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Tu étais un homme, mon père.
Charles Vergely a tout juste dix-sept ans lorsqu'il s'engage dans la Résistance en juillet 1940. Il est arrêté le 10 mars 1941 par la police militaire allemande. Torturé, emprisonné, jugé de façon expéditive et condamné à mort avec six autres de ses camarades, Charles Vergely est d'abord incarcéré à la prison du Cherche-Midi où il a, entre autres voisins de cellule, Honoré d'Estienne d'Orves. Il est ensuite transféré à la prison de Fresnes, la " Filiale de l'Enfer ", puis déporté au camp de Rheinbach en juin 1942, où une partie des prisonniers finissent décapités à la hache. Au lendemain d'un bombardement qui ravage le camp, il rejoint celui de Ludwigsburg au terme d'une " marche de la mort " de quarante-cinq jours. Il y voit quotidiennement des hommes se faire exécuter, d'autres mourir de fatigue ou de faim. Lui-même ne pèse alors plus que trente-huit kilos. En février 1945, à la suite d'un autre bombardement, il est entassé avec une centaine d'hommes dans un wagon à bestiaux pour un ultime voyage vers la forteresse de Landsberg, une annexe du camp de Dachau, jusqu'à sa libération par les troupes alliées à la fin du mois de mai.
Pierre Vergely est le fils de Charles. À propos de ce roman, il écrit : " Lorsque j'ai démarré la rédaction de l'histoire de mon père, je ne savais pas où je mettais les pieds. J'avais une idée du poids de l'Histoire, mais je n'avais encore jamais eu l'occasion de mesurer sa puissance, et j'ai découvert que derrière ce mot se cachent à la fois l'ensemble de toutes les vies du passé, mais aussi notre présent et les raisons de notre présence. Je pourrais clamer qu'avec ce livre j'ai tenté, en plus de rendre hommage à mon père, de célébrer la lutte pour la liberté, la défense de la justice, la dignité ou le sens du devoir, mais ce serait faux. Ce livre parle avant tout du courage. Du combat face à la peur. De cet acte qui, pour être authentique, consiste à joindre à l'élan total de l'esprit l'engagement entier du corps. "
C’est un récit étonnant que nous livre Pierre Vergely : il restitue les épreuves subies par son père Charles Vergely. Celui-ci, âgé de dix-sept ans, s’engage dans la Résistance en 1940. Il est dénoncé après avoir effectué une mission en Normandie et arrêté par la police militaire allemande le 10 mars 1941. Ce pourrait être un livre, un de plus, écrit par un ancien résistant sur son action, ses décisions, ses convictions. C’est le fils, Pierre Vergely qui écrit au lieu et place du père, pour lui rendre hommage, bien sûr, mais aussi pour expliciter les raisons de son engagement, et décrire les états moraux successifs par lesquels peut passer un détenu entre les mains des nazis et de la Gestapo. Tout commence à la prison du Cherche-Midi, dont les conditions de détention sont décrites par Pierre Vergely : « La prison est une déclaration de guerre aux règles élémentaires qui, au monde, donnent un cadre. Entre quatre murs, ce cadre est réduit à un point de compression dans lequel l’espace et le temps s’annulent. » C’est l’univers carcéral lui-même qui est remis en cause : « Et sans se salir les mains, l’exécutif peut y exécuter. Sans compassion et sans cœur, l’ordre judiciaire est en place. »
La captivité est l’occasion pour le détenu de revisiter les causes de l’effondrement de 1940, de radiographier cette « étrange défaite » comme l’a si bien fait l’historien Marc Bloch. Il se remémore son enfance, les moments passés ave ses parents, ses frères et sœurs ; l’horreur est omniprésente dans le récit. Elle se manifeste le matin, très tôt aux aurores lorsque les geôliers viennent chercher les condamnés pour les mener au peloton d’exécution. Charles Vergely, par le récit de son fils, nous expose une fort pertinente critique de la notion de loi, de sa mise en application dans une société démocratique : après avoir énuméré les buts ordinaires de la loi, Pierre Vergely se fait l’écho d’une critique de fond à propos de la portée des lois : « Mais jamais, dans ce projet, la dimension intérieure de l’homme n’est prise en considération. Il n’est question que des affaires de la société auxquelles la loi tente de répondre par des dispositifs pratiques et des appareils d’organisation sociale. »
Comment résiste-on à la torture, aux mauvais traitements des gardiens, aux brimades incessantes ? Par la fidélité aux habitudes, disait Charles Vergely à son fils Pierre : « Un homme qui sait se tenir ne perd jamais ses habitudes. »
Le récit n’apporte rien de nouveau sur la nature du nazisme, sur son mépris des êtres humains, sur son inhumanité fondamentale. Mais il contribue précieusement à éclaire le rôle du courage et de la détermination morale face à la peur et à une cruelle adversité.
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