"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quelques jours avant Noël, le cadavre d’une jeune femme est retrouvé quelque part dans le sud de l’Angleterre. Deux policiers sont chargés de l’enquête : Ander, le narrateur, et Gary, son assistant.
Un suspect a rapidement été appréhendé : Mr Wolphram, voisin de la victime et professeur de lycée à la retraite. L’homme clame son innocence et, de fait, les preuves sont loin d’être accablantes. Mais le profil de Mr Wolphram joue en sa défaveur : c’est un solitaire, vivant dans une certaine aisance, ayant des goûts raffinés en musique, cinéma, voitures anciennes, toujours tiré à quatre épingles. Il n’en faut guère davantage pour que les tabloïds prennent le raccourci et le taxent d’étrange, puis de louche, puis de suspect, pour en arriver à le traiter de pédophile et d’assassin. Un lynchage médiatique en règle, amplifié par les réseaux sociaux et nourri par les « témoignages » (grassement rémunérés par les journaleux de caniveau) de voisins ou d’anciens élèves.
Au milieu de ce tumulte et malgré la pression, Ander n’est toujours pas convaincu de la culpabilité de Wolphram. Son propre passé lui revient en pleine face, en particulier ses années d’internat au lycée, où Mr Wolphram a été son professeur. Un pensionnat privé, chic et cher, dans lequel les problèmes de harcèlement étaient aussi courants qu’étouffés.
Si vous chercher un polar trépidant et plein de rebondissements, passez votre chemin, ce « Jetez-moi aux chiens » n’est pas pour vous. Ici le rythme est lent, presque contemplatif tant on a l’impression qu’il ne s’y passe rien et qu’en réalité tout se déroule dans le passé commun à Ander et Wolphram. Un fil relie cependant le passé et le présent : le harcèlement. Celui (même si on n’employait pas ce terme-là à l’époque) dont ont pu être victimes de nombreux enfants et adolescents dans les internats des années 90 en Angleterre de la part de leurs professeurs, et celui, contemporain et relayé par les réseaux sociaux et une certaine catégorie de médias, qui peut se déchaîner à l’encontre de tout qui ne correspondrait pas à la norme, et qui servirait par conséquent de bouc émissaire à la vindicte bien-pensante.
Un roman psychologique bien plus qu’un thriller, donc, finement mené dans une ambiance lourde et mélancolique, qui dénonce et décortique le processus du lynchage, et qui parle aussi des cicatrices laissées par les blessures d’enfance.
Rumeur et journaux peoples...un excellent livre désarçonnant par sa construction, et les thèmes sociétaux abordés! Un polar certes, mais qui évoque le harcèlement ,la différence ,la pédophilie, la solitude ou le besoin d'être en couple , les sites de rencontres et le monde de l'éducation...anglaise ,l'adolescence et sa cruauté! Une lecture qui sollicite votre réflexion ,qui anéantit le médiocre ,qui marque et invite à la réflexion.EXCELLENT!
Ça commence comme un roman policier avant de révéler des facettes bien plus complexes. Plus subtiles aussi. Contrairement au premier roman de Patrick McGuinness, l'excellent Les Cent derniers jours, qui nous embarquait dans la Roumanie de fin de règne de Ceaucescu, celui-ci est anglais jusqu'au bout des ongles. Dans son décor, ses protagonistes et surtout le regard qu'il pose sur la société anglaise et l'un de ses piliers : le collège anglais. L'auteur prend son temps, ignore les lignes droites et j'avoue qu'il m'a fallu m'y reprendre à deux fois pour entrer. Mais j'ai bien fait d'écouter la petite voix qui me soufflait de ne pas renoncer, petite voix certainement influencée par cette atmosphère qui s'accrochait à mon esprit malgré tout et laissait augurer d'un vrai fond.
"On prend toujours la question à l'envers : on s'intéresse à la manière dont les choses arrivent, jamais à la manière dont elles n'arrivent pas ; on ne pense pas assez à ce qui aurait pu arriver, à ce qui a failli arriver, à ce qui résonne encore, fantôme du peut-être, soupirant après sa vie dans l'anti-fait".
Dans un comté au sud de Londres, une ville portuaire, une jeune femme est retrouvée morte dans une décharge ; les soupçons de la police se portent sur son voisin, M. Wolphram un professeur à la retraite, vieux garçon solitaire, deux caractéristiques suffisantes pour que son entourage le trouve "bizarre". Placé en garde à vue et interrogé, ce dernier se montre peu coopératif tandis qu'à proximité du commissariat, l'hostilité de la foule monte, attisée par une campagne de presse persuadée de tenir son coupable. Wolpham est "le monstre idéal. En plus, il lit des livres". Gary et Anders sont les deux inspecteurs en charge de l'affaire. Le premier est convaincu de la culpabilité du suspect tandis que l'attitude d'Anders est plus réservée et précautionneuse. Il faut dire qu'il connait Wolphram, quelques dizaines d'années auparavant il a été son élève dans le collège privé qu'il a fréquenté à l'adolescence. Des réminiscences affleurent alors et ses souvenirs se mêlent à ses recherches dans le cadre de l'enquête. Car si Anders s'intéresse à ce que l'on ne voit pas, s'il aime aller au-delà des apparences, c'est que ces années de collège lui ont appris bien plus que les contenus des matières étudiées ; microcosme très particulier, catalyseur du système de classes anglais, le collège est un lieu où se jouent de façon très précoce des trajectoires de toute une vie.
L'intrigue policière sert de prétexte à une exploration subtile du mécanisme du lynchage médiatique sur la base de rumeurs fondées sur des apparences ; la presse anglaise dont on connaît la brutalité des méthodes est ici photographiée au paroxysme de ses talents en la matière. Mais il s'agit aussi d'un livre sur les fantômes. Non pas ceux qui hantent les châteaux ou que l'on représente naïvement vêtus d'un drap blanc. Non, il s'agit des traces que laissent dans nos mémoires ou autour de nous, ceux qui nous ont précédé sur les chemins que nous empruntons. Pour nous emmener sur leurs pas, l'auteur s'entoure de personnages secondaires qui ont leur importance, comme la nièce d'Anders qui enregistre les bruits ou Vera, la vieille dame qui pense que "la mort de son mari n'est pas un obstacle à leur vie commune" ; et l'ensemble prend une vraie densité, ouvre les yeux du lecteur, lui demande d'aller plus loin, de ne pas se contenter de ce qu'on lui raconte, de prendre en compte chaque individu dans son entièreté et sa diversité. Et interroge sur la façon dont la société utilise la mort, la fétichise peut-être pour mieux oublier la peur qu'elle lui inspire.
Je m'aperçois en écrivant ce billet qu'il y aurait encore beaucoup à dire, à décortiquer. J'aime qu'un romancier se fasse l'écho de la complexité et parvienne à la faire appréhender par son lecteur ; j'aime que sa marque s'imprime durablement dans mon esprit. Si vous êtes comme moi et que vous cherchez un livre que vous ne consommerez pas en deux heures pour l'oublier aussitôt, alors vous pouvez vous intéresser à celui-ci. Il vous surprendra au-delà de vos espérances.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr
Un coup de maître ce premier roman qui propose une plongée fascinante dans la Roumanie de Ceausescu, quelques mois avant la chute du régime. Patrick McGuinness n'est certes pas un amateur. Professeur de littérature à Oxford, déjà auteur de trois recueils de poèmes, il sait surtout de quoi il parle ayant lui même vécu en Roumanie. Ce texte a du mûrir pendant de longues années, un délai sans doute nécessaire pour trouver la distanciation propre à faire surgir l'humour et une certaine forme de tendresse qui irradient les quelques cinq cents pages que l'on tourne avec le même appétit que celles d'un polar.
Le narrateur débarque donc un beau jour de printemps 1989, jeune professeur d'anglais fraîchement nommé à l'université de Bucarest en remplacement d'un confrère, laissant derrière lui sans regret un passé familial et affectif pesant.
"Oui, mon enfance avait été une bonne préparation au totalitarisme : apprendre à savourer les petites permissions, ne pas attiser l'esprit de revanche ni l'amertume paternelle. Ce n'est pas tout le monde qui choisit la Roumanie de Ceausescu pour faire sa première expérience de la liberté."
Dans cette ville où rien ne ressemble à ce qu'il peut connaître, il est rapidement pris en charge par un collègue enseignant, Léo, un expatrié tellement bien intégré à son pays d'adoption qu'il en est devenu l'un des rois du marché noir. Car ici, tout est rare, rationné. Les champs regorgent de denrées destinées à l'exportation tandis qu'à l'entrée des magasins les gens attendent, sans trop savoir quoi. Dans ce pays, dès qu'une queue se forme, on la fait, peu importe ce qu'il y a au bout. Même l'électricité ne fonctionne que par intermittence, un quartier après l'autre. Bucarest, comme la plupart des autres villes ou vieux villages est un vaste chantier de destruction depuis que Ceausescu a décidé la modernisation. Un prétexte pour détruire le patrimoine culturel et architectural et imposer, à marche forçée, les lubies d'un dictateur mégalomane. Au milieu des grues et des marteaux piqueurs, tout est gris et triste. Tout le monde surveille tout le monde. Les gens aussi sont gris, ni tous blancs, ni tous noirs. Impossible de savoir qui est qui.
"Ici, il ne fallait pas confondre les gens et ce qu'ils faisaient. C'est la première chose que j'ai apprise et je l'ai apprise de Léo. Ils existaient dans un monde distinct de leurs actes. Il n'y a pas d'autre solution pour préserver l'amitié dans un état policier."
Et pourtant, il faut bien vivre. Léo est un guide parfait, navigant avec aisance et cynisme dans les eaux troubles des arcanes du pouvoir, là où les apparatchiks logent dans des résidences luxueuses et protégées, font leurs courses dans des magasins réservés parfaitement achalandés, fréquentent des restaurants où sont servis des mets que la majorité des roumains n'a même jamais vus. Les petits trafics de Léo lui permettent d'être l'une des personnes les mieux informées de la ville, ce qui n'est pas inutile lorsqu'il faut venir en aide à quelqu'un. Dans ce livre on croise beaucoup de héros ordinaires, ceux qui organisent la vie malgré tout, leur façon à eux de résister. Des idéalistes aussi comme le beau personnage de Petre, persuadé que le communisme, le vrai pas cette mascarade triomphera un jour. Petre, convaincu que la solution ne peut pas être le libéralisme, parce que la liberté ce n'est pas de "pouvoir choisir entre 20 modèles d'appareils photos ou six paquets de céréales différents pour le petit déjeuner. Ca ce n'est pas être libre, c'est être client.". Petre qui résume assez bien le propos du livre et explique certainement la bienveillance et la tendresse de l'auteur envers la population qu'il a cotoyée : "Je suis libre parce que je choisis de ne pas m'enfuir".
Le volet politique est remarquablement traité, montrant l'opportunisme de vieux communistes si prompts à retourner leur veste alors qu'en Europe, tout autour, les dictatures de l'est tombent les uns après les autres... Certes la fin du régime est proche mais le pays n'en a pas pour autant fini avec ses problèmes. Comme le répète Léo : "Le bordel a changé de nom, mais on a gardé les vieilles putes."
C'est parfaitement écrit (et traduit), bien documenté et mis en scène avec beaucoup d'intelligence. Il serait dommage de passer à côté de ce qui est autant un excellent roman, haletant, plein de rebondissements, qu'un témoignage magistral sur une époque qui malheureusement a bien existé.
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