Passionné(e) de lecture ? Inscrivez-vous gratuitement ou connectez-vous pour rejoindre la communauté et bénéficier de toutes les fonctionnalités du site !  

Physique de la mélancolie

Couverture du livre « Physique de la mélancolie » de Gueorgui Gospodinov aux éditions Intervalles
Résumé:

Un roman naturel avait été salué par la critique internationale comme l'un des meilleurs romans postmodernes européens dont la structure ouverte et libre, l'écriture fragmentée et ludique se révélait être particulièrement propice à allier les contraires : imbrication de la mémoire collective... Voir plus

Un roman naturel avait été salué par la critique internationale comme l'un des meilleurs romans postmodernes européens dont la structure ouverte et libre, l'écriture fragmentée et ludique se révélait être particulièrement propice à allier les contraires : imbrication de la mémoire collective (celle du socialisme) et de la mémoire individuelle (celle du monde de l'enfance) ; de la nostalgie et de la dérision par l'ironie, dans une quête du « moi » longtemps sacrifié au nom de l'édification collective d'un nouveau modèle de société mais qui se révèle n'avoir de sens qu'en tant que maillon d'une autre grande chaîne collective, celle qui le rattache à l'histoire d'un peuple et à l'histoire mondiale.
Physique de la mélancolie, roman-labyrinthe, apparaît comme un prolongement et un dépassement longuement et patiemment mûri de cette quête du moi qui englobe tous les autres « moi », et ce, dès le tout début du roman, dans son prologue qui déclare : « Je sommes nous. » Dans ce labyrinthe (celui des histoires, mais aussi celui du Minotaure, alter ego du narrateur) Guéorgui Gospodinov pousse plus loin cette démultiplication des « je ». Que de non-vécu, de manqué, de passé à côté, de laissé de côté dans une existence ! De multiples fils d'Ariane relient ce moi incomplet d'ici et maintenant aux autres « moi » d'autres lieux et d'autres époques, humains, animaux ou plantes le trans¬formant en un moi collectif, empathique, qui lui permet de traverser les âges et d'entrer tour à tour dans les histoires et les corps de son grand-père dans la Hongrie de 1945, du Minotaure, de Guéorgui Gospodinov dans la Bulgarie communiste et post-communiste de 1968 à 2011, d'une mouche à vin, d'un nuage de printemps, d'une perdrix, etc.
Avec l'enfance prend fin l'empathie. Le moi collectionne, « achète » alors les histoires d'autrui, encapsule le temps. Pour retarder la fin du monde. Pour ne pas oublier. Ce que l'on oublie habituellement, le périssable, l'éphémère, le quotidien, l'oublié par la « Grande Histoire », le Minotaure. Parce que le sublime est partout, même dans « l'architecture, la physique et la métaphysique de la bouse de buffle ». Parce que le passé est le seul futur possible. Car, si l'imbrication de l'Histoire et des histoires personnelles, la mélancolie suscitée par l'impossibilité de communiquer vraiment entre les êtres, traversent l'oeuvre de Gospodinov, elle est également « imbibée » du sentiment des apocalypses à venir.
Dans cette quête de l'universel par le prisme du personnel, en dépassant le national, quoi de plus partagé, en ce début de XXIe siècle, que le sentiment de crise et la mélancolie qui en résulte ? Et pour conjurer la mélancolie, il faut la raconter. L'architecture du roman, labyrinthe dynamique, fragmenté, qui collectionne histoires, listes, catalogues, carnets et énumérations, nous place, comme le narrateur, à la veille d'une fin, d'une apocalypse, qui peut se révéler infinie. Physique de la mélancolie s'inscrit ainsi dans la poétique du divers et de la relation développée par Édouard Glissant : à la conception de « l'identité à racine unique et exclusive de l'autre » véhiculée dans de nombreux textes d'écrivains des Balkans porteurs d'une esthétique exotisante et foklklorisante, Glissant oppose une autre notion d'identité « comme rhi¬zome », c'est-à-dire « non plus comme racine unique mais comme racine allant à la rencontre d'autres racines. » Une identité-relation.

Donner votre avis

Avis (1)

  • Le roman entremêle des souvenirss personnels, des anecdotes familiales et des événements historiques. Dans ce labyrinthe de récits, il était tout naturel qu'émerge la figure du Minotaure, cet enfant abandonné du fait de son lignage et condamné à l'enfermement : "au début de tout, ai-je dit, se...
    Voir plus

    Le roman entremêle des souvenirss personnels, des anecdotes familiales et des événements historiques. Dans ce labyrinthe de récits, il était tout naturel qu'émerge la figure du Minotaure, cet enfant abandonné du fait de son lignage et condamné à l'enfermement : "au début de tout, ai-je dit, se trouve un enfant jeté dans une cave"

    "Cela se produisait souvent malgré moi. Comme si là où l'autre éprouvait une douleur, dans cette faille, s'ouvrait un couloir qui m'aspirait en lui."

    Dans son enfance, le narrateur a souffert du "syndrome empathico-somatique obsessionnel". Autrement dit : il avait le pouvoir de s'installer dans l'histoire d'un autre, qu'il s'agisse de son grand-père, d'une fourmi rouge ou même d'une plante. Ce sont toutes ces histoires qu'il nous raconte en se replongeant dans la Bulgarie communiste des années 70 et 80, comme celle de Julietta qui tous les après-midis pendant quarante ans a attendu Alain Delon devant le vieux cinéma fermé depuis déjà longtemps

    "Le vieillissement d'un empathique est un processus étrange. Les couloirs menant vers les autres et leurs histoires se sont murés".

    En grandissant, le narrateur a perdu son pouvoir empathique. Pour connaître les histoires et nous les raconter, il a d'abord commencé à les collectionner sous forme de listes classées dans des cartons afin de "sauver les choses par les mots". Et puis, il a commencé à acheter les histoires à ceux qui en avaient à vendre.

    "J'essaie de tenir un catalogue exact de tout".

    Et si, pour conserver tout ce qui doit l'être, il ne suffisait pas de le conserver dans une "capsule temporelle", à l'image de celle qui fut enterrée à New-York à l'occasion de l'Exposition universelle de 1938 ? Mais alors, comment choisir ce qui sera destiné à n'être redécouvert que des siècles plus tard ?

    "Si quelque chose est durable et monumental, à quoi bon le mettre dans la capsule. Il ne faut conserver que ce qui est mortel, éphémère, fragile. "

    L'écrivain se doit alors de tout écrire, enregistrer et conserver. Il acquiert ainsi la capacité à se mouvoir dans les couloirs du temps en passant d'une histoire à l'autre. Le voici maintenant détenteur d'un nouveau pouvoir, celui que Shéhérazade utilisait en son temps : "la force de celui qui raconte". Cette force-là appartient à celui qui est faible et vulnérable. Par le récit qu'il raconte avec ses mots, il a pouvoir de vie et de mort dans les histoires.

    "La mélancolie rend les os fragiles".

    Objet du livre ("Physique de la mélancolie"), la mélancolie ne se laisse pas réduire à un sentiment diffus Elle ne se laisse pas combattre facilement non plus, "quelque chose s'est bloqué dans le temps". Peut-être que l'une des façons de lui répondre est de prêter attention aux petites choses insignifiantes, ces petites choses qui sont finalement "les dernières à scintiller avant les ténèbres".

    Tout dans ce roman semble couler facilement et se glisser en nous. Le lecteur se retrouve comme en état de porosité, en empathie à son tour avec ce petit garçon qui se glisse dans les histoires et cet homme qui se donne ensuite pour mission d'encapsuler les plus insignifiantes d'entre elles pour leur offrir l'éternité.

    thumb_up J'aime comment Réagir (0)

Donnez votre avis sur ce livre

Pour donner votre avis vous devez vous identifier, ou vous inscrire si vous n'avez pas encore de compte.