"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"Dans Montaigne ne m'émeut et ne m'occupe aujourd'hui que ceci : comment, dans une époque semblable à la nôtre, il s'est lui-même libéré intérieurement et comment, en le lisant, nous pouvons nous-mêmes nous fortifier à son exemple. Je vois en lui l'ancêtre, le protecteur et l'ami "de chaque homme libre" sur terre, le meilleur maître de cette science nouvelle et pourtant éternelle qui consiste à se préserver soi-même de tous et de tout".
J’adore lire les biographies de Stefan Zweig. Avec son écriture fluide et qui semble si facile, il a le don de transmettre son immense culture avec enthousiasme et nous faire connaitre les personnages sous un angle particulier et nous rendre curieux.
Non seulement je n’ai jamais lu Montaigne mais je ne connaissais rien de lui avant de lire cette courte biographie.
C’est en attendant l’heure d’une dédicace d’Yves Ravey, que j’ai flâné dans la rue des Écoles près de la Sorbonne et me suis arrêtée devant la statue en bronze de Montaigne. Il m’apparût bien bel homme mais il ne mesurait qu’ 1m57. (I faudra que je retourne voir cette statue). En errant dans la Librairie Compagnie, j’ai vu sur une des tables, une biographie non lue, signée Zweig quand je croyais les avoir toutes dans la bonbonnière de ma bibliothèque. Comme une collectionneuse effarée, j’en ai bien entendu fait l’immédiate acquisition.
A grands traits, je pense que la vie de Montaigne est livrée de façon complète de l’enfance à sa mort.
Pourtant Zweig sait y insuffler autre chose que le reflet d’une vie mais celle d’un homme chez qui il retrouve un réconfort dans la mesure où sa propre vie rencontre des similitudes.
Entre autre, celle de l’homme éduqué qui ne va pas chercher noise et qui aime rester dans sa bulle mais que le monde vient perturber à son insu.
Montaigne va naturellement créer sans se rendre compte que ce qu’il écrit, va rencontrer l’âme du plus grand nombre et que la notoriété va le faire connaître mondialement et le faire demander par les grands de son monde dont les rois et le pape…
Montaigne, de riche éducation et héritier fortuné, bien qu’il sera fort attiré par la gente féminine, (il terminera sa vie auprès de Marie de Gournay pas plus âgée que sa fille cadette), n’aura que peu d’attention ni à une épouse de complaisance auquel il est lié, ni à ses enfants qu’il ignore, pas plus qu’à l’héritage du patrimoine et négoce bordelais qui l’importunent plus qu’autre chose.
Il va se confiner dans une tour de sa propriété. Et c’est dans cette citadelle que Montaigne deviendra Montaigne. Là où il va lire, écrire, noter et faire un travail sur la connaissance de lui-même, se centrer sur soi, se bâtir. « Il s’épie, il s’observe, il s’étudie et devient comme il l’écrit, ‘ma métaphysique, ma physique’. Il ne se quitte pas du regard (…’Il n’est plus seul, il devient double’. (…) son moi évolue constamment ‘ondulant’, (…) le Montaigne d’hier est différent du Montaigne d’aujourd’hui. »
Mille questionnements jusqu’au fameux… « Que sais-je ? » empreint de sincérité et d’une humilité qu’il s’inflige malgré son vaste savoir intellectuel et surtout réfutant tout droit à détenir une vérité.
Après deux ans de lectures et d’introspection sur « Qui suis-je ? », Montaigne va se déconfiner.
Voilà ce que, rapporté par Zweig, résonne bruyamment dans notre actualité de 2020 :
« (…) aussi longtemps qu’on est propriétaire, on s’attache à la propriété ou bien elle s’accroche à nous de ses mille petites griffes, et une seule chose nous vient en aide : la distance, qui transforme toutes choses. Seule la distance extérieure permet la distance intérieure : ‘Absent, je me dépouille de tels pensements, et sentirais moins lors de la ruine d’une tour que je ne fais à présent de la chute d’une ardoise.’ Celui qui se restreint à un lieu confiné tombe dans l’étroitesse. Tout est relatif. Depuis peu, Montaigne ne cesse de répéter : ce que nous nommons soucis n’a pas de poids unique. Nous seuls les exagérons ou les diminuons. Ce qui est proche de nous nous touche plus que ce qui est éloigné, et plus nous nous cantonnons dans des proportions étroites, plus l’étroitesse nous pèse. »
Après ce temps de réclusion volontaire, Montaigne, le sédentaire, retournera dans le monde avec une envie de voyager. Prévoyant, il organise son absence de façon à retrouver sa vie sans problèmes quand il reviendra au château de Montaigne. Il voudra un voyage hors itinéraire touristique et se laissera pousser par le vent et lui-même jusqu’en Italie. Le ‘moi’ en exode pendant plus de deux ans.
Les Essais auront été publiés et à son étonnement le livre rencontrera un succès retentissant jusque dans la cour des plus grands dont le Pape qu’il rencontrera à Rome. Henri III et les Bordelais l’obligeront à revenir de son périple pour devenir maire de la ville de Bordeaux alors qu’il n’en a pas du tout envie puis enfin il déclinera l’invitation de rejoindre la cour d’Henri IV dont il a été le conseiller.
Pourtant, il sera confronté à la peste et devant le danger et la peur de l’épidémie meurtrière, sa belle philosophie ne sera plus de mise. Il fuira et comme tout un chacun voudra sauver sa peau.
Époques aux destins similaires – Rechute de l’humanisme dans la bestialité « un de ces accès sporadiques de folie qui saisissent parfois l’humanité » :
« Un flot de richesse se répandait sur la vieille Europe, créant le luxe, et le luxe à son tour créait des édifices, des tableaux, des statues, tout un monde embelli, spiritualisé. Mais toujours, quand l’espace s’élargit, l’âme s’ouvre. (...) Mais toujours, quand la vague monte trop haut et trop vite, elle n’en retombe que plus violemment, comme une cataracte. (…) les éléments de la renaissance et de l’humanisme qui semblaient apporter le salut devinrent poison mortel. (…) Furor heologicus, au lieu de l’humanisme c’est l’intolérance qui triomphe. Dans toute l’Europe, une meurtrière guerre civile déchire chaque pays, tandis que, dans le nouveau monde, la bestialité des conquistadores se déchaîne avec une cruauté sans égale. Le siècle de Raphaël et de Michel-Ange, de Dürer et d’Erasme retombe dans les atrocités d’Attila, de Gengis Khan et de Tamerlan.»
Zweig considère Montaigne comme un écrivain protecteur et ami mais aussi comme un exemple :
« Seul celui qui reste libre de tous et de tout accroît et préserve la liberté sur terre. »
Cette lecture nous en apprend autant sur Zweig que sur Montaigne, deux écrivains qui défient le temps.
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