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Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. Il me dit qu'un jeune homme là-bas, dans une montagne du Jura, a inventé ce muguet et envisage de le répandre sur le monde. Il m'invite à aller le voir. L'homme tient une auberge au bord d'un lac. J'y mange une omelette, bois un vin de paille. Quand je lui parle des fleurs, mon hôte me conduit au-dessus d'un pré en pente : des dizaines de muguets rouges fraîchement poussés s'apprêtent à incendier la plaine. Je reviens vers mon père, lui demande qui est cet homme. Il me répond que c'est une partie de sa famille dont il ne m'avait encore jamais parlé. Va les voir, me dit-il, apprends à les reconnaître. C. B.
« Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge ». Ça commence comme un conte pour se poursuivre dans une prose poétique humble, quotidienne et si vivante, même quand elle frôle la mort.
« La poésie est don de lire la vie »
Christian Bobin est un conteur à la poésie ample et généreuse. Grâce à son écriture concise et évocatrice, il nous emmène très loin.
Comme dans une promenade champêtre, il faut savoir faire des pauses, regarder en arrière et savourer les mots, les images. C’est tout cela, Bobin, ça se déguste avec lenteur. Faire durer le plaisir car le recueil est très court et on n’est pas pressé d’arriver la dernière page.
On s’étonne, on s’émerveille, on sourit aussi à ses évocations : « Les vaches ruminent un poème…les hommes sont des sangliers qui cherchent une pensée enfouie. Les femmes, un morceau de ciel. »
Des personnages traversent ces pages, parfois furtivement. Il y a le père mort qui raconte encore, et puis des écrivains, des poètes comme Blaise Pascal, Gérard de Nerval ou encore la poétesse Anna Akhmatova. On lit de belles pages sur Dora, aimée de Kafka
« Dora soupèse l’âme de son amant, l’engendre autant qu’elle l’aime. »
On entend aussi la musique d’artistes que Bobin aime écouter : le violoniste David Oïstrakh, ou encore « Samson François, pianiste du noir et blanc. »
Et tous ces morts que le poète raconte sur une page pour le plaisir de leur redonner vie.
« Recevoir sur la main une goutte de pluie, une seule, et par ce contact converser avec tous les morts des siècles passés. »
Bobin est un découvrir, sans cesse il cherche, tend vers une écriture qui soit éclairante sans rien oublier du malheur des hommes. Et son humilité est présente à chaque page
« Tu n’as pas écrit tes livres. Tu as laissé la vie même pas « tienne » les écrire, assembler soleils et lunes dans la corbeille de tes bras ».
Christian Bobin me touche au plus profond de mon âme et c’est pour cela que je le lis et le relis sans cesse.
Laissez-vous porter par la prose si poétique de Christian Bobin et délectez-vous !
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