"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un cerf sauvage se pliera à ce qu'on lui a inculqué pourvu qu'on l'ait capturé et pris en main encore jeune. Mais qu'on lui passe la bride une fois adulte, et il se débattra comme un dément pour faire voler ses liens, quitte à ruer dans les flammes ou l'eau bouillante. Et vous aurez beau le parer d'un harnais en or ou lui présenter les nourritures les plus exquises, rien n'y fera, il ne cessera de languir de sa forêt natale, tendu de tout son coeur vers ses riches herbages.
Tsi K'ang (223-262), poète, musicien et penseur chinois de l'époque des Trois Royaumes, s'était déjà de son vivant imposé comme l'un des personnages les plus marquants de son siècle. Il continue aujourd'hui de fasciner le public chinois, dans un mélange incertain d'admiration ardente et de franche réprobation. Ce bref essai s'est construit en gravitant autour de sa «Lettre de rupture» qui, rédigée peu de temps avant que Tsi K'ang finisse décapité, constitue un moment remarquable dans l'histoire de la genèse et du développement de l'individu en Chine ancienne. Il faut y voir la tentative confirmée d'un lettré qui s'affirme comme l'unique auteur de sa vie.
Mais cette «proclamation d'indépendance» recèle d'autres motivations plus complexes qui exigent de son lecteur ou de son interprète de la considérer comme une fugue à sujets multiples.
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