Ce premier roman puissant vient de décrocher le Prix du Roman Fnac 2022
Ce premier roman puissant vient de décrocher le Prix du Roman Fnac 2022
L'insupportable perte d'un enfant
Sarah Jollien-Fardel confirme son talent découvert avec « Sa préférée ». Dans ce court et lumineux roman, elle raconte le drame d'une mère confrontée à la mort de sa fille et passe du roman noir à une lumineuse histoire d'amour.
Les éditeurs savent la difficulté pour nombre d'auteurs, qui ont connu le succès avec un premier roman, de réussir le deuxième. Pour Sarah Jollien-Fardel, auréolée du succès de Sa préférée, l'épreuve a été difficile à surmonter. Sabine Wespieser a refusé ce second texte, ne le trouvant pas abouti. Alors Sarah a repris la plume et a écrit La longe qui sera donc son second roman publié.
Disons d'emblée qu'il confirme le talent de la Suissesse, fidèle à ses thèmes de prédilection, la transmission et la violence, le traumatisme et la difficulté de le surmonter, le harcèlement et la colère.
Pour Rose, il va même s'agir d'un double traumatisme, puisqu'après avoir perdu sa mère, alors qu'elle n'avait que huit ans, elle va perdre sa fille, fauchée par une camionnette. Un drame qui va la laisser exsangue, avant que la colère - qui est mauvaise conseillère - ne la mène à vouloir solder ce lourd passif.
Dès les premières pages, on découvre qu'elle est attachée à une longe dans un mayen, sorte de cabane des montagnes valaisannes. En ressassant ses souvenirs, en déroulant le fil du drame qui l'a frappée, on découvrira comment elle en est arrivée là et qui la retient.
On verra aussi comment cette fille, bien décidée à s'émanciper, va suivre l'avis de sa grand-mère qui tient un bistrot en Valais et chercher à s'émanciper hors de son canton. À Lausanne, elle suit une formation d'ostéopathe, et retrouve Camil, un ami d'enfance. « Je le reconnais, (...) je retrouve le garçonnet aux pupilles moirées. Nous l'avons senti en une seconde. Nous ne nous étions jamais oubliés, malgré les années adolescentes sans nous revoir, la même intimité franche et simple qu'enfants. »
Leur mariage sera scellé comme une évidence et très vite la famille va s'agrandir avec la naissance de leur fille Anna. La vie s'écoule alors paisiblement jusqu'à ce que sa fille ne soit victime de harcèlement, jusqu'à ce drame insupportable qui va faire basculer son existence. « Dormir dans le lit d'Anna. Pleurer dans le lit d’Anna. Camil qui me rejoint. Qui pleure. Nous nous étreignons fort, l’un contre l’autre. L'absence comme un gouffre. La mécanique des gestes au travail. » Car il faut vivre, essayer de donner un sens à l'existence. La vengeance peut alors être un moteur.
Sarah Jollien-Fardel a cette capacité à dire la violence et la souffrance tout en restant sur une ligne de crête. On sait que sur l'autre flanc de la montagne la lumière est là, qu'il faut toutefois trouver le chemin pour s'y rendre.
La voix d'une mystérieuse visiteuse, celles de Charlotte Delbo, Marguerite Duras puis un souvenir heureux ou encore la poésie de Rainer Maria Rilke vont lui servir à baliser la route. Avec beaucoup de délicatesse, la romancière transforme son roman noir en histoire d'amour. Car comme le chante Antony and the Johnsons dans « Bird Gerhl », la chanson qui fait partie de la playlist du roman :
Parce que je suis une fille oiseau
Et les filles oiseaux vont au paradis.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Alors que je choisissais mes prochaines lectures , ma libraire préférée a posé sur ma pile ce petit livre de chez S.Wespieser avec vigueur. Quelle chance que les vrais libraires !
J’avais beaucoup apprécié de cette autrice « Sa préférée « en 2022, et ce texte ci est rare.
Rose est une jeune femme qui aurait du être heureuse dans ses montagnes valaisannes, mais sa mère est décédée trop tôt. Soutenue par l’amour de ses grands-mères et d’un père (foudroyé par le chagrin lui aussi) elle trouve le bonheur dans les bras de Camil.
Anna naît.
C’est ce que raconte Rose dans ce roman puis sa descente aux enfers, elle est assaillie par une terreur, elle est attachée par une longe dans son chalet. Trois ans auparavant, Anna disparaît dans un accident et Rose devient littéralement folle. Il n’y a pas de pathos dans cette écriture à hauteur de cimes, une question qui revient »comment peut-on avec des mots ordinaires atteindre un tel niveau d’émotion ! Le talent certes.
Dans le Valais (près de Lausanne) Jeanne, la narratrice, nous relate l’alcoolisme chronique et la brutalité « primitive » de son père. Qui avait pour habitude de se défouler, dès qu’il était ivre ou contrarié, en tabassant sa mère (Claire) et sa soeur ainée (Emma) Profitant de leur faiblesse et de leur gentillesse qui – apparemment – lui tapaient sur les nerfs … Un père qui s’en prenait rarement à Jeanne – la plus petite – qui, orgueilleuse et au caractère bien trempé, osait lui tenir tête (et même le dénoncer …) Preuve, s’il en était nécessaire, que les bourreaux sont aussi de grands lâches, qui ne se frottent généralement pas à ce qui pique.
Elle apprendra de la bouche de sa soeur (des années plus tard) qu’il avait également abusé d’elle à plusieurs reprises. Emma – « sa préférée » – qui choisira de se suicider, peu de temps après ses révélations, maltraitée et vilement utilisée par tous les hommes qu’elle croisait …
Loin son village valaisan, où les femmes sont les ombres des hommes, Jeanne va tenter de se reconstruire. En acceptant sa bisexualité et en faisant taire la violence que son père a planté en elle … En luttant contre le dégoût et la colère sourde qu’a fait naitre, durant son enfance, un médecin de famille (en qui elle avait toute confiance) qui a préféré un silence complice au scandale d’une dénonciation embarrassante … Le chemin sera long, jusqu’à la découverte d’un secret de famille bien enfoui …
Un très court roman, sombre et glauque, qui condamne l’inertie des uns et la couardise des autres, méprisant la souffrance des plus vulnérables. Qui met en garde sur le danger de se perdre soi-même, si la haine et l’isolement psychologique deviennent plus puissants que le désir de s’ouvrir à la vie …
Un brillant roman sur l’adversité, sur l’abus de l’autorité paternelle, sur l’inextricable soumission maternelle, sur la dure recherche de trouver sa place dans la société, sur la différence, et, surtout sur la difficulté de faire face à sa propre construction mentale. Ce livre ne peut laisser insensible face à la plume merveilleusement ciselée de Sarah Jollien-Fardel ; sur des sujets bien d’actualités : une misère familiale dans la sempiternelle violence, l’inculture paternel et la fermeture d’esprit. Bref, un schéma d’éducation qui éclaire d’une maigre lueur le devenir d’enfant.
Suisse, canton du Valais, les enfants, Emma et sa sœur Jeanne mènent une existence sous les auspices de l’extrême sévérité, de l’ignominie, de la cruauté et de la perversion de leur père : Louis. Leur mère Claire, s’est depuis longtemps résignée à subir les assauts de brutalité, les invectives permanentes, quand son mari, rentre ivre de son travail. Ainsi, à chaque instant, dès sa présence, le déluge de coups, et les obscénités verbales fusent et chacune subit l’ire de l’ivrogne. Et l’acmé de ces violences sera le viol de l’aînée :Emma. Tout le village de taiseux est au courant des violences de cette famille, y compris le docteur, qui fait semblant de ne rien comprendre, quand sous les coups Jeanne est évanouie, et absout ainsi le père de sa lâcheté.
Ainsi, même si la maltraitance se savait, personne ne posait de questions. Comme se fut déchirant pour Jeanne – la narratrice – de s’échapper de ce destin sans avenir, sans amour, et créer une résilience pour retirer la nappe du brouillard de son corps qui ne connait que la peur, l’indifférence et le manque d’amour. Et si elle parvient à s’échapper, son esprit est perpétuellement taraudé par la rage et la haine. Elle connait, malgré tout, des instants de répits, avec la découverte de la tolérance et de l’empathie.
Un récit qui fait froid dans le dos, dans la mesure, où la triste situation des femmes dans le monde vis-à-vis de la féroce masculinité, ne semble pas prêt de s’achever. Jeanne ressent, comment elle bloquée, par la haine, une haine sans concessions, et qui ressasse toujours les mêmes souvenirs ; incapable de pardon ! Sa famille n’a pu lui apporter sa propre identité, au lieu de cela, elle se fige dans la haine. Pourra-t-elle parvenir à quitter son amertume, et arrêter de se culpabiliser ?
Sa préférée, une plongée dans le drame humain, dans l’humiliation, avec une approche fine de la psychologie de Jeanne, qui ne peut que se fondre avec notre empathie ; une poignante image de la lente dégradation d’une famille qui se désagrège dans l’indifférence générale. À lire absolument.
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