Décriée ou adorée, rassérénante ou théâtre de drames intimes, la famille est l'une des grandes muses de la littérature. Tour d'horizon, arbitraire et très loin d'être exhaustif, de ces relations familiales, fondatrices de toute une vie.
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Décriée ou adorée, rassérénante ou théâtre de drames intimes, la famille est l'une des grandes muses de la littérature. Tour d'horizon, arbitraire et très loin d'être exhaustif, de ces relations familiales, fondatrices de toute une vie.
Pour bien savourer ce petit livre rempli d’anecdotes, de petites touches d’une enfance hors du commun, il faut savoir que l’auteure a grandi dans l’établissement psychiatrique codirigé par son père : La Borde, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher).
Proche de Jean Oury, le fondateur de cette clinique, Félix Guattari, psychanaliste et philosophe, très en avance pour son temps, rompait, là-bas, avec les méthodes employées jusque-là en faisant participer les malades mentaux à la vie matérielle et collective.
Ce château, entouré d’un parc immense avec des forêts et des étangs, était, pour « les enfants de La Borde », un fantastique terrain de jeux et d’aventures. Manou, comme on l’appelle, en faisait partie et nous fait partager ses souvenirs, alternant épisodes, anecdotes, moments de vie familiale. Ceux que l’on appelait les fous, sont bien là mais ceux qui étaient élevés avec eux les nommait « pensionnaires ».
Au fil des pages, on rencontre ce singe ramené d’Afrique par son père. Il adorait son maître mais détestait les enfants… Celui qu’ils appelaient « La chauffe », un pensionnaire, les menait à l’école en 2 cv, roulant au maximum à 20 km/h… Grandir avec des malades mentaux, même responsabilisés, n’est pas toujours simple et l’auteure n’oublie pas de mentionner les consignes que les enfants devaient respecter. Malgré tout, ils font des bêtises, jouent un peu partout… même au-dessus de cette « fosse à merde à ciel ouvert » : fascinante… si bien qu’un éducateur leur est affecté.
L’ordre n’est pas chronologique mais c’est souvent émouvant comme lorsqu’elle parle de sa mère : « Ma mère a disparu de ma vie comme une bulle de savon qui éclate. » Un peu plus loin, elle livre le fond de son cœur : « Je suis prête à faire un marché avec la vie : prenez moi dix ans, pour un quart d’heure de parloir avec ma mère. »
Il y a aussi cet accident de voiture, M. Belin qui ramasse des asperges et garde Emmanuelle qui n’a pas oublié le carrelage glacé et la soupe préparée par Mme Belin que Manou laissait refroidir, tellement elle avait besoin de parler… Même un rat déboule un jour : « Mon père a fait un bond prodigieux, sur place (pourtant il n’est pas très sportif). »
« La guerre, fond du récit familial » est présente à plusieurs reprises quand l’auteure indique que la Seconde a effacé la Première et lorsqu’elle raconte comment sa mère a sauvé son père d’une arrestation à cause de papiers compromettants, pendant la guerre d’Algérie…
Patchwork délicieux, étonnant, La petite Borde est un roman unique dans son format littéraire, offrant un bon petit régal de lecture.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
L'enfance de l'auteur, racontée par fragments, par scènes délicates, dans ce lieu étrangement familier pour elle qu'est la clinique de La Borde. Evènements dramatiques, jeux d'enfants, famille fantaisiste et douleurs indicibles se déroulent sous nos yeux par la grâce de l'écriture d'Emmanuelle Guattari aussi fluide et mouvante qu'un ciel de Loire. Un livre qui laisse un goût de mélancolie heureuse, une nostalgie délicieuse pour l'enfance qu'il nous fait revisiter. J'ai beaucoup aimé !
"On était ceux de La Borde. Dans le village de Cour-Cheverny du début des années soixante, la Clinique constituait encore une présence fantastique. La peur des Fous était tangible. Elle nous a sensiblement mis dans le même sac, une bande de drôles de loustics qui laissaient des Fous circuler dans un parc sans barrières et vivaient avec eux. Nous savions que les Pensionnaires étaient des Fous, évidemment ; mais La Borde, avant tout, c'était chez nous. Les Pensionnaires, on disait aussi les Malades, n'étaient ni en plus ni en moins dans notre sentiment. Ils étaient là, et nous aussi."
Elle a vécu une drôle d'enfance dans un drôle d'endroit, Emmanuelle Guattari, une enfance dans le Château de La Borde, aux côtés de curieux "Pensionnaires", les malades de la clinique expérimentale créée par son père, Félix Guattari, philosophe et psychanalyste, qui avait eu l'idée originale et terriblement novatrice de rompre avec l'internement traditionnel réservé aux malades mentaux en les faisant, tout au contraire, participer à l'organisation matérielle de la vie collective. Au lieu de les enfermer dans leur maladie et dans des murs, les ouvrir sur la vie, le monde, les autres.
Mais comment voit-on et vit-on cela quand on est une petite fille ? Quelle perception a-t-on de ces Fous et de ce lieu ? La petite fille devenue écrivain le résume ainsi : "Au fond, nous vivions chacun dans des univers assez parallèles, au même endroit. On ne se frôlait pas."
Et effectivement, si La Borde est le cadre du récit, les Pensionnaires ne sont guère que des figurants dans ces souvenirs d'enfance, des passants qui se fondent dans le décor et dont les enfants n'ont finalement pas peur, "pas plus que des gens normaux".
Ne cherchez donc pas dans ce court roman des descriptions de la vie des malades ou du fonctionnement de l'établissement psychiatrique. Tout cela n'est qu'évoqué, brièvement, au détour d'une phrase, ou d'un événement bien plus important aux yeux d'une petite fille. Car La Borde, pour la petite Emmanuelle, dite "Manou", c'est surtout un fantastique lieu de liberté, un parc immense, des forêts, des étangs, des jeux, des rires, des expériences, des découvertes et quelques bêtises... Elle a gardé de cette enfance des souvenirs dignes d'un conte de fées, effrayants, envoûtants ou enchanteurs, qu'elle égrène au fil des chapitres comme autant de petits cailloux avec beaucoup de pudeur et de tendresse. Aucune linéarité dans ce récit, simplement une succession de petits tableaux très épurés, très sobres, de petites saynètes liées les unes aux autres par de minuscules raccords, "pour mimer une sorte de rythme enlevé, une cavalcade d'enfants. Et dans ce mouvement de cavalcade, je voulais faire correspondre une scène à une autre, créer des jeux de résonances." confie l'auteur. Des micro-nouvelles pleines d'énergie, de fantaisie, où véritablement, c'est la voix de l'enfant qui se fait entendre et qui décrit les événements essentiellement au travers de sensations, d'impressions car c'est ainsi que l'univers se révèle aux enfants. Des enfants qui vivent tout avec une grande intensité, pleinement, tout pour eux est à la fois très sérieux et très amusant, très important et très anodin. Les choses, les lieux, les adultes ont des majuscules parce qu'ils sont grands et dignes de respect pour la minuscule petite fille qu'elle est.
Il n'y a pas de nostalgie non plus dans ce roman, même si parmi ces petits moments légers et aériens surgit le désir le plus fort – qui est aussi le passage le plus émouvant, le plus "à vif" du livre : faire revivre la maman trop tôt et trop vite disparue "comme une bulle de savon qui éclate", même pour un quart d'heure seulement, juste pour quelques mots encore, quelques images, un peu d'amour arraché au manque et à l'absence...
En une centaine de pages, d'une plume concise et évocatrice, Emmanuelle Guattari réussit à nous entraîner avec elle dans le joli petit monde de son enfance, fantaisiste, insouciant et contrasté, grâce à de petites anecdotes soigneusement choisies et organisées en petits tableaux impressionnistes, touchants, cocasses ou mélancoliques, comme des instantanés d'enfance. C'est aussi l'occasion de rendre un bel hommage à l'engagement de son père et à La Borde. "Sans doute, l'affection que j'ai pour cet endroit le toucherait beaucoup. Aujourd'hui encore, je reste très sensible au destin des malades mentaux. (Mon père) verrait probablement ce livre comme un acte de tendresse vis-à-vis de la Borde." C'est en tout cas exactement ce que le ressent le lecteur.
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