"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans les montagnes près de la frontière entre l'Italie et la Slovénie, un vieil horloger a pour habitude de camper en solitaire. Une nuit d'hiver, une jeune tsigane entre dans sa tente et lui demande de l'abriter. Elle a fui sa famille et le mariage forcé qu'on lui imposait de l'autre côté des montagnes. Cette rencontre inaugure une entente faite de dialogues nocturnes sur les hommes et la vie, un échange de connaissances et de visions - elle qui croit au destin, aux signes, qui sait lire les lignes de la main, elle qui dresse un ours et l'aime comme le meilleur des amis ; lui qui se sent tel un rouage de la machine du monde et qui interprète ce monde selon les règles du Mikado, comme si le jeu était une façon de mettre de l'ordre dans le chaos. Dans ce roman dense et délicat, où chaque mot ouvre sur des significations plus profondes, où chaque phrase est un chemin vers soi-même, Erri De Luca nous invite à un jeu calme, patient et lucide, dans lequel un mouvement imperceptible peut changer le cours de la partie.
Dans ce court roman, aucune description, aucune narration : ce sont les voix qui font avancer l’histoire. Les voix d’une jeune fille et d’un vieil homme.
“- Qui es-tu ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Je suis quelqu’un qui crève de froid. J’ai vu la tente et je suis entrée.”
Lui est un ancien horloger qui a fait fortune, qui aime camper, seul, en montagne et jouer au Mikado pour conserver la précision de ses gestes. Elle est une gitane qui a fui sa famille pour éviter un mariage forcé et qui a traversé les montagnes, seule, de la Slovénie à l’Italie.
Dans la majeure partie de ce livre, qui n’est qu’enchaînement de répliques courtes et franches, les deux protagonistes s’apprivoisent peu à peu, une question après l’autre, coup après coup, comme dans une longue partie de Mikado. Dans le dialogue point une réflexion subtile sur l’âge, où la fougue de la jeunesse - lorsqu’elle n’est pas dénuée d’expérience - et l’expérience de la vieillesse, quand elle n’est pas obsolète, se révèlent être de parfaits compagnons. “Tu es vieux, mais tu ignores beaucoup de choses.”
Tout aussi surprenante, la dernière partie délaisse la forme du dialogue - “certaines choses ne peuvent se dire que dans une lettre.” Le lecteur a alors toujours affaire à une voix, mais cette fois à l’écrit, pas à l’oral. Une voix qui le malmène quelque peu et qui l’emmène ailleurs, vers une dimension plus politique. C’est comme un nouveau lancer de bâtonnets colorés. Un autre jeu, avec les mêmes règles, toujours sans trembler.
Très beau livre où les sentiments sont mis à nu tout en finesse. Un épilogue surprenant où transpire beaucoup d'amour...
Une belle découverte !
Le Mikado demande de la patience, de la maîtrise de soi et ses bâtonnets en quinconce échafaudent l’édifice d’un roman où il n’est pourtant en rien question de jeu.
Elle est gitane et à 15 ans, elle fuit un mariage forcé et quitte la Slovénie.
Lui a 60 ans, il est horloger et vient régulièrement planter sa tente dans les montagnes italiennes, « même en hiver ».
Ils se rencontrent à la frontière lorsqu’elle arrive devant son campement et s’instaure entre eux une relation de confiance et de partage.
Ils se trouvent des points communs et ont notamment tous les deux pour devise une des règles du Mikado : « agir doucement, sans attirer l’attention ».
Un court roman, à la première partie presque philosophique dans laquelle ces deux êtres devisent, dans des dialogues proches d’une pièce de théâtre, sur le sens de la vie.
Mais la deuxième partie vient éclairer ce début plein de sagesse avec des faits concrets de l’ordre d’un polar, qu’elle et lui décrivent de leur vie d’avant et d’après leur rencontre, dans des lettres qu’ils s’échangent.
Cela donne un roman assez déroutant qui hésite entre deux styles et que l’on aurait aimé voir approfondi dans l’une ou l’autre de ces deux voies alors qu’il ne fait que les survoler.
Une narration surprenante, au déroulé inattendu, qui se lit comme une nouvelle et qui va dévoiler progressivement le bâtonnet noir de la réalité, caché sous un empilement de faux-semblants.
L’auteur nous informe dès le début
« Je présente donc les deux personnes qui engagent un dialogue au début de cette histoire
Lui, c’est un vieux campeur solitaire. Il passe de longues périodes en montagne, même en hiver. Elle, c’est une jeune gitane qui a fui sa famille et son campement. »
L’homme aime aller planter sa tente dans la montagne par tous les temps, retrouver la solitude qu’il aime tant. Ici, il est près de la frontière séparant l’Italie de la Slovénie. L’horloger devenu riche a créé une fondation venant en aide aux jeunes immigrés ou non en grande difficulté. Lorsque la jeune fille lui demande de lui laisser une petite place dans sa tente alors qu’il gèle dehors, il ne peut que la faire entrer et la réchauffer.
C’est une gitane, âgée de quinze ans que sa famille veut marier. Avant il faut qu’elle grossisse. Des deux choses, elle n’en a nulle envie et se sauve.
Ils vont se découvrir et transformer cette rencontre fortuite (?) en une amitié. L’horloger décide de sauver la jeune fille en la cachant chez un ami. Il va lui apprendre à lire et écrire, lui apprendre une autre liberté.
En très peu de mots et de pages, Erri de Luca rend les deux personnages vivants. Comme Marie-Hélène Lafon, il travaille ses phrases jusqu’à l’os pour qu’il n’en reste que l’essentiel. Le mécanisme des mots ronronne comme une horloge bien réglée (je n’allais pas louper ce jeu de mots tout de même!)
J’ai beaucoup aimé leurs dialogues
« Tu es un étrange vieil homme. Tu as l’air calme, incapable de réagir, puis tu sors un spray qui aveugle, puis un pistolet. Je ne t’imaginais pas aussi vif.
-Il est inutile de s’agiter pour être prêts.
Les gens eux aussi sont des mécanismes. Il est facile de comprendre le comportement de ceux qui sont agressifs. On peut s’adapter et arranger les choses. »
Et hop, je t’enlève un bâtonnet, puis l’autre… sans toucher le troisième. C’est cela, le jeu de Mikado et leur dialogue y ressemble.
La seconde partie apporte un haussement de sourcils de ma part et montre comment cette rencontre fortuite a changé les deux personnages. La gitane, à qui l’horloger a appris à lire et écrire, s’est construit une toute autre vie. Mariée au fils du vieux pêcheur qui l’a recueillie après l’horloger, elle est maintenant veuve avec deux enfants. Mariée surtout pour changer de nom et que son clan ne la retrouve pas. Il lui en a fallu du cran pour apprendre à vivre dans un tout autre cadre, jusqu’à vendre ses cheveux pour acheter des livres..
L’oubli possible ou pas, l’entraide, l’altérité, le courage, le besoin de l’autre… Le tout en 160 pages. L’homme est horloger et le livre est une horloge ou une montre à gousset qui referme le même nombre de pièces mais qui est beaucoup plus petite.
Un joli coup de cœur, comme à chaque fois que Erri De Luca m’emmène dans son monde.
Je n'ai pas grand chose à ajouter au commentaire de Chantal Lafon si ce n'est que je trouve les modalités de la narration remarquables : l'histoire est construire comme un assemblage de diverses pièces, comme un puzzle dont l’image finale n’apparait qu’à la toute fin du livre. Une fin totalement inattendue.
Elle, la jeune gitane, et lui, le vieil horloger, n’ont pas de nom et leur vie, passée, présente et à venir, se dévoile par touches. Leurs personnalités émergent peu à peu, et nous ne finissons par les connaître qu’à la toute fin du récit. Récit qui n’est d’abord que dialogues dans la première partie, puis devient épistolaire dans la seconde partie pour finir par une confession dans un cahier et une dernière lettre. Il n’y a donc pas de narrateur, uniquement des échanges entre les deux principaux personnages qui se révèlent totalement hors normes.
Une brève histoire du monde
Ce livre est celui d’un sage, récit court, dense et engagé.
Le héros est un vieux solitaire dont le bivouac est bouleversé par l’arrivée d’une jeune gitane fuyant sa famille et un mariage forcé.
Entre les deux le dialogue est savoureux. L’apprentissage des valeurs se fait par l’exemple.
« L’argent appartient maintenant à la fondation. Je lui ai donné le nom de Mikado. C’est moi le président et je prends ce qu’il me faut pour vivre. »
Une vie de labeur, une organisation, une fondation, tout est édifié sur les bases de l’humanité.
L’échange est au cœur de sa vie et pour cette demoiselle c’est une étrangeté.
« Écoute, moi je n’ai pas d’enfants ni de petits-enfants et je ne cherche pas à adopter. J’échange quelque chose avec ceux que je rencontre loin des routes. »
Lui, explique la complexité d’un monde où les vraies valeurs prennent la tangente, elle lui dit les signes, les intuitions.
Il l’a sauvée, mais pas seulement, il aura à cœur de lui faire prendre un nouveau départ.
Ce pourrait être simplement cela, mais Erri de Luca se joue de ses lecteurs et nous entraîne vers une tout autre histoire.
Finalement entre ces deux êtres se noue un dialogue riche, alimenté par les connaissances et l’humanité de chacun.
La force de l’écriture de cet écrivain tient à sa simplicité apparente, à son intensité marivaudant avec la légèreté.
Être profond sans être moralisateur.
Ce que vous allez lire peut se résumer comme ceci :
« C’est le jeu qui m’a fait joueur, le mécanisme des balanciers qui m’a fait horloger, mon temps qui m’a fait agir en lui. J’ai été utile. Sans une pensée religieuse, j’ai appartenu d’une autre manière à un ensemble plus large.
Tu crois au destin, aux signes, au dieu des choses. À moi, il m’a suffi d’une plus petite explication. Être un engrenage dans la machine du monde. »
Le monde d’Erri de Luca me fascine par ce qu’il transmet de valeurs, par cette écriture qui le définit, dense, légère et brève car il connait la valeur des mots.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/07/23/les-regles-du-mikado/
Dans les montagnes entre l’Italie et la Slovénie, un vieux campeur solitaire, un horloger qui aime vivre seul, recueille dans sous sa tente une jeune gitane qui a fui sa famille et son campement à cause d’un mariage arrangé avec un homme de cinquante ans. Elle a déshonoré son père et sa famille en se sauvant.
Un roman très original avec en filigrane les règles du jeu du Mikado, sorte de manuel de vie. Une construction en trois parties, la première est un long dialogue entre les deux personnages, la seconde, un échange de lettres, la dernière est un cahier dans lequel le vieil homme se livre enfin.
J’ai beaucoup apprécié les échanges entre la jeune gitane et le vieil horloger qui abordent des questions simples et essentielles, qui nous permettent aussi de mieux connaitre la communauté gitane, ses usages, ses affaires d’honneur, des gens délicats, il suffit de peu pour les blesser, chez qui l’hospitalité envers un étranger est immédiate.
Une rencontre entre deux cultures, deux visions du monde parfaitement opposées. De ces nombreuses conversations découlent une amitié unique et touchante.
Je dois reconnaître que j’ai été complètement dérouté par la dernière partie du récit où tout se précipite, le charme de l’écriture simple et poétique est rompu, ce rebondissement inattendu m’a paru complètement fantasque.
« Lui, c’est un vieux campeur solitaire. Il passe de longues périodes en montagne, même en hiver. Elle, c’est une jeune gitane qui a fui sa famille et son campement. » Ajoutant que l’histoire « se passe à une époque récente, si le XXe siècle l’est encore », l’auteur s’efface aussitôt du récit qui, sans plus d’intervention extérieure, ni même de noms pour lui et elle, laisse le dialogue, puis un échange de lettres, et enfin un cahier, nous faire comprendre le fil des événements, au gré de ce que les personnages voudront bien se dire. Au bout du compte, comme l’un et l’autre auront longtemps gardé leur part de secret, le dévoilement final sera aussi inattendu pour eux que pour le lecteur.
De lui, l’on pensera tout savoir quand il racontera distraire sa vieille solitude bien réglée d’horloger réparateur de montres anciennes en venant souvent camper sauvagement sur la frontière italo-slovaque et en s’investissant dans une fondation humanitaire, nommée Mikado en référence à sa passion pour ce jeu très ancien. Il ne paraîtra donc pas étonnant qu’il vienne en aide à une adolescente fuyant d’abord un mariage arrangé, puis la police des migrants. Entre elle qui lit dans les lignes de la main et lui qui tente d’ordonner le chaos du monde en lui opposant les règles du Mikado – rester patient, anticiper et, ni vu ni connu, enlever impassiblement le bâton noir –, se noue une histoire d’amitié que rien ne viendra plus rompre, commencée par une nuit de hasard au gré d'une conversation entre deux solitudes et poursuivie de façon épistolaire sans que l’un ni l’autre ne réalisent à quel point leur échange est devenu une affaire de transmission. Car, si lui, pour la protéger, n’a pas tout dit sur ses motivations humanitaires, elle ne lui révèlera pas non plus ce que, pour l’épargner à son tour, elle finira par endosser à sa place. Conformément aux règles du Mikado, chacun jouera sa vie en veillant à pas toucher à celle de l’autre.
D’une richesse métaphorique aussi remarquable que la sobriété de son écriture, le texte travaillé jusqu’à l’épure s’avère un conte philosophique qui, l’air de rien, au détour de petites phrases s’imposant comme autant d’aphorismes, déploie une réflexion toute de bienveillance et de poésie douce-amère sur l’amitié, la solitude et la vieillesse, ménageant ses effets de surprise jusqu’au retournement final. Pourtant, est-ce de trop chercher à tout doter d’un double sens ? L’ensemble si bien léché finit par prendre un éclat artificiel, ses joliesses et son indéniable tour de main ne rendant que plus frustrant un sentiment de creux et d’agacement. A défaut de paraître tout à fait sentencieuse, une telle surenchère allégorique sape l’émotion et désincarne les personnages auxquels l’on ne croit plus. Reste un bel objet de virtuosité formelle, une fable suffisamment dotée en charme et en suspense pour se lire sans déplaisir.
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