"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les romans picaresques classiques nous contaient les aventures de vagabonds, de marginaux qui, poussés par la misère, cherchaient par tous les moyens à se faire une place au soleil. Pour cela ils devaient user de ruse et de débrouillardise et agir sans scrupules.
Le picaro d’aujourd’hui est bien différent. C’est un cadre dynamique, sûr de lui, avide d’expériences et de légèreté, qui a des avis sur tous les sujets même ceux dont il ignore tout.. Il roule le plus souvent en Audi.
C’est l’un de ces picaros modernes qui prend notre narrateur en stop. Il fuit une vie trop morne et les obligations administratives de son pays natal, la Suisse. Il veut courir le monde sans trop savoir ce qu’il cherche sinon la liberté.
Impressionné par le charisme de son chauffeur, il va bientôt le reconnaître comme son mentor et décider de le suivre dans ses aventures.
Saint-Preux, le maître picaro, est attendu à un congrès à Vesoul. Arrivés en avance, les deux compères sont bien décidés à profiter des animations du cru. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont bien choisi le moment. En ce début janvier, à Vesoul, c’est l’effervescence.
Le programme des réjouissances commence par l’Hivernale des poètes. Un festival de poésie. Ils y apprennent que pour être politiquement correcte la poésie classique se doit d’être légèrement modifiée. Il ne faudrait stigmatiser personne.
« Nous traversâmes le « Tunnel des citations ». Sur des panneaux en bois aggloméré, on avait calligraphié des centaines d’extraits de poèmes, de romans ou d’essais. Ces vers mutilés de Reverdy frappèrent ma vue : « Le rêve est un houmous à la crème de soja / Lourd / Qui pend au plafond. »
« Comment ! Un houmous ? » m’exclamai-je. « C’est plus républicain » abonda Saint Preux, qui avait lu ceci dans un journal : plusieurs dizaines d’associations juives et musulmanes, rabibochées pour l’occasion, avaient fait valoir que l’identification du rêve à un jambon avait quelque chose de stigmatisant pour les minorités ne consommant pas de porc. Bien entendu, ils n’accusaient pas Reverdy d’être antisémite ou islamophobe, c’était seulement une maladresse de sa part qui se corrigerait aisément. »
Sortis de ce festival, les voilà confrontés à l’agitation des rues vésuliennes. Nos deux nomades vont se heurter à la masse des sédentaires en manifestation. Ils vont faire le coup de poing contre tous ces tristes sires qui refusent la légèreté, le picaresque. Tout ce que la ville compte de religieux, de populistes et de nationalistes.
Arrive le 7 janvier 2015 et les attentats parisiens contre Charlie Hebdo. Toute la France est en deuil, le peuple à sa grande majorité se rassemble. Tout le monde est Charlie. Même ceux qui ne supportaient pas l’humour corrosif de ce journal. Tous unis pour la liberté de la presse quelle qu’elle soit, contre le fanatisme religieux.
Les aventures rocambolesques et déjantées de nos deux picaros nous montrent les ridicules de notre époque. Elles soulignent l’insignifiance des discours creux amplifiés par internet et les chaînes d’information en continu. Ces vies déchirées par des combats d’un autre temps.
Que dire du style de Quentin Mouron ? Une découverte. Il y a du Rabelais dans cette plume-là. Vesoul, le 7 janvier 2015 est un roman plein de verve et de jubilation, porté par une langue précieuse et délicieusement surannée. D’aucuns pourront dire que Quentin Mouron en fait trop, qu’il cabotine. Certes... Mais un cabotinage aussi talentueux, on en redemande.
« Les bars étaient barricadés. Les commerçants tombaient leurs stores. Les rues bourdonnaient de militants politiques, de minorités humiliées et d’utopistes sanguinaires. La police, qui protégeait d’ordinaire les citoyens, s’était rassemblée, trois rues plus bas, pour protester contre quelque chose. Nous étions livrés à nous-mêmes. Saint-Preux sélectionna l’option « Dark Vador », et son Iphone libéra un ray de lumière rouge. « Te bile pas ! On va y arriver. » Son optimisme me fortifia. Je n’avais plus peur. J’étais prêt à combattre. »
Ce qui frappe d'abord c'est la plume très affirmée, il y a un vrai style. Ce polar court est très réussi , je n'avais pas lu d'autres romans de l'auteur mais je vais probablement rattraper cela dès que ma PAL aura baissé. Les phrases sont très courtes, l'intrigue est un peu facile mais sauvée par le style. Les personnages ne sont pas beaucoup décrits, ils sont survolés c'est au lecteur de se faire son opinion.
C'est un roman dérangeant, je pense qu'il ne laissera aucun lecteur indifférent, cela sera soit adoré soit détesté. Un polar dans les bas-fonds avec son lot de secrets, de vengeances, peu de descriptions c'est épuré et permet d'aller à l'essentiel de l'histoire. Il y a une dimension psychologique intéressante sur la vision que l'on a de nous-même, comment on se ment et les masques que l'on porte en fonction de nos interlocuteurs. C'est très déroutant car bien qu'il y ai toutes les bases du polar il y a un style assez littéraire : utilisation d'ellipses, de termes spécifiques.
J'ai un avis mitigé, quelques semaines après ma lecture je ne saurais toujours pas dire si j'ai aimé ou pas. A vous de vous faire une idée
VERDICT
Lecteurs de polars sortant des sentiers battus celui-là est pour vous !
https://revezlivres.wordpress.com/2016/09/07/lage-de-lheroine-quentin-mouron/
Aïe aïe aïe, me voici doublement embêté. D'une part ce roman est un cadeau, et d'autre part, je n'aime pas dire du mal des petites maisons d'édition. Mais force m'est de constater que je n'ai pas particulièrement apprécié ma lecture. Si le style de l'auteur est dynamique, vif, punchy même pourrait-on dire en bon français, le contenu ne me sied point à plusieurs niveaux. D'abord, l'enquête est mal ficelée et des zones restent obscures une fois le livre refermé. Ensuite, les digressions ne sont pas toutes intéressantes ni de même valeur, certaines sont carrément ennuyeuses. Et enfin, le ton général du roman ne m'a pas plu du tout. Franck est un dandy, un homme en recherche de la pureté. Pour cela, tout ce qui n'atteint pas ce stade n'est pour lui pas digne d'intérêt. Ce n'est pas vraiment ce postulat qui me gêne, au contraire, il y a de quoi bâtir un personnage pas banal, ce que fait bien Quentin Mouron. Mais le travers est de tomber dans un discours un poil méprisant et défaitiste, celui des blasés de tous poils, et là l'auteur n'évite pas l'écueil. Et c'est fort dommage d'ailleurs, car son shérif McCarthy, humaniste, est trop peu présent dans le texte, il aurait fait un merveilleux contre point au pessimisme, à l'élitisme et au mépris de Franck. En sortant de cette lecture, on hésite entre se bourrer la gueule pour oublier ou aller se pendre dans le chêne au fond du jardin... voire les deux... heureusement pour moi, je n'ai pas de chêne, et mon naturel résolument optimiste reprend vite le dessus. Bon, là, on va me rétorquer que je suis naïf, que l'on ne fait pas de bons romans avec de bons sentiments... mais je sais cela, et je ne demande pas de bons sentiments, je dis même que si le shérif McCarthy avait eu une place égale à celle de Franck, les deux discours auraient été plus forts car contradictoires.
Je dois avouer aussi ma déception quant à la profondeur des personnages, esquissés mais pas fouillées : on ne connaît quasiment rien d'eux sauf la détestation de Franck pour la vie de McCarthy -et de tous les autres bouseux qui ont la malchance d'avoir une femme des enfants un pavillon une voiture et un chien... ouf, j'échappe de peu au stéréotype, je n'ai pas de chien... mais une chatte obèse (je laisse ici quelques secondes pour les ricanements qu'en général ce propos génère, je ne fais pas la fine bouche, moi-même en le disant, il m'arrive de rire)
Malgré tout, ce roman possède de bons arguments : une écriture vive, des changements de rythme, de belles références, j'ai vu en Franck, ce dandy décadent que plus rien n'étonne un peu de Dorian Gray, qui au lieu d'un portrait porterait un ou des masques : "Vous voyez en moi un homme assuré : allons, vous êtes peut-être plus courageux que moi ! Vous me demandez qui je suis... Que répondre ? Un masque, je suis un masque. Appliqué tant bien que mal sur un éclatement, et qui glisse, glisse. La colle tient mal au gouffre." (p.197/198). Tout n'est pas négatif, je pense que l'auteur a de la ressource, mais la posture de poète maudit peut agacer, moi personnellement, elle magace.
Notre-Dame-de-la-Merci est un village de la forêt québécoise. Au coeur de l'hiver, trois personnages se dévoilent dans leurs solitudes avec l'éclairage périodique du narrateur spectateur. Deux hommes, une femme, triangle amoureux éternel. Odette, femme singulière qui a logé quelques temps en prison, veuve d'un mari Hells Angels qui a prouvé que le ridicule pouvait tuer, continue de vendre quelques enveloppes remplies de cocaïne. Daniel étouffé par sa mère a vu ses femmes disparaître en lui laissant enfants, déneige la semaine et amoureux d'Odette a accepté de distribuer discrètement son courrier. Reste Jean, la figure du mal, qui fantasme ses sales coups, peine à ravaler sa violence et rêve d'un départ vers des cieux plus ensoleillés. Les trois destins sont liés, l'issue connue, et rien de les fera dévier, ils le savent, le lecteur le sait comme le narrateur et l'auteur, et pourtant, malgré cette impuissance partagée, l'espoir subsiste. Drame de la vie, drame de la solitude, drame contemporain, triste drame, une noirceur maîtrisée par une vraie écriture et une construction originale. A découvrir absolument.
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