"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En 1984, deux jeunes frères exilés aux États-Unis retournent au Guatemala, au coeur de la forêt de l'Altiplano, participer à un camp de survie pour enfants juifs où les envoient leurs parents afin qu'ils n'oublient pas leurs racines. Mais un matin, les enfants, réveillés par des cris, découvrent que le camp s'est transformé en une chose bien plus sombre. Les raisons et les ramifications de cet épisode de l'enfance du narrateur ne commenceront à s'éclaircir que des années plus tard au fil de rencontres fortuites - à Paris avec une lectrice de Salinger devenue avocate, ou à Berlin avec un ancien instructeur en chef du camp, aux yeux d'un bleu changeant, qui se promenait avec un serpent dans la poche et une énorme tarentule sur le bras. Entrelaçant passé et présent, réalité et fiction, Eduardo Halfon tisse un récit foisonnant de symboles pour toucher du doigt les fondements de son identité : le cadre strict et rigoureux de la religion juive et le giron enveloppant et maternel du Guatemala.
Eduardo Halfon entre immédiatement dans le vif du sujet avec le séjour que lui et son frère ont passé dans un camp d'enfants juifs au Guatemala, dans lequel leurs parents ont décidé qu'ils iraient alors qu'ils avaient fui ce pays, le leur, trois ans plus tôt pour les États-Unis à la fin de l'été 1981. Mais à treize ans il n'a que faire d'être juif. Pire, il déteste, surtout par la manière très autoritaire de son père d'imposer la pratique du judaïsme.
Il nous emporte dans son histoire et les souvenirs de sa vie et c'est instantanément captivant. D'abord parce que ça parle d'une enfance que nous, petits Français, on n'a pas eue. Une enfance dangereuse dans un pays dangereux. Il apprend les techniques de survie et ça m'a semblé intéressant ! Et en même temps, est-ce bien normal ? Non, si on vit au milieu de la civilisation. D'autant que les méthodes utilisées dans ce camp sont extrêmement douteuses, violentes et abjectes.
L'auteur nous emmène de ces souvenirs-là dans ces lieux-là de son enfance à ceux de l'âge adulte à Berlin, Paris... Il saute d'une époque à l'autre, d'un lieu à l'autre, pour mieux y revenir. Il nous parle des souvenirs, de la fiabilité de ceux-ci et j'avoue que j'ai trouvé ça très troublant. Car la mémoire est infidèle bien souvent et le cerveau lui-même nous trompe parfois en réinterprétant les choses vues, nous donnant des certitudes à partir d'approximations car il aime combler les trous, puisque la nature a horreur du vide.
Outre le thème de la mémoire, la judéité est au coeur même de ce récit, comme si tout juif avait deux identités : juif en plus d'une nationalité, ici en l'occurrence guatémaltèque et je n'ai pas l'impression que ce soit aussi prégnant dans les autres religions. Sans doute parce qu'aucune autre n'a été aussi maltraitée que celle-ci depuis toujours, et continue de l'être.
Il nous parle de la reconnaissance entre juifs quasi-instinctive qui ne s'explique pas. Il nous raconte les enterrements juifs, où la douleur s'exhibe...
Des souvenirs d'enfance traumatiques et une mémoire hasardeuse...
Partout dans le monde il y a des gens qui haïssent les Juifs et des Juifs qui pensent que le monde entier les hait.
Comme les pièces d'un puzzle qui s'imbriquent, les souvenirs peu à peu donnent une idée de ce qui est arrivé et pourquoi. Mais la mémoire n'étant pas d'une fiabilité absolue, quelle est la part de vécu et la part de fiction dans un récit autobiographique ? Car Eduardo Halfon va être confronté des années plus tard à la fragilité de ses réminiscences lorsque le passé réapparaîtra dans le présent.
J'ai vraiment trouvé très intéressant ce récit qui en vient à faire douter de ses propres souvenirs, et de fait qui interroge sur la fiabilité d'un témoignage.
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