Lara entame un stage en psychiatrie d’addictologie, en vue d’ouvrir ensuite une structure d’accueil pour jeunes en situation d’addiction au numérique...
Tous les matins, au réveil, Rose, la narratrice du puissant deuxième roman de Sarah Jollien-Fardel, lutte pour ne pas être assaillie par la réalité crue, dans cette chambre aux parois boisées où elle vit désormais attachée par une longe.
Rose est devenue folle de douleur au moment où, trois ans auparavant, des policiers sont venus lui annoncer la mort de sa petite fille, Anna. Cette douleur, elle n'est pas parvenue à la surmonter, au point de devenir un danger pour elle et pour les autres, au point de demeurer attachée et recluse.
La vie était joyeuse, avant l'accident. Rose se souvient de son enfance dans un village de montagne, rythmée par la phrase inscrite sur une poutre du bistrot de sa grand-mère adorée : « Tu es d'une espèce qui aime la lumière et déteste la nuit et les ténèbres ». Son amitié immédiate avec Camil, le petit garçon qui venait passer ses vacances sur les hauteurs, devenu bien plus tard son mari et son indéfectible soutien ; leurs lectures et leurs promenades au coeur d'une nature somptueuse ; la naissance de leur enfant ; leurs métiers qu'ils aiment, lui est architecte, elle ostéopathe. Une vie apparemment sans histoires, dans laquelle Rose, ressassant le passé, traque les failles, elle qui ne s'est jamais remise de la mort longtemps inexpliquée de sa propre mère, le jour de sa première communion. Elle qui est également rongée par le remords de n'avoir pas désiré vraiment l'arrivée d'Anna.
Les souvenirs de Rose vont peu à peu, dans une narration haletante, nous révéler les circonstances de l'accident, et celles de sa propre réclusion.
Mais, le jour où Rose, percevant soudain une présence inconnue derrière sa porte close, entend filtrer à travers la paroi des phrases extraites d'un livre de Marguerite Duras, nous, lecteurs, avons l'intuition que la lumière pourrait gagner...
Sarah Jollien-Fardel, par la manière dont elle choisit de sauver d'elle-même son personnage, nous offre un magnifique dénouement, à l'aune de son magistral portrait de femme.
« Tous les matins, pendant un quart de seconde, je suis bien. Un quart de seconde où je ne me rappelle plus qui je suis, ce que je fais, où je dors »
Celle qui nous parle c’est Rose, reliée à son lit par une longe dans le « mayen », sorte de chalet rustique, que Camil son mari a retapé dans ce coin de montagne valaisane. Voilà trois ans que son monde s’est effondré quand sa fille unique, Anna, a été percutée par un camion. Trois ans qu’elle est broyée, écrasée par la douleur de cet insupportable et impossible deuil. Alors, pendant ses heures de solitude, enchainée à cette corde, elle se repasse le film de sa vie, cherchant les failles, les fêlures annonciatrices du drame à venir.
Et si cette longe au lieu de l’entraver n’était là que pour l’empêcher de couler ? Et si cette attache était son dernier lien à la vie, et à l’amour de Camil et des siens ? Plongée au cœur de la souffrance et au bord de la folie.
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Pas facile de passer le cap du second roman après un succès tel que celui de « Sa préférée ». Et pourtant, Sarah Jollien Fardel y réussit brillamment. Ce roman est une claque. Lu d’une traite il m’a bouleversée et il m’a éblouie. Cette mystérieuse longe dont on ne comprend l’utilité que dans le dernier tiers du roman, elle m’a enserrée la gorge dès les premières pages, me laissant en apnée face à l’immensité de la douleur de Rose. Elle s’est relâchée lorsqu’avec nous elle remonte le fil de ses souvenirs, et qu’elle évoque son enfance choyée auprès de parents aimants dans le bistrot familial, faite de plaisirs simples dans cette montagne en retrait du monde. Elle s’est resserrée peu à peu à l’évocation des maux un peu mystérieux de sa mère et elle m’a asphyxiée quand cette dernière décède alors qu’elle n’a que huit ans, la privant en même temps de son père, changé à jamais. J’ai respiré de nouveau avec elle pendant son adolescence heureuse auprès de son « drôle duo de grands-mères, la citadine dépendante, et la fille de la montagne rebelle » , ses retrouvailles avec Camil, l’amour de sa vie. Et elle m’a définitivement étranglée lors de la survenue du drame et tout au long de la lente descente aux enfers de Rose. Une longue apnée étouffante mais avec au bout la lumière, grâce à l’amour et grâce aux livres et aux mots, onguents précieux pour cette âme délabrée.
J’ai retrouvé dans ce roman l’intensité qui m’avait tant marquée dans le précédent. Une intensité présente dès les premières lignes, qui saute à la gorge du lecteur et dont on pressent qu’elle va nous engloutir. Ce qui m’a marquée aussi c’est la densité du propos, en dépit d’une économie de mots. Il ne fait que 150 pages et pourtant il dit une vie entière, ses joies, ses peines, son insouciance, ses doutes, sa cruauté infinie aussi. Tout çà en peu de mots mais des mots choisis, qui font mouche et qui se grave dans le cœur du lecteur. Il serait dommage pourtant de résumer ce livre à la douleur de cette mère. Là où dans le précédent tout n’était que noirceur, celui-ci est paradoxalement lumineux et on le referme sur une note d’espoir qui le rend inoubliable.
Un livre marquant et la confirmation de la naissance d’une immense autrice.
Lorsqu’elle était passée à la Grande Librairie, Sarah Jollien-Fardel ne m’avait pas convaincue. Son livre, je l’avais acheté dès sa sortie, car j’avais beaucoup apprécié son précédent. Mais, il était resté dans mon sac de livres à lire. Lorsqu’enfin la curiosité fut de nouveau plus forte et que j’ai lu le prologue, j’ai su que l’écrivaine m’avait harponnée avec son écriture, puissante et symbolique. Je n’ai pu le quitter.
L’histoire de La longe est une métaphore pour décrire comment le désespoir et la souffrance vous retiennent dans un univers que vous subissez. Rose est attachée à sa longe depuis que sa fille est morte. Le passé revient en cascade et c’est d’une autre absence que Rose se souvient, celle de sa mère qui s’est suicidée à l’âge de sa communion.
Rose fait remonter les images d’un passé qui peut-être n’a jamais existé. Seulement, ces mots sur les images, revisitées par la mémoire, lui permettent de cheminer pour enfin se libérer de cette longe de souffrance qui la retient au pays des absents. Au fil des pages, le lecteur découvre pourquoi c’est le mari qui place une longe autour du corps de sa femme…
La nature tient une place à part entière : réparatrice, ancestrale, pesante et légère à la fois. Elle ancre les êtres, les accueille pour choyer leurs blessures et les aider à leur renaissance.
Admirable conte contemporain, que La Longe de Sarah Jollien-Fardel nous raconte avec l’apport des mots de l’écrit, réparateurs pour que Rose retrouve le goût des autres. Bien sûr ce roman parle de la perte, de l’absence mais aussi de réveil avec une écriture toujours aussi sublime.
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2025/02/03/sarah-jollien-fardel-la-longe/
Nous sommes en Suisse, dans le Valais. Rose, 43 ans, ostéopathe, mariée à Camil, architecte, auquel elle est liée depuis l'enfance, remonte dans ses souvenirs, enfermée, attachée à une longe, parfois bâillonnée dans un chalet loin de tout. Non, elle n'a pas été enlevée par un psychopathe mais c'est son mari, qui par amour, pour la sauver de la folie trois ans après la mort accidentelle ou pas de leur petite fille, pour la ramener à la vie qui a décidé, en accord avec le reste de sa famille, de la maintenir enfermée et entravée. Lorsqu'il s'absente, une femme, Hélène, vient lui lire de la littérature derrière la porte.
A nouveau, après "Sa préférée" (2022), Sarah Jollien-Fardel nous livre un portrait magnifique de femme, Rose, face à la violence, celle de la mort de sa mère alors qu'elle avait 8 ans qui a laissé une béance jamais comblée, puis celle insupportable de sa fille mais aussi de son cheminement vers la résilience. Elle est écrasée par la culpabilité de ne pas avoir désiré cette enfant et d'avoir eu des envies de lui faire du mal lorsqu'elle hurlait sans discontinuer. Elle nous offre également deux autres très beaux portraits de femme, les grands-mères, symbole de transmission, qui ont su guider Rose sur le chemin de la vie, lui offrir un exemple.
La littérature joue un rôle important : elle est celle qui apporte des réponses, apaise, console, ouvre d'autres perspectives que celles dans lesquelles on est enfermé.
Ce roman est surprenant, il peut être dérangeant, malaisant par le traitement infligé à Rose par Camil. La longe est ce qu'on met à un animal, cheval ou chien, pour le rendre docile et apte à l'apprentissage. Ici, elle est ligne de vie, qui permet à Rose de revenir vers la vie, en descendant au plus profond d'elle-même, d'en refaire l'apprentissage.
J'ai eu plaisir à retrouver l'écriture de l'auteure, âpre comme les montagnes du Valais, incisive, qui nous transmet, brutes, les émotions.
L'insupportable perte d'un enfant
Sarah Jollien-Fardel confirme son talent découvert avec « Sa préférée ». Dans ce court et lumineux roman, elle raconte le drame d'une mère confrontée à la mort de sa fille et passe du roman noir à une lumineuse histoire d'amour.
Les éditeurs savent la difficulté pour nombre d'auteurs, qui ont connu le succès avec un premier roman, de réussir le deuxième. Pour Sarah Jollien-Fardel, auréolée du succès de Sa préférée, l'épreuve a été difficile à surmonter. Sabine Wespieser a refusé ce second texte, ne le trouvant pas abouti. Alors Sarah a repris la plume et a écrit La longe qui sera donc son second roman publié.
Disons d'emblée qu'il confirme le talent de la Suissesse, fidèle à ses thèmes de prédilection, la transmission et la violence, le traumatisme et la difficulté de le surmonter, le harcèlement et la colère.
Pour Rose, il va même s'agir d'un double traumatisme, puisqu'après avoir perdu sa mère, alors qu'elle n'avait que huit ans, elle va perdre sa fille, fauchée par une camionnette. Un drame qui va la laisser exsangue, avant que la colère - qui est mauvaise conseillère - ne la mène à vouloir solder ce lourd passif.
Dès les premières pages, on découvre qu'elle est attachée à une longe dans un mayen, sorte de cabane des montagnes valaisannes. En ressassant ses souvenirs, en déroulant le fil du drame qui l'a frappée, on découvrira comment elle en est arrivée là et qui la retient.
On verra aussi comment cette fille, bien décidée à s'émanciper, va suivre l'avis de sa grand-mère qui tient un bistrot en Valais et chercher à s'émanciper hors de son canton. À Lausanne, elle suit une formation d'ostéopathe, et retrouve Camil, un ami d'enfance. « Je le reconnais, (...) je retrouve le garçonnet aux pupilles moirées. Nous l'avons senti en une seconde. Nous ne nous étions jamais oubliés, malgré les années adolescentes sans nous revoir, la même intimité franche et simple qu'enfants. »
Leur mariage sera scellé comme une évidence et très vite la famille va s'agrandir avec la naissance de leur fille Anna. La vie s'écoule alors paisiblement jusqu'à ce que sa fille ne soit victime de harcèlement, jusqu'à ce drame insupportable qui va faire basculer son existence. « Dormir dans le lit d'Anna. Pleurer dans le lit d’Anna. Camil qui me rejoint. Qui pleure. Nous nous étreignons fort, l’un contre l’autre. L'absence comme un gouffre. La mécanique des gestes au travail. » Car il faut vivre, essayer de donner un sens à l'existence. La vengeance peut alors être un moteur.
Sarah Jollien-Fardel a cette capacité à dire la violence et la souffrance tout en restant sur une ligne de crête. On sait que sur l'autre flanc de la montagne la lumière est là, qu'il faut toutefois trouver le chemin pour s'y rendre.
La voix d'une mystérieuse visiteuse, celles de Charlotte Delbo, Marguerite Duras puis un souvenir heureux ou encore la poésie de Rainer Maria Rilke vont lui servir à baliser la route. Avec beaucoup de délicatesse, la romancière transforme son roman noir en histoire d'amour. Car comme le chante Antony and the Johnsons dans « Bird Gerhl », la chanson qui fait partie de la playlist du roman :
Parce que je suis une fille oiseau
Et les filles oiseaux vont au paradis.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
https://urlr.me/9SN5a2
Alors que je choisissais mes prochaines lectures , ma libraire préférée a posé sur ma pile ce petit livre de chez S.Wespieser avec vigueur. Quelle chance que les vrais libraires !
J’avais beaucoup apprécié de cette autrice « Sa préférée « en 2022, et ce texte ci est rare.
Rose est une jeune femme qui aurait du être heureuse dans ses montagnes valaisannes, mais sa mère est décédée trop tôt. Soutenue par l’amour de ses grands-mères et d’un père (foudroyé par le chagrin lui aussi) elle trouve le bonheur dans les bras de Camil.
Anna naît.
C’est ce que raconte Rose dans ce roman puis sa descente aux enfers, elle est assaillie par une terreur, elle est attachée par une longe dans son chalet. Trois ans auparavant, Anna disparaît dans un accident et Rose devient littéralement folle. Il n’y a pas de pathos dans cette écriture à hauteur de cimes, une question qui revient »comment peut-on avec des mots ordinaires atteindre un tel niveau d’émotion ! Le talent certes.
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