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Comment évoquer trente-cinq années de franquisme dans un roman sans tomber dans les clichés ? Comment faire bon usage de la mémoire et donner du sens à son récit ? Ce sont là les principales questions que se pose l'auteur et narrateur tout-puissant de La mémoire vaine, en un work-in-progress qui examine sur un mode tour à tour sérieux ou comique, dramatique ou ironique, les choix auxquels tout romancier actuel est confronté. Au centre de cette expérience de fiction éthique se trouve Julio Denis, professeur de littérature médiévale à l'université de Madrid disparu mystérieusement en 1965, dans un contexte d'insurrection étudiante brutalement réprimée. Face à lui se dresse la figure d'André Sánchez, meneur étudiant d'obédience communiste probablement disparu dans les sinistres geôles de la Direction générale de la sécurité. Que sont devenus ces deux hommes et que nous disent-ils sur l'histoire récente de leur pays ? Tout à la fois roman et réflexion sur le roman en train de s'écrire, La mémoire vaine est un formidable travail d'investigation historique et morale, mais aussi littéraire, dont le coeur est la mémoire, le respect de la mémoire.
Dans cette oeuvre singulière, le travail sur la forme joue un rôle primordial, au travers de choix très forts qui engagent à la fois l'auteur et le lecteur qui acceptera de le suivre dans cette enquête. D'entrée, Isaac Rosa s'adresse à nous et nous propose de construire peu à peu une fiction qui s'affranchirait des poncifs du genre, nous signalant tous les écueils, essayant une solution puis une autre avant de trouver la bonne, avec ironie, inventivité et rigueur. La narration est éclatée, pleine de surprises, ludique et interrompue par divers protagonistes jamais nommés mais dont le témoignage est crucial (un ancien policier, un anarchiste victime de la torture, un exilé espagnol à Paris...). Rien n'y est jamais gratuit et, plus que des réponses, le livre pose des questions, son ton critique, parfois polémique, fruits d'une véritable exigence morale. Malgré une grande cohérence, cette vision reste ouverte et bénéficie de plus d'une écriture efficace et sobre, ainsi que d'une maîtrise rare pour un jeune auteur.
Car Isaac Rosa fait preuve d'une grande maturité et parvient à créer un authentique " livre-monde " dont il est le créateur et le maître omniscient, celui qui fixe les règles et les change quand il le veut, jouant avec le lecteur, mais toujours dans le cadre de son questionnement. Et si l'auteur a un ton, une écriture et des obsessions bien à lui, il s'inscrit dans la lignée de très grands auteurs qu'il a certainement lus et compris tels que Sergio Pitol (pour sa méfiance systématique et son ironie), António Lobo Antunes (pour son rejet implacable de la dictature et de la torture), Javier Marías (et ses romans oxoniens) et surtout Vladimir Nabokov. Comme ce dernier, Rosa assume pleinement son statut de maître absolu du récit et réussit à ne jamais en être l'esclave mais, grâce aux pièges qu'il sème, aux nombreuses allusions et changements de cap, à conserver la bonne distance avec son roman, avec humour et ironie. Ce qui ne l'empêche pas de livrer des pages extraordinaires, proprement bouleversantes, sur la répression et la torture, des pages d'une justesse rare et d'une portée universelle, allant bien au-delà du contexte franquiste.
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