"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C’est une lecture à la fois sensible et terrifiante que nous offre Robert Domes. Basé sur l’histoire vraie d’Ernst Lossa, s’étalant sur une dizaine d’années et reprenant les événements majeurs de sa triste et bien trop courte vie, le récit ne contient aucun pathos mais n’est pas dénué d’affect pour autant.
Ernst a eu le malheur de vivre au mauvais endroit au mauvais moment. Son histoire m’a beaucoup touchée dans le sens où elle m’a révoltée profondément et aussi parce que je me suis attachée à cet enfant au fil de ma lecture.
À l’âge de 4 ans, en 1933, il sera retiré de sa famille yéniche qui vivait principalement en roulotte et ambulait en Allemagne (à ce moment-là, ils avaient élus domicile dans un appartement insalubre à Augsbourg afin d’obtenir un lieu de naissance pour le dernier né, Christian). Considérés comme des tziganes, ils seront sans cesse apparentés à des asociaux, traqués par les nazis au même titre que les handicapés et les juifs. Ernst sera placé dans un foyer pour enfants. Ses petites sœurs et son frère nouveau-né se retrouveront en pouponnière. Sa mère mourra quelques semaines plus tard de la tuberculose, à l’âge de 23 ans. Christian succombera également quelques mois plus tard. Ses sœurs, elles, survivront à la guerre.
C’est au foyer qu’Ernst commencera à voler, afin de satisfaire par obligation un autre enfant qui l’a pris pour bouc-émissaire. Dès lors, cette envie irrépressible ne le quittera plus, malgré les remontrances, les punitions et les menaces des responsables du foyer. Son statut de tzigane n’arrangeant rien à l’affaire. Il changera d’institution à plusieurs reprises à cause de ce comportement, cette soif de liberté qu’eux-mêmes lui ont volé. N’est-ce pas le pire vol qui soit ? Priver un enfant de sa famille et de son amour.
Ernst restera toujours lui-même, ne cédera aucunement aux sirènes de l’avilissement. Plus grand, il sera également tout à fait conscient du monde obscur qui l’entoure, et ce fut extrêmement gênant pour les directeurs et les médecins de l’asile psychiatrique dans lequel il a été transféré à l’âge de 13 ans, en 1942. Ernst savait ce qui se tramait, les assassinats commis, il connaissait les moyens et ceux qui les mettaient en place. Et en plus il était tzigane, comme on lui répétait sans cesse.
« Le mot en T ne vient apparemment à l’esprit des gens que quand ils ont quelque chose à reprocher. Quand quelqu’un vole : Tzigane. Quand quelqu’un roule quelqu’un d’autre : Tzigane. Quand quelqu’un ment : Tzigane. Quand quelqu’un a des poux : Tzigane. »
Ce parcours chaotique est retranscrit avec fidélité par l’auteur même s’il est romancé. La longueur du texte est parfaite, juste ce qu’il faut pour prendre connaissance des faits et rendre vivant cet enfant qui faisait partie des nombreux enfants oubliés de la Seconde Guerre mondiale. De plus, Robert Domes reprend dans un glossaire en fin de roman les principales expressions, mots et événements marquants de cette époque afin que rien ne nous échappe. Il résume aussi en une frise chronologique les points marquants de la vie de la famille Lossa et du régime hitlérien. Enfin, dans une postface, l’auteur prend le temps de nous parler de ses recherches, de ce qu’il en a retiré, de nous informer concrètement sur le destin tragique de cette famille et d’Ernst en particulier. Ce roman est donc complet et aborde le sujet sous différents supports. Il suit le plus fidèlement possible la réalité de la vie d’Ernst.
« Voici les enfants oubliés. Personne ne vient jamais les voir, aucun père, mère, oncle ou tante n’apporte de gâteau ou de veste de laine tricotée à la main. On les a déposés ici et on les a perdus. Comme on les a oubliés, ils disparaissent, maigrissent de plus en plus, deviennent de plus en plus transparents. Et arrive un matin où leur lit est vide, alors on y met un nouvel enfant. »
La brume en août nous dépeint surtout la folie de ces hommes obnubilés par cette envie de race supérieure, par ce besoin de nettoyer la Terre, comme une sorte de dépollution absolument nécessaire. Il nous place au cœur d’un effrayant quotidien dans lequel des Hommes se permettent de décider qui doit vivre et qui doit mourir et dans quelles souffrances. C’est abominable, et malgré le fait que j’ai déjà lu plusieurs ouvrages concernant cette époque pas si lointaine, je ne peux toujours pas penser que tout cela a bel et bien existé, même si évidemment c’est le cas. Mais c’est tellement… Je n’aurai pas de mot assez fort pour décrire ce que je ressens. Et ici, à travers un enfant innocent, c’est d’autant plus affreux, mais en même temps, c’est un bel hommage, une bonne façon de rendre vivant ces enfants qui ont eu le malheur de connaître toutes ces abominations. Et c’est aussi un véritable devoir de mémoire. On ne doit jamais oublier ce qui c’est passé, c’est le moins que l’on puisse faire aujourd’hui.
Ma chronique complète et imagée sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2017/11/18/lecture-la-brume-en-aout-de-robert-domes-rentree-litteraire-2017/
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