Retour sur la soirée par Colette LORBAT, lectrice
Retour sur la soirée par Colette LORBAT, lectrice
Le 23 novembre à 18h, à Paris dans le 15e arrondissement.
Un Goncourt et un Renaudot d’excellent niveau, mais de bien sombres préoccupations
Les Explorateurs de la rentrée, cinquième édition !
Gertrude Bell est une personnalité éminemment romanesque dont Olivier Guez s’empare pour écrire un roman fascinant. Archéologue, exploratrice, diplomate, parfois même espionne ou aventurière, cette femme née au cœur d’une famille de la haute bourgeoisie britannique a joué un rôle essentiel dans l’histoire politique du Moyen-Orient.
Olivier Guez tire de ce destin incroyable un récit flamboyant dont on peine à se détacher. Il dresse le portrait d’une femme entêtée, capable de prendre sa vie en main dans ce XXème siècle marqué par la première guerre mondiale. Mais aussi celui d’une femme aux amours contrariées et malheureuses. Olivier Guez ne cache rien non plus des paradoxes de Miss Bell et de son caractère parfois un brin rigide voire mégalomane !
Mais c’est aussi un fabuleux cours d’histoire, de politique et de géopolitique. Au grès des alliances et des luttes entre l’Angleterre, la France, l’Allemagne, on voit fluctuer les frontières d’un Moyen-Orient en pleine ébullition, théâtre des affrontements entre ces pays pour qui les gisements pétroliers vont devenir essentiels, surtout à l’approche de la guerre.
On apprend ainsi comment est né l’Irak, quelles ont été les jeux diplomatiques des uns et des autres, les machinations, les retournements de situations qui ont présidé à la mise en place de nouveaux territoires. Et cet éclairage permet de mieux comprendre les conflits plus contemporains qui prennent leur source dans ces jeux de dupes au cœur desquels Gertrude Bell a eu un rôle essentiel.
On croise dans le récit Lawrence d’Arabie, dont Gertrude était une très proche amie ou bien encore Winston Churchill. Olivier Guez réussi avec brio cette alliance entre réalité et fiction, entre romanesque et vérité historique, entre divertissement et pédagogie. C’est un livre très enrichissant, qui permet, à travers un destin hors du commun, de mieux comprendre les implications de l’histoire sur notre époque et les répercussions encore visibles aujourd’hui.
A lire absolument !
Quand un écrivain de talent sort de l’oubli une héroïne de l’Histoire du premier quart du XXe siècle, cela donne un récit passionnant.
Mesopotamia d’Olivier Guez (La disparition de Josef Mengele) réussit cela parfaitement même s’il me désoriente parfois avec les libertés qu’il prend pour la chronologie. Heureusement, chaque chapitre annonce le lieu et surtout l’année mais j’aurais préféré une narration plus classique. Cette façon de raconter, je le reconnais pourtant volontiers, a aussi du charme car elle apporte des explications, détaille un passé important pour le personnage central : Gertrude Bell.
Alors, je n’ai pas boudé mon plaisir pour suivre Miss Bell comme on l’appelle. À Bassora d’abord, en 1916 puis à Ispahan, Bagdad, Téhéran, Port-Saïd, Damas, Konya, Le Caire, sans oublier ses retours réguliers à Rounton Grange, le domaine familial, et à Londres. Cette femme volontaire, rigoriste, qui s’oppose au droit de vote pour les femmes, est archéologue mais excelle surtout dans ses visions politiques pour unir cette Mésopotamie, avec le Tigre et l’Euphrate, du golfe persique aux montagnes kurdes, pays qui deviendra l’Irak.
Olivier Guez sait parfaitement m’attacher à ses personnages qu’il fait vivre avec leurs qualités et leurs contradictions. Il livre aussi de splendides descriptions lorsque Miss Bell qui rêvait de l’Orient, arrive en Perse à l’âge de 23 ans, en 1892.
Ce Thomas Edward Lawrence qui commence à apparaître dans le récit, à 28 ans, en 1916, partage avec Gertrude Bell la même détestation des Français. La date fait tilt aussitôt car la Première guerre mondiale dure depuis déjà deux ans et la Grande-Bretagne, engagée dans les batailles, ne veut rien céder de son empire oriental qui repose essentiellement sur les Indes. Seulement, en Mésopotamie, il y a le pétrole qui commence à jouer un rôle important.
L’auteur montre bien comment l’Angleterre rayonne sur le monde en proposant un panorama impressionnant. Revenant à Miss Bell, il fait vivre cette jeune femme que son père, Hugh Bell, riche industriel, veut marier. Hélas, pour l’instant, Gertrude ne séduit aucun homme car elle se veut leur égale et son éducation rigoriste n’aide pas.
Les événements historiques sont vécus depuis le Moyen-Orient, principalement du côté britannique, et cela change notre point de vue. Olivier Guez livre ici un passionnant rappel de l’Histoire de l’après Première guerre mondiale, après l’effondrement de l’empire ottoman, et je comprends mieux tous les problèmes qui agitent cette région depuis longtemps et perdure encore aujourd’hui.
Apparaît enfin Fayçal, encore un personnage très connu, comme Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie. Fayçal sera propulsé à la tête de ce nouvel état mis en place grâce à la volonté inébranlable de Gertrude Bell. Si cette femme se bat, lutte avec beaucoup de courage, il est important de noter ses moyens financiers importants, grâce à la fortune de son père. Elle ne se prive d’aucun voyage, cumule tous les avantages matériels nécessaires et superflus même si elle n’hésite pas à affronter le désert lorsque c’est nécessaire.
Olivier Guez fait de son héroïne un personnage tout de même attachant qui m’a fait souffrir jusqu’au bout dans sa recherche de l’amour, recherche enfiévrée, maladroite et très émouvante. Toutes les lettres qu’il cite ont été conservées et son amour pour Dick n’en est que plus bouleversant.
Jusqu’au bout de Mesopotamia, j’ai été captivé par ma lecture, une lecture qui mêle avec beaucoup de justesse itinéraire personnel et implications politiques essentielles pour l’avenir de toute une partie du monde, dans une région que Gertrude Bell (1868 – 1926) avait tenté de stabiliser. Hélas…
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/10/olivier-guez-mesopotamia.html
La nécrologie du New York Times souligne que « depuis la reine Zénobie, aucune femme n'avait joué de rôle aussi important dans la destinée du Moyen-Orient ». Gertude Bell fait partie de ces personnages dont le rôle historique majeure a été totalement invisibilisé parce que femme et parce qu'un homme ( ici le flamboyant Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d'Arabie, son ami âme soeur ) a pris toute la lumière à sa place.
Le roman d'Olivier Guez a le mérite de faire découvrir son parcours exceptionnel. Née dans la haute bourgeoise industrielle anglaise, c'est la première femme diplômée en histoire moderne à Oxford en 1888. Brillante, polyglotte, archéologue, alpiniste, unique femme chef de renseignement durant la Première guerre mondiale, agent de liaison entre Le Caire et Delhi pour huiler les communications entre ces deux centres rivaux de l'empire britannique. C'est elle qui préside à la genèse du Moyen-Orient moderne après le démembrement de l'Empire ottoman, c'est à elle que l'on doit en 1921 la création du royaume d'Irak avec à sa tête le roi hachémite Fayçal Ier.
Olivier Guez a choisi d'alterner des chapitres qui avancent dans le temps de 1916 à sa mort en 1926 à Bagdad, centrés sur sur vie extérieure, avec d'autres qui eux le remontent pour éclairer son enfance et éducation, et qui de façon plus spécifique explorent sa vie intérieure. Le dispositif est classique mais dans ce cas précis, j'ai trouvé qu'il ne fonctionnait pas.
En fait, j'ai eu l'impression de lire deux livres qui ne se rencontrent jamais vraiment. Les chapitres « Gertrude dans le monde » sont de gros blocs très denses qui s'apparentent à un roboratif ( et peu digeste ) essai sur l'évolution géopolitique du Moyen-Orient dans le cadre de l'impérialisme britannique, plutôt qu'au roman d'aventures que j'attendais ( y a qu'à regarder l'illustration de couverture ). Ces parties sont très intéressantes en soi mais elles sont surdéveloppées dans le roman alors que la quatrième de couverture promet une biographie romancée.
Au final, le souffle romanesque est plombé par l'aspect didactique wikipediesque, ce qui fait que j'ai eu des difficultés à m'immerger dans les chapitres plus intimistes qui ne font qu'effleurer l'intériorité de Gertrude Bell. Je suis ainsi restée en permanence très très loin de cette héroïne alors que je n'attendais que de vibrer avec et pour elle.
C'est d'autant plus frustrant que Gertrude Bell aurait dû être une héroïne passionnante avec tous ses paradoxes. Elle est très moderne dans sa façon de se considérer comme l'égale des hommes dans un monde d'hommes tout en ne se revendiquant pas féministe mais au contraire anti-suffragette, disant que donner le droit de vote aux femmes serait une erreur. Elle est totalement dévouée à l'impérialisme britannique tout en étant arabiste et profondément amoureuse de la culture orientale. Elle est aussi assurée dans ses décisions politiques concernant l'Irak que terriblement malchanceuse dans ses choix amoureux, empêtrée dans une éducation victorienne pudibonde. Mais ses ambiguïtés contradictoires, je ne les ai pas assez senties.
Malgré la qualité de l'écriture et de la rigueur documentaire, malgré le sujet plutôt neuf, je ressors très déçue de cette lecture dont j'attendais beaucoup, à commencer par de la flamboyance à la hauteur de la puissance du personnage principal.
Olivier Guez nous transporte à une période mal connue (le début du siècle dernier, l'entre deux guerres) dans un Moyen-Orient dont on parle beaucoup mais que l'on ne connait pas si bien que cela, il nous invite à suivre la trace d'une totale inconnue (qui donc avait entendu parler de Gertrude Bell !?) : alors avec un tel carnet de route, on ne peut que répondre à son invitation et monter à bord du premier vapeur en partance pour la Mésopotamie.
♥ On aime :
• On est nombreux à avoir manqué le biopic de Werner Herzog, "La reine du désert" avec Nicole Kidman (2015), et on n'a donc absolument aucune idée de qui peut bien être cette Gertrude Bell, née vingt ans avant Lawrence d'Arabie qu'elle croisa à de nombreuses reprises : et pour cause, ils faisaient le même boulot pour l'Empire britannique (dans l'administration civile).
Fille de (très) bonne famille elle fut voyageuse, alpiniste, archéologue, espionne et diplomate.
Une femme élevée dans la plus stricte tradition victorienne, une femme aux amours tourmentées, qui n'aura pas eu d'enfants mais qui fut la sage-femme qui donna naissance à un pays : l'Irak.
• On est toujours avide de ces romans qui savent mêler grande et petite H/histoire, qui nous font découvrir des personnages surprenants, qui nous font voyager dans le temps et l'espace vers des périodes ou des contrées étonnantes, qui nous éclairent des pans entiers de l'Histoire et de la géopolitique, bref des romans qui nous donnent l'illusion d'être un peu plus intelligents en refermant le bouquin.
• On apprécie qu'Olivier Guez nous brosse un tableau panoramique de cette époque et de cette région mal connues. le débarquement américain de plusieurs millions d'hommes qui mit fin à la terrible guerre, l'accord franco-anglais (l'accord secret Sykes-Picot) pour dépecer l'empire ottoman défait, la création de la SDN et la venue du président US Woodrow Wilson à la Conférence de la Paix de Paris de 1920, et bien sûr la géopolitique britannique au Moyen-Orient, les rivalités entre chiites et sunnites, les dynasties hachémite et wahhabite, les débuts du sionisme en Palestine, les premières batailles pour le pétrole, le sort des Kurdes et pour finir, la transformation de cette Mésopotamie en état souverain : l'Irak. Ouf !
• Et puis il y a ce portrait en profondeur d'une femme, pur produit de son temps et de son pays.
Si Miss Bell n'a pas que des qualités ("les hommes craignaient son impertinence ou se moquaient de son snobisme et de son arrogance"), et même si elle ne fait que mettre en musique les objectifs de l'impérialisme anglais ("les Kurdes n'auront ni État ni autonomie au sein de la nation irakienne"), on finit par se prendre, sinon de sympathie, tout au moins d'empathie pour cette femme au destin exceptionnel.
Une femme intelligente, une "reine sans couronne" qui arrivera à ses fins, du moins en politique.
Le contexte :
Si tout le monde connait le très charismatique Lawrence d'Arabie alias Sir Thomas Edward Lawrence, parti en plein désert chevaucher aux côtés des bédouins, tout le monde ou presque ignore qui fut Gertrude Bell : elle était son aînée de vingt ans et aurait pu lui être comme une tante.
Leurs routes se sont croisées à plusieurs reprises, eux qui partageaient la même obsession pour le Moyen-Orient, la même passion pour l'histoire et l'archéologie, la même volonté de consolider l'Empire, ...
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, français et britanniques s'entendent pour dépecer l'Empire Ottoman vaincu après avoir choisi le côté obscur. Si les français récupèrent des mandats sur le Liban et une partie de la Syrie, les britanniques occupent ce qu'on appelait encore la Mésopotamie, littéralement le pays entre les fleuves (le Tigre et l'Euphrate), de Bassora à Mossoul via Bagdad.
Dans la logique de l'Empire, c'est l'armée des Indes qui est chargée de "pacifier" la région : des milliers de cipayes débarquent à Bassora et c'est la doctrine "anglo-indienne" que l'Empire colonial veut appliquer dans la région.
Dans le même temps, les agents de renseignements de ce que les britanniques appellent à l'époque le Bureau Arabe, ou le Bureau du Caire, l'entendent autrement : ils veulent miser sur les arabes et instrumentaliser les bédouins pour bouter les turcs hors du Moyen-Orient. C'est le rôle diplomatique dévolu à Gertrude Bell puis à Thomas Edward Lawrence pour mobiliser les tribus des bédouins, principalement autour du roi Hussein ben Ali, roi du Hedjaz et Grand Chérif de la Mecque.
Mais après la Grande Guerre, la Grande-Bretagne est exsangue et n'a plus les moyens de ses ambitions coloniales : cela causera la fin du rêve britannique aux Indes (comme on l'a vu dans le bouquin de Lapierre et Collins : Cette nuit la liberté) mais on demande également à Winston Churchill une solution "à moindre coût" pour la Mésopotamie. le trône d'Irak est alors proposé à Fayçal, l'un des fils du Grand Chérif Hussein ben Ali.
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