"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On connaît de longue date, en France, Poprichtchine, le fou de Gogol dont le Journal a été traduit et adapté à de multiples reprises. Sa célébrité légitime a laissé jusqu'à présent dans l'oubli ses nombreux doubles, dont les revues des années 1830 publièrent les vies fugaces. Ces frères de l'ombre du héros gogolien contestent pourtant avec virulence la montée du positivisme, dans une Europe lasse des Lumières triomphantes du siècle précédent. Tels sont les personnages que mettent en scène les récits ici rassemblés. Singuliers et émouvants, ils viennent enrichir notre connaissance du mouvement romantique européen et rappeler la valeur et la diversité, trop souvent méconnues, du romantisme russe.
Les héros d'Aksakov (1817-1860), de Polévoï (1796-1846) et d'Odoïevski (1803-1869), qui osent affirmer qu'il ne saurait exister d'art sans que le créateur accepte et accomplisse la folie qui l'habite, que la vie sans le rêve ne vaut pas d'être vécue, sont nécessairement de ceux qui dérangent. Ils subvertissent sans compromission normes sociales et valeurs individuelles, et assument en ceci l'héritage mystique des fols-en-Christ d'autrefois, ces marginaux que l'Eglise orthodoxe, malgré leur anti-conformisme - ou plutôt grâce à lui - appelle " bienheureux " et canonise. Bienheureux aussi soient les fous romantiques ! La justesse de leurs voix, la pertinence insolente de leurs choix ne peuvent laisser indifférent quiconque est prêt à les entendre.
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