"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En pleine guerre, un avion américain s'écrase dans les montagnes japonaises. Le rescapé est aussitôt fait prisonnier par les villageois. Or il est noir... Aux yeux du jeune enfant naïf et émerveillé qui raconte cet épisode, sa nationalité, sa race, sa langue n'en font pas un étranger ou un ennemi, mais une simple bête dont il faut s'occuper.Un extraordinaire récit classique, une parabole qui dénonce la folie et la bêtise humaines.
Un village isolé dans les montagnes japonaises. Des hommes rudes, pauvres, peu éduqués. Une vie quasi autarcique, quelques incursions dans la vallée, peu de contacts avec l'extérieur. Et au loin, la guerre. Une guerre qui va s'immiscer dans le quotidien de ces gens simples et ignorants en la personne d'un aviateur américain dont l'avion est tombé dans les montagnes. Un américain, oui, mais pas vraiment un ennemi. Un noir. Un animal. Enchaîné, jeté au fond d'une cave, observé, surveillé, puis finalement confié aux enfants, apprivoisé comme un animal domestique. Et la guerre s'éloigne à nouveau devant un quotidien embelli par cette présence exotique. Jusqu'au jour où les autorités prennent enfin une décision. Le prisonnier se rebelle, redevient l'ennemi à abattre.
C'est par la voix d'un des enfants que Kenzaburô Ôé raconte cette rencontre incongrue entre des montagnards japonais et un pilote américain noir. Leur premier noir. La frayeur, la curiosité, l'admiration, l'attachement. Le bonheur de posséder un si bel animal. Aucune communication n'est possible, ni même envisagée, mais des moments sont partagés, des liens se créent. Et pourtant...Quand l'ignorance, la bêtise, la folie s'en mêlent...Le noir s'est plié aux traitements imposés par les villageois, il a partagé les jeux des enfants, a accepté son statut d'animal de compagnie. Mais quand il résiste, c'est la mort qui l'attend. Comme une bête rétive et dangereuse qu'on abat quand elle se retourne contre son maître.
Court roman ou longue nouvelle, Gibier d'élevage est une dénonciation de la folie humaine, de la violence née de l'ignorance. Une lecture dérangeante mais nécessaire.
Cette histoire d'un pilote noir dont l'avion s'écrase et qui devient prisonnier d'un village nippon en pleine guerre est superbe. Bien sûr l'écriture de ce grand auteur qu'est Kenzaburô ôé donne un relief encore plus important à ce récit, mais surtout ce sujet est une réflexion sur le rapport à l'autre. Ce soldat noir est différent, d'abord ennemi, puis considéré comme un animal domestique avec lequel les enfants du village passent leur temps. L'auteur insiste sur les différences physiques. Puis cet homme redevient un ennemi à la plus grande surprise du narrateur. Le soldat noir sera tué. Récit court, percutant. Un livre à lire absolument.
Kenzaburô Oe a reçu pour "Gibier d'élevage" le prix Akutagawa 1958, le Goncourt japonais. Nagisha Oshima en a tiré un film "Une bête à nourrir" en 1961.
Ce texte est extrait du recueil "Dites-nous comment survivre à notre folie" de Kenzaburô OE (Folio n° 2792).
Cette nouvelle d'une centaine de pages est une petite merveille. Au début, le prisonnier noir américain est très mal vu par les gens du village en raison de sa race. Il est considéré comme un ennemi pour les japonais (normal, me direz-vous en temps de guerre) et surtout comme une curiosité pour les enfants du village dont le narrateur et son frère cadet qui en voient un en chair et en os pour la première fois : "Les hommes revinrent au village […] Avec les autres enfants, je me précipitai à leur rencontre. Ce fut un coup pour moi que d'apercevoir, encadré par nos aînés, un géant noir. J'en demeurai pétrifiai d'épouvante" (page 26). Le prisonnier noir enfermé dans une cave devient alors une simple "bête" à nourrir [d'où le choix du titre du récit :"Gibier d'élevage"] : "- Le garder à l'engrais ! Comme un animal ? Fis-je quelque peu stupéfait. - C'est une bête, rien qu'une bête, dit mon père avec gravité. Il pue comme un bœuf" (page 33).
Pour les enfants, le noir devient une distraction à part entière, ils apprennent peu à peu à le connaître (il parle, joue et s'amuse avec lui) et finissent par s'apercevoir, en dépit de sa couleur et de sa langue, qu'il s'agit d'un homme doué de raison et de sentiments comme eux : "Le prisonnier finit par être notre seule et unique préoccupation, à nous, les gamins. Chaque minute, chaque seconde de notre existence était remplie par lui. C'était comme une maladie contagieuse qui nous aurait contaminés l'un après l'autre […] le soldat noir était comme un animal domestique. La douceur même..." (pages 63/66).
Malheureusement, les adultes ne seront pas aussi tendres et attentionnés que les enfants...
"Gibier d'élevage" est un récit bien écrit et captivant qui dénonce la folie et la bêtise humaines.
Je vous conseille aussi de lire la nouvelle" Seventeen" (disponible en Folio 2euros) du même auteur que j'ai chroniqué sur lecteurs.com.
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