"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il s'agit là du premier roman de Robert Penn Warren (triple Prix Pulitzer ), paru en 1939 aux Etats-Unis puis en France en 1951. Heureuse réédition qui permet de mieux comprendre cet auteur majeur mais finalement à la notoriété assez confidentielle en France. Si le Cavalier de la nuit n'atteint pas encore les sommets de son chef-d'oeuvre Tous les hommes du roi ( quel livre !!!! ), on sent toute la puissance et la maestria de l'écrivain qui résonnent dans des passages éblouissants de beauté formelle et évocatrice.
Robert Penn Warren s'est emparé d'un fait social majeur qui s'est déroulé dans le Kentucky de 1905 à 1908 : la guerre du tabac entre les planteurs sudistes et les gros trusts type American Tobacco Company qui, après entente tarifaire monopolistique, leur achetaient leur production en leur imposant des prix dérisoires, au point que les premiers se sont constituées en association coopérative de résistance. Mais face à la pression économique des « gros », l'association adopte la violence en menant des opérations de guérilla rurale pour punir les producteurs acceptant les conditions des trusts : ravages des récoles, destructions des semis, incendies des séchoirs ou dynamitages des entrepôts. Plusieurs décennies après la guerre de Sécession, l'auteur saisit brillamment l'esprit de revanche des Sudistes, la victoire des Yankees ayant justement permis à leurs grandes entreprises de dicter leurs règles économiques et d'étouffer ainsi la production agricole des Etats du Sud comme le Kentucky.
Paru la même année que Les Raisins de la colère, le Cavalier de la nuit est un roman social, politique, dénonçant les effets du capitalisme. le libre-arbitre est-il encore possible à l'ère du libéralisme économique ? Pouvons-nous bousculer le déterminisme né du choc muet des forces économiques ? Il interroge très puissamment sur le hiatus quasi schizophrénique entre les rêves auréolés d'idéal et la réalité d'une action qui dérape vers la violence. Ou comment l'action dégrade les idéaux. Même avec les intentions initiales les plus pures, les mains sales peuvent se retrouver bien sales lorsque la violence dérape vers la jouissance à détruire, les vengeances déguisées et les règlements de compte sous-jacents. Comme si l'impulsion visant à changer l'ordre des choses, si noble soit-elle, portait en elle le ver corrupteur de sa propre destruction.
Pour incarner cette passionnante réflexion politique sur « la fin et les moyens », Robert Penn Warren choisit un personnage plutôt médiocre, finalement peu attachant, très intéressant pour autant. Percy Munn, avocat et planteur, idéaliste naïf surpris par son intransigeance lorsqu'il se retrouve à la tête d'un bataillon de justicier menant les actions punitives sur les plantations aux propriétaires récalcitrants à sa cause. En fait, tout le roman raconte l'éveil de sa conscience, lui qui au départ se laisse facilement manipuler par des pairs plus assurés comme le sénateur ou le docteur. Son épiphanie donne lieu à une scène superbe au début du roman. Lui, de tempérament plutôt froid et pondéré, peu porté à l'exaltation, se laisse griser par l'ivresse d'un discours qu'il fait en quasi transe, ivre de cet élan collectif qu'il découvre et qui commence à l'habiter.
Et c'est là que le roman prend toute son ampleur introspective et acquiert une dimension toute métaphysique en dévoilant le retentissement existentiel de l'action politique violente sur cet être. On voit son identité se construire au fil de ses péripéties en tant que cavalier de la nuit. C'est dans l'arène de la violence et de la radicalité que son identité se compose dans la complexité, ne laissant que très peu d'issue à Percy lorsque ses désirs se fracassent aux intentions des autres, puis lorsque la cause semble perdue.
Malgré des longueurs, on est là dans un grand roman à l'américain avec une mise en scène épatante qui multiplie les tableaux marquants ( le discours d'ouverture, le serment nocturne, le procès, le grand incendie de l'entrepôt ) en mode cinématographique, le tout porté par une langue dense et lyrique, entre intimisme sensible et mélancolie lucide. Jusqu'à cette dernière phrase absolument sublime :
« Couché sur le sol qui tanguait et se soulevait sous lui comme une longue houle, il entendait, assoupi, les voix qui appelaient, au pied de la colline, comme des voix d'enfants qui jouent dans la nuit. »
Lire Robert Penn Warren n'est pas de tout repos. Si tu as l'impression que ton cerveau est en friche, donne lui à lire le triple lauréat du prix Pulitzer. Il va devoir réfléchir. Et quand tu arriveras au bout, il te restera le plus dur, essayer d'écrire une bafouille en tentant de rendre compte de l'étendue de ce que tu as eu entre les mains et en acceptant le fait que tu ne pourras forcément pas tout dire.
Ce premier roman de Robert Penn Warren, tout juste réédité, nous embarque au début du XXème dans le Kentucky. Afin de résister aux pratiques monopolistiques des grandes compagnies de tabac qui proposent des prix d'achat ridiculement bas, des producteurs décident de se réunir et appellent à refuser de vendre, à boycotter ces acheteurs qui prennent à la gorge les cultivateurs. de cette coalition va émerger une faction plus militante, plus radicale. Les cavaliers de la nuit vont avoir recours à l'intimidation physique et à l'incendie des récoltes de ceux qui ne veulent pas rejoindre le mouvement. le jeune avocat Percy Munn se retrouve embringué dans cette histoire. Au début un peu contre son gré, flatté d'être désiré, enorgueillit de la place qu'on lui donne au sein de l'organisation, puis petit à petit, galvanisé, il va sombrer dans la violence.
Ces évènements ont réellement eu lieu. On pourrait donc penser que l'on entre dans un roman historique sauf que l'on est chez Robert Penn Warren et l'on se dit que le contexte n'est finalement que prétexte à sonder les conflits intérieurs d'un
Les dilemmes moraux de Percy Munn illustrent des questions plus vastes que l'auteur semble se poser (et nous poser) sur l'Homme, sur l'action et la dynamique politique. Qu'y a-t-il en nous ? de quoi les hommes sont-ils capables ? Savent-ils ce qu'ils font, ce qu'ils veulent ? Comment en tant que particule d'un grand tout, se laissent-on entraîner ? Comment nos idéaux peuvent être corrompus ? Pourquoi accepte ton de perdre son âme par vanité ? La liste des questionnements soulevés par le cheminement introspectif de Percy Mumm est longue, la réflexion est vaste.
Robert Penn Warren plonge son personnage dans le tumulte de l'Histoire et entraine le lecteur dans quelque chose de plus grand, dans une dimension quasi métaphysique.
Traduit par Michel Mohrt
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