"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«Sans rien changer à sa pose parfaitement protocolaire, la femme, tout à coup, ouvrit le col de son kimono. Mon oreille percevait presque le crissement de la soie frottée par l'envers raide de la ceinture. Deux seins de neige apparurent. Je retins mon souffle. Elle prit dans ses mains l'une des blanches et opulentes mamelles et je crus voir qu'elle se mettait à la pétrir. L'officier, toujours agenouillé devant sa compagne, tendit la tasse d'un noir profond. Sans prétendre l'avoir, à la lettre, vu, j'eus du moins la sensation nette, comme si cela se fût déroulé sous mes yeux, du lait blanc et tiède giclant dans le thé dont l'écume verdâtre emplissait la tasse sombre - s'y apaisant bientôt en ne laissant plus traîner à la surface que de petites taches -, de la face tranquille du breuvage troublé par la mousse laiteuse.»
Au coeur de Kyoto, s’élève le Pavillon d’or, majestueux, entouré d’un écrin de verdure et objet d’innombrables visites. Ce pavillon fut incendié en 1950. C’est l’histoire de ce geste dément que nous conte Mishima.
Lors de sa première visite au Pavillon d’or, que son père lui avait décrit comme le summum de la beauté, le jeune Mizoguchi est déçu. Malgré tout, une fascination maladive s’empare de lui. Peu de temps après le décès de son père, Mizogushi devient novice au Pavillon d’or. Sa laideur et son bégaiement l’isole des autres étudiants. Mais deux amitiés successives feront naître chez le juin homme influençable des désirs de vengeance…
Dans ce texte hypnotique, le lecteur suit les pensées chaotiques du jeune novice et comprend au fil des pages le cheminement de sa folie. Il ne s’agit pas d’excuser mais d’expliquer.
Mishima n’est pas tendre pour ses personnages. Il tue les plus méritants, la mère, le père, l’ami bienveillant, mais dresse les portraits sans compassion de Kiwagashi, le compagnon qui a grandement contribué aux errements de Mizogushi, et du père prieur, qui n’est pas le saint homme qu’il voudrait paraître.
Le roman offre ainsi un tableau du Japon d’après guerre, sous occupation américaine, et privé de l’essentiel, qui sert de cadre à cette réflexion sur le bien et le mal, le beau et le laid, et l’irruption de la folie.
375 pages Gallimard 6 février 1975
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Charles Baudelaire – la beauté.
Qui mieux que Baudelaire pour faire raisonner la souffrance que symbolise le pavillon d'or aux yeux de Mizoguchi, le jeune prêtre bouddhiste ?
Parloir ostentatoire du miroir. L'image le dévore et le repousse. Comment en serait-il autrement pour ce mal en être, ce bègue, cet infirme du langage qui n'est pourtant pas informe de tout langage. Cette beauté, cette architecture merveilleuse, est un rappel à l'ordre constant à son propre désordre.
Lui qui s'obstine à se voir en égale distance n'entend qu'une réponse d'injures et de reproches.
Sa laideur n'existe que dans l'éblouissement retentissant de la Beauté. Comme la nuit face au jour. Comme la cendre face au feu. Voilà peut-être la plus frappante illustration de l'intelligence du mal. Détruire, anéantir, pour espérer renaître. Et sous la plume flamboyante de Mishima cela devient terrifiant. Sublimement simple et véritablement terrifiant. Voilà la folie destructrice d'un fanatisme narcissique. Tant que la beauté se dressera, la laideur rampera. Tant que la beauté éclatera, la laideur bafouillera. La laideur reste impuissante, quoiqu'elle tente elle restera insuffisante. Et c'est avec une incroyable délicatesse que Mishima tresse et détresse cette ode poétique qui s'enroule et se resserre autour de l'âme du jeune prête. Volupté, perversité, lèchent les portes du pavillon d'or jusqu'à son embrasement. Entre les mains de Mishima douleur, plaisir et destruction s'entremêlent et brûlent comme du souffre.
Une écriture étincelante comme la lame d'un sabre.
En 1950,à Kyoto, un jeune novice met le feu au Pavilllon d'or, le temple le plus célèbre de la ville. C'est de ce drame, qui a bouleversé le Japon, qu'est parti Yukio MISHIMA pour raconter l'histoire romancée de Mizogushi, le jeune moine incendiaire. Mais au-delà du fait divers, l'écrivain relate le parcours psychologique d'un garçon torturé, complexé par sa laideur et son bégaiement, obsédé par la Beauté dont le Pavillon d'or est, à ses yeux, la forme la plus pure. De son enfance pauvre dans un Japon dévasté et humilié par la deuxième guerre mondiale, aux côtés d'une mère adultère et d'un père bonze qui lui a transmis son amour immodéré pour le temple sacré, à son arrivée au Pavillon pour y être novice, recueilli par le prieur à la mort de son père, on découvre un jeune homme qui peu à peu sombre dans la folie, jusqu'à commettre l'irréparable.
Les mots sont trop faibles pour parler de toute la beauté et la poésie de ce texte magistral. Yukio MISHIMA, sans juger, sans prendre parti, décrit le parcours initiatique d'un jeune homme qui fut son contemporain. Laid et bègue, Mizogushi aurait pu composer avec ses handicaps, s'épanouir dans l'ombre de l'objet de son amour et pourquoi pas un jour devenir le prieur de ce lieu sacré. Son amitié avec le lumineux Tsurukawa, novice comme lui, l'encourage dans ce sens. Mais c'est le sombre Kashiwagi, élève dans le même lycée que lui, qui va dévoiler sa noirceur et sa perversité. Poussé par ce mauvais génie, Mizogushi s'éloigne du prieur et s'enlise dans la dépravation. Symbole du Beau, donc de ce qu'il n'est pas et se sera jamais, le Pavillon d'or devient l'objet d'un amour/haine jusqu'à ce que ses réflexions le conduisent à l'idée selon laquelle c'est ce Beau absolu qu l'empêche de vivre. A-t-il déjà été plus laid, physiquement et dans son coeur, ailleurs que près de ce temple prodigieux? Non, et c'est pourquoi il lui faudra le détruire pour enfin pouvoir s'intégrer à la vie, dans un monde débarrassé de ce rappel constant de la beauté.
Un roman au ton juste qui appelle maintes réflexions sur le le beau, le bien, le mal et la folie. A lire évidemment, pour la fine analyse psychologique de l'incendiaire et les très sensuelles descriptions de ce lieu hors du commun posé dans un superbe écrin naturel.
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