"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Poussez le portail des Feuillantines..pour découvrir les Mortemer, une famille qui ne ressemble à aucune autre !
Bienvenue aux Feuillantines.
Non, nous ne sommes pas dans le poème de Hugo. Nous sommes dans une maison normande, secouée par les vents et ballottée par les évènements de la vie tumultueuse de ses habitants : la famille Mortemer. L'aînée des Mortemer, c'est Désirée. Elle a vingt-quatre ans, et à sa charge ses six cousins et sa soeur.
Pourquoi ? Parce que sa mère et ses tantes sont trois folles exaltées qui ont abandonné la vie pendant que leur progéniture se débat dans cette maison où il y a : un perroquet malpoli, des voyages prévus en Lululitanie, des tunnels à creuser, un cochon, des additions ratées, un piano désaccordé, des épaves de bateau, un lapin mollasson, des amoureux perdus et retrouvés, une grand-mère...
Bref, aux Feuillantines il y a cette famille qui ne demande qu'à être aimée, et que toi, lecteur, lectrice, peut exaucer.
En 2018, j’avais acheté environ 150 livres. En 2020, seuls 30 livres ont rejoint les étagères de mes bibliothèques (sans compter les cadeaux et services presse) … Comment expliquer cette baisse drastique des achats ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, non, ce n’est pas la faute de la pandémie si j’achète beaucoup moins qu’avant. La preuve, c’est qu’en 2019, la baisse était déjà fort significative, avec environ 40 achats seulement ! L’explication est finalement fort simple : poussée par l’envie de prouver que j’étais capable d’être raisonnable et de gérer correctement mon budget, j’ai décidé d’y réfléchir à plusieurs fois avant d’acheter un livre sur un coup de tête. Terminés, les achats systématiques en passant dans une librairie ou un rayon culture de supermarché ! Mais pour tout avouer, même si je m’en sors fort honorablement, cette restriction me pèse : à chaque fois que je pense à toutes ces potentielles merveilleuses lectures qui me sont passées sous le nez, j’ai envie de pleurer ! Heureusement, certaines de mes amies sont là pour m’offrir quelques pépites que je n’aurai jamais pu découvrir sans elles !
Au début de l’histoire, il y avait trois sœurs, des triplées. Les triplées Mortemer, élevées par leur grand-mère Granny, aussi rêveuses les unes que les autres. Avant de se jeter du haut de la falaise, le cœur brisé par une tragique histoire d’amour, Isabella a donné naissance à Désirée et Brunehilde. Avant de disparaitre on ne sait trop où, Wilhelmina ramena de ses voyages les jumeaux Honoré et Isidore, puis la petite Callie. Enfin, avant d’être internée à l’hôpital psychiatrique du coin, Rosemonde avait eu Hermeline, Warren et petite Pernelle, de trois pères différents. Au fil des années, c’est donc Désirée, vingt-cinq ans, qui est devenue la tutrice légale de toute cette petite tribu de cousins âgés de 2 à 16 ans. Elle s’occupe également de Granny, leur arrière-grand-mère plus que centenaire, de Justin le « terrible » cochon nain (qui attaqua sur demande son ex-petit-copain), de Pirate le perroquet accro aux injures, sans oublier Fricassé le lapin bélier, qui ferait mieux de cesser de grignoter les fils de la télévision s’il ne veut pas voir son nom devenir réalité ...
Les familles dysfonctionnelles sont à la mode dans la littérature jeunesse, ces dernières années : ça pullule de partout, ça surenchérit d’extravagance et d’excentricité jusqu’à perde toute notion de vraisemblance … Et si Les enfants des Feuillantines s’inscrit dans cette mouvance, nous sommes bien loin de cette surabondance de situations farfelues qui peut parfois desservir ce genre. Bien sûr, la famille Mortemer est indiscutablement une drôle de famille, qui accumule les petits et gros tracas, mais on reste finalement dans des situations parfaitement « plausibles » : une maman qui se suicide, une autre qui prend le large, une dernière qui souffre de troubles psychiatriques, il n’y a rien de farfelu dans tout cela. Juste les dures réalités de la vie. La malchance de la famille Mortemer, c’est que ces trois mamans étaient triplées et laissent derrière elle toute une tripotée de gamins esseulés et perturbés … Mais quand on y regarde bien, malgré tout, cette petite tribu n’est pas si malheureuse que cela : ils ont eu la chance de ne pas être séparés, et au contraire d’être placés sous la tutelle de leur cousine Désirée. Bien des enfants n’ont pas cette chance et se retrouvent en foyer, entourés d’illustres inconnus, alors que leur frère ou leur sœur est en famille d’accueil, avec autant d’illustres inconnus !
Plus que dysfonctionnelle, cette famille est finalement absolument déjantée et délurée : quand on passe la porte de la maison des Feuillantines, on a le sentiment d’entrer dans un asile de fou. Ici, le cochon de la famille est en train de grignoter une paire de chaussure, dans l’indifférence générale. Là, l’ainée tente de faire entrer les tables de multiplications dans le cerveau ralenti de son cousin, tout en surveillant l’avancée du repas, que chacun des « grands » prépare à son tour. Ici, une petite fille tente de creuser un immense tunnel pour rejoindre la Californie, où se cache peut-être sa maman. Là, un adolescent se fait passer pour sa cousine sur des sites de rencontre, dans l’espoir de leur trouver à tous un papa. Dans ce véritable roman-choral, nous suivons tour à tout chaque membre de cette drôle de famille recomposée, et tout ceci forme un formidable kaléidoscope qui nous fait tournoyer la tête et le cœur. Car comment ne pas tomber sous le charme de ces gamins, aussi attachants les uns que les autres ? Alors bien sûr, chaque lecteur se retrouvera plus ou moins dans tel ou tel enfant, mais une chose est sûre et certaine : aucun ne le laissera indifférent.
Comment l’être, face au « grand projet » de la petite Calliope, princesse pirate armée de sa cuillère en guise de pelle ? Comment l’être, face au mal-être de la jeune Brunehilde qui n’a trouvé que la violence pour s’exprimer ? Comment l’être, face au désir impérieux d’Honoré de se distinguer de la masse de ses frères, sœurs, cousins et cousines ? Comment l’être, face au petit Warren, si doux et si lent, si sensible et si insouciant ? Comment l’être, face l’innocence enfantine de la toute petite Pernelle ? Comment l’être, face à la rage plus ou moins contenue d’Hermeline la pianiste ? Comment l’être, face au désarroi d’Isidore qui oscille entre colère et espoir ? Comment l’être, enfin, face à l’abnégation de la jeune Désirée, qui se retrouve mère par intérim d’autant de gamins cabossés par la vie, mais qui n’a personne sur qui s’appuyer ? Ils sont touchant, tous ces enfants, plus ou moins grands, et on se sent vraiment privilégiés d’avoir l’honneur de les accompagner pendant quelques centaines de pages. De les voir cheminer dans la vie, faire face aux petites vaguelettes et aux grands tsunamis. D’être spectateur de cet amour infini qui les unit, eux les « petits Mortemer », que tantôt on plaint, tantôt on craint.
En bref, je pense qu’il est inutile d’en dire plus, vous l’aurez bien compris : ce fut un formidable, un incroyable coup de cœur. J’ai beaucoup aimé la douceur qui se dégage de ce récit : alors même que leur situation familiale est complexe et tragique, alors même que la petite Brunehilde subit du harcèlement scolaire (et en fait subir à un autre élève), alors même que le jeune Honoré se brouille avec ses amis dans sa quête de gloire, alors même que le petit Warren se met à dériver progressivement vers une forme de folie, alors même que la brave Désirée se sent parfois au bord de la rupture … C’est un roman tout empli de tendresse et de légèreté, avec un humour délicat qui ne vient pas effacer la dure réalité qui se cache derrière cette situation rocambolesque, mais vient au contraire l’exposer sans pathos indésirable. La vie aux Feuillantines n’est pas rose tous les jours, mais elle n’est pas noire non plus : elle est tel un arc-en-ciel, un improbable mais joyeux mélange de couleurs. L’histoire n’a rien de particulièrement palpitante, c’est juste un délicat tableau de cette petite famille pas tout à fait comme les autres … une famille que j’ai, personnellement, bien du mal à quitter. Leur dire au revoir, c’est dur, car on se sent bien avec eux. C’est vraiment un très beau roman, à découvrir et faire découvrir, à offrir et à s’offrir !
http://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2021/08/les-enfants-des-feuillantines-celia.html
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