"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'étau se resserre autour de Léon Trotski. Il est accusé de tous les maux, même les plus fous. Ses amis se détournent de lui ou disparaissent dans des circonstances mystérieuses. Malgré le danger, il reste convaincu du bien-fondé de son opposition à Staline. Il fuit en Turquie, en France, et enfin au Mexique, où son destin va croiser celui de Ramon Mercader, un jeune communiste espagnol, qui deviendra son assassin.
Traduction de René Solis et Elena Zayas.
Dans les années 70, Iván, un jeune Cubain, sympathise sur une plage de La Havane avec un homme âgé et malade qui, au fil de leurs rencontres, lui raconte l’histoire de Ramón Mercader, l’assassin de Trotski.
Dans les années 30, Mercader est un jeune communiste espagnol, engagé dans la guerre d’Espagne contre les troupes de Franco. Il ne tarde pas à être recruté par l’URSS, et est envoyé à Moscou pour y être formé en vue d’une mission censée changer le cours de l’Histoire : l’assassinat de celui que Staline ne cesse de désigner comme l’infâme traître à la Révolution : Trotski.
En parallèle de ce récit, l’auteur retrace aussi l’histoire de ce même Trotski à travers ses différents exils à partir de 1929 jusqu’à Mexico en 1940, en passant par la Turquie, la France et la Norvège.
Enfin, un troisième fil narratif est tissé, entrelacé aux deux autres, celui du parcours d’Iván, écrivain raté, coincé entre loyauté à la Révolution castriste et vicissitudes de la vie quotidienne étriquée des Cubains.
Les vies de Trotski et Mercader sont racontées avec force minutie, entre événements historiques et questionnements existentiels sur la responsabilité, la culpabilité, le courage, la loyauté, la lâcheté, la persévérance et l’utilité de continuer à dénoncer les crimes de Staline d’une part, et d’autre part d’investir autant de moyens pour abattre un Trotski dont on se demande quel danger réel il représente encore.
Quant aux déboires d’Iván, ils occupent moins de place mais témoignent bien de l’atmosphère délétère et étouffante régnant à Cuba dans les années 60.
Ces trois personnages ont en commun d’avoir connu (et commis) trahisons, mensonges, manipulations, violences et drames, et de s’interroger sur le sens de leur vie : cela en valait-il la peine ? Aurait-on pu/dû agir autrement ?
Leonardo Padura a accompli un gigantesque travail d’enquête et de documentation pour reconstituer les faits et la vie quotidienne (forcément romancée faute de certitudes) de ces deux personnages historiques.
Avec cette somme, il veut dénoncer la propagande et l’idéologie communistes qui ont coûté la liberté et la vie de millions de gens à travers le monde. Il raconte aussi la révolte, l’écœurement ou la résignation de ceux qui y croyaient vraiment et qui ont fini par comprendre que leur idéal avait été dévoyé par les monstrueux appétits de pouvoir de quelques-uns. Un terrible gâchis sur la fin d’une utopie et la perte des illusions, qui prend ici la forme d’un suspense même si on en connaît la fin.
J’ai trouvé cependant que la tension du récit se relâchait par moments à cause de longueurs et de répétitions, et s’encombrait d’une foule de détails où je me suis parfois perdue (les différentes factions communistes, la succession de purges staliniennes), ainsi que de réflexions psychologiques à la limite du romantico-larmoyant.
Histoire passionnante, mais le récit se traîne en longueur (Oui, Staline était très méchant, mais on est au courant et c'est répété trop souvent) et le dispositif (le récit de Mercader mis en perspective par rapport à la vie d'un autre) n'a pas fonctionné à mes yeux.
Des regrets, car l'ambition est noble et le sujet porteur....
L'écrivain est connu pour ses romans policiers cubains. Et si vous ne le connaissez pas encore je vous enjoint fortement à le lire. Mon préféré étant « les brumes du passé ».
Ici, changement de genre. Padura nous plonge dans un roman historico-politique sur deux protagonistes Lev Davidovitch Bronstein alias Léon Trotski et Ramon Mercader alias Jacques Mornard, le tueur au piolet.
Le premier est assez connu, disciple de Lénine, ministre de la guerre pendant la grande révolution de 1917 et adversaire déclaré de Staline « fossoyeur de la révolution ». le second, militant communiste catalan, reste un mystère malgré l'ouverture des dossiers secrets des archives de Moscou.
Historiquement, après avoir purgé sa peine à Mexico (pour l'assassinat de Trotsky le 20 août 1940), et vécu à Moscou, Ramon Mercader a passé les dernière années de sa vie à Cuba où il mourut à la havane à la suite d'un arrangement entre les services de renseignement cubains et soviétiques. Certains habitants de l'île se souvenaient de cet homme promenant ses deux lévriers, des Barzoï, sur la plage de Santa Maria del Mar.
Il existe un troisième narrateur, Ivan, un écrivain cubain qui intercale son récit et qui ne connaît de l' histoire que ce qu'il a pu en apprendre dans les manuels soviétiques dans lesquels, Staline restait un grand leader.
Ces trois narrations racontent, au fond, la même histoire : celle des communistes qui ont vu s'écrouler leur foi révolutionnaire et qui, confrontés au vide, sombrent dans le cynisme ou le désespoir.
Elles s'alternent dans un récit à la troisième personne explorant et imaginant, avec un sens minutieux de l'intériorité, la vie et l'environnement des trois personnages, jusqu'à leur mort.
L'homme qui aimait les chiens alterne donc l'exil de Trotsky et les années de formation de Mercader, la déchéance de l'homme public et la montée en puissance de l'homme de l'ombre. L'errance de Trotsky, de la Sibérie au Mexique en passant par une petite île de Turquie et l'Europe, s'articule avec l'effervescence de la République espagnole qui se précipite dans la guerre civile et jette les militant comme Mercader dans les bras de Staline.
Le récit d'Ivan écrivain en proie à l'auto-censure se déploie autour de sa rencontre avec un vieil homme sur la plage avec qui il engage une conversation intermittente sous l’œil distant d'un agent de la sécurité de l’État.
Pour vous en dire un peu plus sur les personnages :
Mercader, jeune homme falot mais doué pour l'action est d'abord montré qomme une argile meuble que deux femmes, en Espagne s'emploient à dégrossir : sa mère bourgeoise en révolte devenue pasionaria stalinienne et Africa, prototype de la jeune révolutionnaire inflexible. Pour leur complaire, il s'engage dans les forces républicaines et y rencontre son mentor en la personne d'Eitingon, un conseiller envoyé par l 'Union Soviétique. Ce maître espion achève de modeler le jeune homme en lui donnant les traits qui conviennent : ceux d'un assassin. Tel un coach, véritable directeur de conscience il protège son poulain des autres courants anarchistes et trotskistes pourtant alliés qui pullulent à l'époque pour mieux en faire un croisé de Staline.
De même, Padura allie les connaissances historiques avec l'extrapolation psychologique pour établir le parcours de sa victime. Chassé d'URSS par Staline le fondateur de l 'Armée Rouge va d'un pays à l'autre subissant partout les avanies commandées du Kremlin, avant d'échouer à Mexico. Le roman livre un portrait pathétique de l'homme qui se débat, tente de maintenir un semblant de combativité auprès de ses partisans et d'écrire une biographie vengeresse ainsi que l'histoire de la Révolution. Mais las, ses amis meurent assassinés, sa famille est dispersée, sa foi vacille, ses finances s'épuisent et la seconde Guerre Mondiale s'annonce avec les fascistes au pouvoir.
L'auteur est un véritable conteur, passe des vies de l'un et de l'autre aisément grâce à une écriture qui coule. Un roman dense, didactique.
Fresque foisonnant de détails historiques adroitement mêlés à la fiction, L’homme qui aimait les chiens emmène le lecteur à Cuba, d’abord, puis en Espagne, en Union soviétique (l’ex-URSS), en Turquie, en France, en Norvège et enfin au Mexique, suivant le parcours extraordinaire de Lev Davidovitch Bronstein, plus connu sous le nom de Léon Trotski.
L’auteur, Leonardo Padura, est un écrivain cubain confirmé qui s’est rendu célèbre grâce à ses romans policiers. Avec talent, il mène de front le récit que fait Iván, un écrivain à la peine, installé à La Havane en 2004, et la vie mouvementée de Trotski. Sans concession pour la situation de son pays, il rappelle : « …des années irréelles, vécues dans un pays obscur et lent, toujours chaud, qui s’effondrait plus chaque jour. »
Brusquement, on délaisse Cuba pour se retrouver à Alma-Ata, ville du Kazakhstan (Almaty aujourd’hui), le 20 janvier 1920, avec Trotski, Natalia Sedova, son épouse, leur fils, Liova, et leur chienne, Maya, de la race barzoï. Mis à l’écart, déportés par Staline, les voilà maintenant, par moins 40 degrés, près de Samarkand, en Ouzbékistan aujourd’hui.
Enfin, voici Ramón Mercader, en pleine guerre civile d’Espagne, avec sa mère, Caridad, qui lui demande de tout donner pour la cause. L’auteur décrit bien l’ambiance et les luttes internes entre les diverses composantes du camp républicain. Le récit foisonne d’anecdotes. Il est haletant aussi alors que chacun sait comment cela va se terminer…
Grand amateur des livres de Raymond Chandler, Iván, sur la plage de Santa María del Mar, lit la nouvelle intitulée « L’homme qui aimait les chiens », publiée en 1936. Sur cette même plage, il se lie avec un homme étrange qui vient faire courir là ses deux lévriers russes, des barzoïs encore. Cet homme dit s’appeler Jaime López.
Au fil des pages, le lecteur s’attache aux pas de Trotski, travailleur acharné qui, dans sa sévère disgrâce, réalise ses propres erreurs et comprend toute l’horreur d’une dictature stalinienne qui élimine sans cesse tous ses compagnons de route. En 1932, Trotski et sa famille perdent leur citoyenneté soviétique. Il est même déclaré : « Ennemi du peuple » alors qu’en URSS, des millions de paysans meurent de faim, des centaines de milliers d’hommes et de femmes se retrouvent dans des camps de travaux forcés, des colonies de déportation et vivent pieds nus…
Après une île turque, Trotski peut vivre en France, à Saint-Palais (Charente), à Barbizan et même Chamonix et Domène (Isère). Pourchassé et inquiété aussi bien par les communistes staliniens que par les « cagoulards » fascistes, il se réfugie en Norvège où il reconnaît que « le stalinisme s’avérait être la forme réactionnaire et dictatoriale du modèle socialiste. »
En parallèle, nous suivons le parcours de Ramón Mercader, conditionné pour commettre l’irréparable alors que disparaissent peu à peu tous les proches de Trotski. À Mexico, nous rencontrons Diego Rivera et Frida Kahlo qui hébergent le proscrit. Tout le stratagème de son futur meurtrier est méthodiquement décrit avec juste ce qu’il faut de fiction pour mener le lecteur au bout de ce qui reste inéluctable : l’assassinat.
"L’homme qui aimait les chiens" est une fresque passionnante qui donne envie d’en savoir plus sur toute cette époque et nous conte enfin ce qui fut la suite de ce drame mexicain.
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Extraordinaire roman historique de Leonardo Padura dont on devine une richesse documentaire pour parvenir à rendre captivant les destins de Lev Trotski et de Ramon Mercader, son assassin. Plus que de l'espionnage, L'Homme qui aimait les chiens est surtout une immense tragédie s'appuyant sur une réalité historique la rendant d'autant plus douloureuse.
D'abord parce que l'opposition entre Trotski et Staline est impressionnante de justesse sans tomber dans l'hagiographie dégoulinante. L'exilé apatride y apparait comme un être supérieurement intelligent, capable de s'interroger sur les éventuelles erreurs commises lors de la Révolution d'Octobre. Mais il n'en fait pas un saint. Loin de là. Simplement un homme complexe, contradictoire et condamné à voir sa famille et ses proches se faire décimer par Moscou.
Le cas Ramon Mercader effraie car son embrigadement, son remodelage par le NKVD et son lavage de cerveau pour le conditionner à accomplir sa mission. Padura pose la question de la dissolution de l'identité et des dangers à dissoudre cette dernière pour les besoins d'une "grande cause". Mercader est l'incarnation même de la victime tragique, dépassée puis broyée par un système plus implacable qu'il ne sera jamais. Il croit aider à l'accomplissement de la Révolution socialiste alors qu'il n'est que le bras armé d'une vengeance personnelle et mesquine, à l'image du Moustachu du Kremlin. Le dernier acte est d'ailleurs magistral dans l'évocation en quelques pages d'une vie gâchée par une soi-disant supériorité morale lui conférant le droit de recourir aux actes les plus monstrueux.
Vient la dernière couche narrative où Ivan, un écrivain raté cubain (fictif), rencontre par hasard un Mercader à l'article de la mort à la fin des années 70. Cette partie agit comme le dernier clou dans le cercueil de l'Utopie socialiste où les fantasmes égalitaires d'antan sont devenus des sévices sécuritaires, mensongers et paranoïaques. Car, le sentiment dominant dans l'Homme qui aimait les chiens est celui de la Peur, sous toutes ses formes. Padura signe une fresque dense et captivante (on pardonnera la vision un peu facile de l'auteur pour Sylvia Agenoff), une Internationale des rêves brisés.
Magnifique fresque historique, roman policier aussi à l'issue connue et qui tient pourtant en haleine. La lutte entre Trotski et Staline est superbement décrite. Admirable.
intéressant car je ne connaissais pas la vie de celui qui assassina Trotsky mais on comprend l'endoctrinement qui mène à des actes terroristes et la proie facile que constitue la jeunesse désoeuvrée
Voilà donc ce gros roman (671 pages, en comptant les remerciements, importants) ! Celui qui m'a empêché de lire et donc de chroniquer d'autres livres pendant une bonne semaine (j'avais un peu d'avance et donc vous n'avez pas été privé des mes billets. Ouf !) Le lecteur qui, comme moi, se dit que sur une telle quantité de pages, il peut en passer quelques unes voire plusieurs, pour avancer plus vite se trompe. Ce roman est tellement dense, que chaque mot compte et que même si l'on a envie d'aller vite, Leonardo Padura, par je ne sais quel prodige, nous oblige à le lire mot à mot.
Construit en chapitres parallèles, qui parfois s'entrecroisent cependant -un comble pour des parallèles !), Leonardo Padura raconte la vie de Léon Trotski, depuis le début de son exil jusqu'à sa mort, celle de Ramon Mercader, son assassin, et celle d'Ivan.
Le plongeon dans la vie de Lev Davidovitch (Trotski) est historique. Formidablement documenté, Padura narre en détails ce qu'a été l'exil de Trotski, d'abord en Turquie, puis en France, puis en Norvège pour finir au Mexique, recueilli par Frida Kahlo et son mari Diego Rivera. Trotski, sans jamais douter du bien-fondé de sa pensée, de son opposition à Staline, malgré le sort qui lui est réservé, se retrouve souvent en situations délicates. Il souffre, il se pose des questions dues à son isolement, sur sa vie, sur ce qu'il fait endurer aux siens
Parallèllement, Padura raconte aussi l'embrigadement, le lavage de cerveau qu'a subi Ramon Mercader, jeune Espagnol communiste pour devenir le futur assassin de Trotski. Très romancé, puisque très peu de choses sont connues sur ce Mercader, l'écrivain nous livre une version très crédible des assurances et des doutes du jeune homme. Sa transformation est quasi totale, rapide et impressionnante. Il ne vit que pour LA tâche qu'on lui promet : assassiner le renégat.
Et puis, Leonardo Padura invente Ivan, le vétérinaire raté, l'écrivain cubain frustré qui rencontre Jaime Lopez (ou Ramon Mercader ?) sur une plage de Cuba dans les années 70. Ce personnage fictif est là pour nous montrer ce qu'était Cuba dans ces années-là : avant 1989 et la chute du mur de Berlin, très peu de nouvelles passaient à La Havane et sûrement pas celles concernant une éventuelle opposition à l'URSS ; les Cubains ne savaient rien non plus des crimes de Staline avant cette date. Alors, Trotski, vous pensez bien qu'ils ne savaient pas qui il était. On s'étonne tout au long du livre de l'aveuglement total des dirigeants soviétiques et de tous les autres dirigeants sur les crimes perpétrés par Staline. Comment les hommes ont-ils pu fermer les yeux sur tant de meurtres, de folie, sur une telle terreur ? Comment certains ont-ils pu rester fidèles au communisme russe même après avoir connu ces horreurs ?
J'aurais tellement à dire et à citer de ce roman que je crains d'être trop long. Encore un excellent bon point pour vous donner envie : bien que l'on sache la fin, puisqu'elle est historique, Leonardo Padura trouve le moyen de créer un suspense terrible dans les 100 pages qui précèdent l'assassinat de Lev Davidovitch par Ramon Mercader. Comme dans un roman policier (que Padura écrit aussi d'ailleurs ; lisez son très bon Les brumes du passé), on lit ces pages en tremblant (comme Mercader dans les dernières minutes craignant de subir "le souffle de Trotski"), avide d'arriver au geste fatal. Quel talent !
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