"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une jeune autrice part sur les traces de son père dans les montagnes d'Iran.
" Dans les pas de Zohre, je marche sur les traces de mon père. Je ne me fraie pas seulement un chemin dans la montagne, je descends et je remonte le long d'un fil ténu. Je dévale derrière Zohre et je le cherche lui. Mon père.
Il est venu par ici, dans les montagnes du nord de l'Iran. Il descendait du Trône de Salomon, la neige couvrait tous ces versants. C'était en 1956, il avait 27 ans, il brassait la neige.
Plus tard, je suis née. Il s'appelait Émile, on l'appelait Milou, je m'appelle Émilie. Il m'a appelée Émilie.
Cela fait trente ans qu'il n'est plus de ce monde et je marche sur ses traces sous les pas de Zohre. J'ai fouillé ses papiers, ses pitons, j'ai interrogé ses témoins, sa jeunesse, je questionne mes souvenirs, mon enfance, je le cherche sur la montagne et dans ma mémoire. "
Sur les pas de son père en Iran
Émilie Talon raconte son expédition en Iran où elle concrétise un projet un peu fou: faire comme son père en 1956 l'ascension du Trône de Salomon et du Damavand, le plus haut sommet iranien. Quand l'escalade prend un tour mémoriel.
Émile, le père d'Émilie qu'on appelait Milou, est mort en 1992. Sa fille n'avait dix ans. Trente ans plus tard, elle décide de partir sur ses traces, d'aller à son tour à l'assaut du Trône de Salomon et du Mont Damavand en Iran. Ce sommet qu'il avait gravé en 1956, à 27 ans. Une expédition qui tient à la fois du pèlerinage, de l'exploit sportif et de l'envie de découvrir des sensations nouvelles dans un monde où le minéral remplace peu à peu le végétal.
Mais avant de partir pour l'Iran, il faut s'approprier cette histoire. Un dossier récupéré dans les affaires héritées après la mort de son père, la bibliographie succincte disponible sur l'alpinisme en Iran et surtout la solidarité entre alpinistes vont lui permettre de poser les premiers jalons. De découvrir qu'en 1954 un premier groupe avait déjà pris la direction de la montagne de Téhéran, que des liens s'étaient alors formés avec les Français.
Quand Michel, Jean, Gérard, André, Milou et Amos, les six membres de l'expédition de 1956, partent pour l'Iran via Beyrouth, ils ont dans leurs bagages le témoignage de leurs prédécesseurs.
Et quand Émilie s'attaque à son tour à la montagne avec son amie Zohre, elle est déjà forte de cette histoire, d'un film tourné à ce moment et des conversations avec les passionnés stéphanois du club alpin. En marchant dans les pas de sa guide, elle marche aussi sur la trace de son père.
Émilie Talon a alors la bonne idée de retracer en parallèle les deux ascensions, 12 juillet 1956 et 6 août 2021. De chercher les différences, de deviner comment il a réagi face à tel obstacle, s'il a eu peur... Il n'est alors plus question de savoir si elle a bien fait d'entreprendre cette ascension, mais de ne pas laisser les émotions prendre le pas sur la sécurité. Mais pour cela, il y a fort heureusement Zohre, véritable ange gardien qui n'hésitera pas à payer de sa personne pour aider Émilie à atteindre son objectif. On ajoutera que ce comparatif entre 1956 et 2021 permet aussi de saisir l'ampleur de réchauffement climatique. Quand son père se battait contre la glace, elle doit éviter les éboulements de pierre. La roche est devenue instable et l'ascension au moins tout aussi dangereuse.
Après un premier récit, Iran, la paupière du jour (ed. Elytis 2021) qui retraçait ses voyages en Iran - où vit une partie de sa famille - Émilie Talon a conjugué ses deux passions dans ce second opus. La montagne, dont on comprend ici combien cet héritage lui est vital et l'écriture qu'elle soigne et peaufine dans de jolies formules où la poésie vient rehausser le récit, ou comme elle le dit si joliment, «croiser des fils ténus tirés d’une grosse pelote». En fouillant les traces, en y mêlant les souvenirs, les échanges avec les spécialistes et les journaux intimes, elle parvient à en démêler les nœuds pour nous offrir «quelques centimètres d’une tresse» que nous pourrons ceindre de cette belle citation: «Le bec de la plume peigne la chevelure du langage.»
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