"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
LIGNES DE VIE D'UN PEUPLE Conçue par les ateliers henry dougier (fondateur des éditions Autrement), cette collection « raconte » les peuples aujourd'hui, trop souvent invisibles. Elle met en scène leurs valeurs, leurs interrogations, leurs créations, leurs passions partagées dans une grande enquête tissée d'histoires fortes, révélatrices de leur culture profonde.
LES UKRAINIENS Les Ukrainiens, qui sont-ils ?. Oukraïna signi?e « aux con?ns », et les Ukrainiens sont par conséquent « ceux des con?ns », rendus presque éphémères par la puissance du maelström géopolitique ac- tuel. Si l'Ukraine fait la Une, les Ukrainiens, eux, plus rarement : un reportage à chaud, produit dans l'instant, n'offre que rarement au lecteur la possibilité de saisir l'esprit d'une nation en devenir, résultat d'un passé complexe et lointain.
Il est temps de ramener les Ukrainiens « des con?ns » au centre du récit. C'est l'objet de ce livre : amener le lecteur à une connaissance des Ukrainiens détachée de la fébrilité actuelle. Découvrir ce peuple « du sud », chaleureux, émotif, prêt à faire la fête, malgré une identité ?oue, un territoire malmené par l'histoire, un manque d'as- surance exacerbé par les fractures identitaires, sociales et géogra- phiques, et dont la crise actuelle ne fait que dramatiser les enjeux.
Le titre appartient à la collection au nom évocateur, Lignes de vie d’un peuple. L’auteure, Sophie Lambroschini, fut journaliste, a travaillé longtemps en Russie et en Ukraine, elle est aujourd’hui chercheuse en histoire à Berlin. On apprend aussi au détour d’un paragraphe qu’elle a vécu en Ukraine. Si cette collection ne manque pas d’évoquer les célèbres atlas des Éditions Autrement, c’est peut-être parce que le fondateur de la maison d’Éditions, Henri Dougier, fut également le fondateur des éditions Autrement, qu’il a cédées en 2011. C’est d’ailleurs par la publication de cette collection que la maison d’édition qui porte son nom a débuté.
En tout premier lieu, il me semble important de le préciser, il n’y a pas de chapitre consacré à cette partie de la guerre russo-ukrainienne, celle qui a commencé ce funeste 24 février : l’auteure le précise en introduction, le texte été rédigé avant que Poutine ne se décide à lancer cette invasion en début d’année. Quatre grands chapitres composent ce livre : le premier sur l’histoire du pays, le deuxième sur la diversité des origines de la population ukrainienne et de sa mixité, le troisième sur l’esprit entrepreneurial des Ukrainiens, le quatrième sur les femmes ukrainiennes et le cinquième et ultime chapitre sur la guerre au Donbass. Le livre est également doté d’une belle carte détaillée et en couleur – l’indispensable pour un pays qui nous est inconnu – ainsi que d’annexes très complètes sur des ouvrages à lire pour approfondir sa lecture sur le sujet et une chronologie rappelant les dates importantes du pays. Si vous avez peur d’être noyé sous un tas d’informations très formelles, il n’en ait rien, l’exposé de l’auteure n’a rien de rébarbatif, ce n’est pas du tout une lecture fastidieuse, comme certains ouvrages historiques peuvent l’être. Au contraire Sophie Lambroschini a fait en sorte de rédiger un texte clair et agréable à lire, ventilé par un découpage régulier en paragraphes, jugulant ainsi le nombre d’informations qu’elle nous distribue tout en prenant le temps d’exploiter au mieux chaque précision qu’elle choisit de nous livrer.
J’ai littéralement dévoré ce livre. C’est dire à quel point Sophie Lambroschini ne se perd pas dans des explications sans fin. Si effectivement, il ne parle guère de l’attaque des Russes du 24 février dernier, en revanche, il met en lumière tous les événements antérieurs, les relations conflictuelles avec ce voisin trop expansif, qui ont amené la Russie à attaquer l’Ukraine, et en premier lieu, l’annexion de la Crimée en 2014. Il s’agit d’apprendre à connaître ce peuple, à appréhender leur identité, apprendre leur racine, leur histoire, leur culture. Et qui dit histoire et culture, dit exposer les principales étapes qui ont forgé ce pays tout neuf dans cette unicité qui est la sienne aujourd’hui, des mouvements migratoires, et les personnalités qui constituent les grandes figures de ce peuple ukrainien : et en premier lieu le poète Taras Chevtchenko, qu’elle désigne comme « principal personnage consolidateur » du pays, auteur du recueil de poèmes Kobzar.
Ce livre m’a permis de relier entre eux les différents événements que sont la fin de l’URSS, la révolution orange, la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée, la guerre au Donbass et finalement la bataille actuelle d’une guerre qui a commencé à l’indépendance du pays. Et de mieux comprendre cette coexistence de la langue ukrainienne, et de la langue russe, utilisée par beaucoup d’auteurs à commencer par Andreï Kourkov, qui sont pourtant de fervents patriotes. J’ai particulièrement apprécié les passages consacrés aux femmes et hommes de lettres, dont les œuvres ne nous sont malheureusement pas encore parvenues en France. Si ce livre est réussi, c’est enfin parce qu’il est ponctué d’anecdotes personnelles, de personnes envers lesquelles l’auteure est allée à la rencontre et dont elle prend soin de nous relater, détail par détail. Je pense ici notamment à ce couple, Ivan et Svetlana Plachkov, à la tête de Kolonist, leur entreprise vinicole, à Valentin, qui travaille au noir dans une mine au Donbass. Mais ce qui participe aussi à l’exhaustivité du récit de l’historienne, c’est son recours, à chaque chapitre correspondant, à des spécialistes de la question, qui nous donne une vision pointue sur la situation des Ukrainiens. Je ne suis pas partie pour finir de chanter les louanges de ce titre. En effet, Sophie Lambroschini a choisit de dévoyer un chapitre entier aux femmes ukrainiennes, ce qui ma foi est une excellente chose dans la mesure où ce sont aussi elles qui font marcher le pays, toujours dans l’ombre.
L’auteure nous parle des problématiques sociales du pays, dont ce phénomène qu’évoquait Artem Chapaye dans son roman Loin d’ici, près de nulle part, ces mères qui partent travailler dans des pays plus riches et qui sont demandeurs de main d’œuvre peu qualifiée et bon marché : ces mères qui laissent derrière elles ces « orphelins » sociaux ». Un seul reproche que je ferais, c’est le fait de ne pas avoir évoqué le recours massif, intensif, donc abusif à la PMA et à la GPA, comme le montre Sofi Oksanen dans son roman Le parc à chiens, qui est devenu malheureusement une manne économique non négligeable pour certaines Ukrainiennes. Ce que la guerre a d’ailleurs mis en lumière à travers ces bébés bloqués dans le pays avec leur mère porteuse.
Vous l’aurez compris, j’ai aimé ce titre de la première à la dernière ligne, l’auteure a su trouver un ton juste et pédagogue pour ne pas transformer ses chapitres en leçons poussiéreuses d’histoire, de géographie ou géopolitique. Bien au contraire, en reliant son texte à l’actualité et au présent, elle effectue un rapprochement entre le lecteur et le pays, dont nous connaissons désormais les couleurs du drapeau par cœur. Et, encore une fois, rien ne vaut, les différents témoignages dont elle se fait l’entremetrice. J’envisage de me procurer d’autres ouvrages de la même collection, notamment ceux que je cite ci-dessous ou encore le numéro consacré à la Roumanie.
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