cornette et Jürg, qui avait déjà œuvré sur « Ziyi » paru aux éditions Scutella en 2013, souhaitait adapter « Mangez-le si vous voulez » mais ils se heurtèrent au refus de nombreux éditeurs effrayés par la noirceur du propos. Ils reportèrent donc leur choix sur « Fleur de Tonnerre » rendu plus acceptable par la distanciation introduite par l’humour dont fait preuve le romancier au fil du texte.
On y retrouve ainsi les anachronismes langagiers à double sens chers à Teulé : Hélène conseille par exemple à ses clients de goûter son gâteau « trop mortel » et surtout le duo comique des perruquiers normands. Ces derniers croisent, au fil des décennies, le chemin de l’héroïne éponyme et ne cessent de faire sourire le lecteur grâce à leurs silhouettes de Laurel et Hardy, leurs avanies, leurs propos dignes de Bouvard et Pécuchet, et finalement grâce à leur « acculturation » car ils finissent plus bretonnants que les Bretons ! Cette dimension comique est l’une des forces de l’album car, contrairement au film homonyme de Stéphanie Pillonca, il conserve le mélange des genres. C’était d’ailleurs la seule exigence manifestée par Teulé auprès du tandem d’auteurs.
Mais comme le romancier et la réalisatrice, ils gardent également la profondeur du personnage principal. Contrairement à deux autres albums consacrés à l’empoisonneuse -« Hélène Jegado » de Berthelot et Moca paru chez L’Apart en 2013 et « La Jegado » de Keraval et Monnerais paru aux éditions Locus Solus en 2019 - qui la dépeignent come folle et laide telle qu’elle apparait à son procès, le « Fleur de Tonnerre » de Teulé, Jurg et Cornette s’attache à la fillette puis à la jeune femme. Ils arrivent à nous faire éprouver empathie et presque fascination d’abord parce que l’héroïne est dessinée comme une belle jeune femme, une « sirène » irrésistible, ensuite parce qu’elle est présentée comme une victime de son milieu socio-culturel : enfant d’une mère peu aimante qui la rabroue sans cesse et la terrorise à l’aide de légendes, elle est élevée dans la peur et dans un milieu rude. Les épisodes de Notre dame de La haine de St Yves de vérité ou des naufrageurs, si violents et invraisemblables qu’ils paraissent, sont pourtant véridiques et montrent bien comment le milieu étouffe et suscite la folie. Enfin, Hélène est également décrite comme capable de sentiments : elle tombe follement amoureuse, tente même de mettre fin à ses jours, et dans une superbe scène se montre même charitable en abrégeant les jours d’un vieil instituteur fatigué de la vie.
La couverture montre d’emblée la richesse du propos : une jeune fille blonde regarde dans notre direction avec un air sévère. Elle ne ressemble en rien à l’image traditionnelle qu’on a de la Bretonne : pas de coiffe blanche de dentelle empesée mais une épaisse jupe, un tablier de domestique et une cape noire à capuchon. Autour d’elle le paysage paraît menaçant : flots houleux, rochers abrupts, ciel rouge de tempête aux nuages noirs et menhir semblable à une pierre tombale. Quelques fleurs au premier plan pourraient donner un côté bucolique mais il s’agit de scabieuses, appelées également « fleurs des veuves » ou « fleurs de tonnerre » et réputées pour leurs vertus dangereuses. Ainsi un paysage bucolique et champêtre devient menaçant et une fillette, incarnation de l’innocence, apparaît finalement comme celle de la mort puisque son expression et sa cape évoquent la grande Faucheuse... Les pages intérieures sont tout aussi réussies on y trouve de superbes pleines pages telle la page inaugurale. Le dessin peut se déployer car le gaufrier n’excède pas les six cases et on a souvent de grandes vignettes magnifiquement composées. L’œuvre est divisée en chapitres introduits par des médaillons qui reprennent des détails bretons : calvaires, statues, village et soulignent encore une fois l’importance du milieu. Si l’héroïne est magnifiée, on y trouve également une belle galerie de tronches et de trognes qui redonnent bien le style enlevé de l’auteur. L’album est par ailleurs réalisé en tons d’ocres et de sépia ravivés de rouge par endroits. Cette bichromie évoque les gravures du XIXe et montre d’emblée la complexité de l’œuvre et le mélange des genres : la palette est en effet à la fois sombre et lumineuse, chaleureuse et froide…
L’album est donc une vraie réussite tant sur le plan du découpage que du dessin. Il restitue parfaitement le côté tragi-comique du récit initial et l’on pourrait même dire qu’il excède parfois son modèle car il est finalement plus rythmé que l’œuvre originale dans laquelle les crimes avaient un côté répétitif. « Fleur de Tonnerre » : un roman graphique garanti sans arsenic mais plein de saveurs !
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