"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Jeunes mariés, Driss et Souad savourent les plaisirs du bonheur conjugal lorsque leur vie bascule suite à l'agression de la jeune femme par un commissaire de police ivre.
Le couple porte plainte et se heurte ainsi à la réalité immuable d'un système judiciaire pourri : corruption, népotisme, impunité, harcèlement, intimidations, abus de tout genre...
Les années passent, le procès n'a jamais lieu. Souad s'entête à obtenir justice, se bat, s'use, tombe malade et finit par mourir.
Le jardin des pleurs est un récit inspiré d'une histoire vraie, celle d'un procès mortel, mais que l'auteur a décidé de raconter avec humour, faisant ainsi le choix de rire d'une réalité affligeante pour ne pas avoir à en pleurer.
Mohamed Nedali s'empare d'un fait divers, d'une histoire tristement vraie pour construire son roman. Il en fait un récit très précis. On connaît quasiment tout de la vie de Driss, le narrateur, dans les moindres détails : le pistonnage pour entrer à l'école d'infirmiers, un autre pour être nommé à Marrakech, son installation et la déco de son studio et évidemment la procédure, les reculades de la justice. Une écriture chirurgicale, rien n'est laissé au hasard. Mohamed Nedali écrit presque un témoignage sur le fonctionnement du système judiciaire marocain. Et le résultat n'est pas joli et ferait froid dans le dos. Compromission et corruption, passe-droits aux "dignitaires de l'état", c'est dire si Driss et Souad ont peu de chances de voir leur dossier aboutir : "... les magistrats [ont] des consignes leur interdisant formellement de traîner les dignitaires de l'Etat devant la justice, quel que soit le chef d'accusation pour lequel ils sont poursuivis. [...] Pour [...] ne pas entamer ce qu'ils appellent l'hiba, l'aura ou l'intouchabilité dont jouit tout haut commis de l'Etat au sein de la société." (p. 160). Un avocat ami de Driss lui explique comment fonctionne la justice, un réseau de relations et d'échanges de services : "J'ai moi aussi appris à collaborer avec mes collègues avocats, à courtiser juges et magistrats, à leur faire des courbettes, à leur graisser la patte... Qu'est-ce que tu veux, notre système judiciaire est ainsi fait : l'avocat doit s'y soumettre ou se démettre !" (p.199) L'administration en général est gangrénée par le bakchich généralisé, pour obtenir tel ou tel papier plus rapidement, un résultat d'analyse, éviter une contravention, les billets de dirhams passent vite d'une main dans une autre dans le livre.
Mohamed Nedali critique sévèrement, sans aucune concession la société marocaine, tout s'achète, se négocie, jusqu'aux prières pour un enterrement ! Néanmoins, on sent dans ce qu'il écrit tout l'amour qu'il a pour son pays et ses habitants qui vivent ces situations au quotidien. Ce n'est pas une critique gratuite pour médire, je l'ai pris plus comme une critique pour appeler à une prise de conscience et surtout à un changement radical des mentalités et pratiques, de manière descendante : que les élites commencent et ensuite, la société suivra !
Malgré la dénonciation virulente, le livre arbore plutôt un ton ironique, sarcastique et caustique. On ne se dit pas qu'il en fait trop, que là, c'est bon, basta. Non, on compatit aux malheurs du jeune couple, on espère qu'ils vont s'en sortir, et on espère surtout, que plus généralement, le Maroc deviendra un jour un pays démocratique qui permet aux pauvres d'être défendus face à des nantis ou des hommes puissants. Un bouquin fort et très accessible, absolument pas déprimant malgré le thème abordé.
Mohamed Nedali est un auteur reconnu -bon, perso, je ne le connaissais pas- qui à reçu divers prix, celui du Grand Atlas (présidé par JMG Le Clézio) et celui de la Mamounia (présidé par C. Orban), pour des ouvrages précédents.
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