"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Rassembler l’épars, lettre après lettre. Surprendre, transmettre, perpétuer. « J’avance dans votre labyrinthe » « Lettres imaginaires à Franz Kafka » « une réécriture (apocryphe) époustouflante et spéculative. L’imaginaire happé par la capacité phénoménale et intuitive de Marie-Philippe Joncheray.
Puiser dans ses recherches, ses lectures expertes, son perfectionnisme et la connaissance quasi innée, presque physique, fusionnelle de Marie-Philippe Joncheray pour Milena Jesenská.
On ressent une autrice de la quête. Une inconditionnelle de l’œuvre de Franz Kafka, « lit et écrit à Kafka ».C’est un devoir de collecte, la fiction exaltante, sublime et révélatrice. L’épistolaire à plein corps, à pleine mémoire, en pleine conscience. Une passion et le charme voluptueux de saisir à pleines brassées cet épistolaire résurgence.
Du 6 mars 1920 au 1er décembre 1923, des missives éclatent, dévoilent et subjuguent. On est en transmutation. La plume de Milena ordonne le livre. C’est elle qui prend place. Marie-Philippe Joncheray pose son stylo. Lisez cette fièvre épistolaire !
Milena est tchèque. C’est une jeune femme de 24 ans, fille d’un chirurgien tyrannique, aristocratique, pragmatique et intransigeant avec sa fille. Elle, libre comme l’air, expérimente les drogues. Se frotte à l’adolescence aux diktats d’un père conformiste. Suite à une liaison et à un avortement, la liberté s’écroule pour Milena. Son père fait interner sa propre fille. Elle vivra ce temps comme une injustice et une colère sourde envers son père qui durant plus de trois ans, ne lui donnera aucun signe de vie. Il juge son mariage avec Ernst Pollak, un traducteur d’origine juive. Son père est antisémite. Lors de sa première lettre le 6 mars 1920 au Docteur Kafka (ainsi nommé) : « il m’a placée dans une de ces maisons de santé qui n’ont de santé que le nom, qui sont en réalité des prisons insanes pour faire taire les jeunes femmes remuantes. Heureusement j’étais amoureuse d’Ernst Pollak. Et c’est grâce à lui que j’ai pu m’échapper, m’enfuir de Prague et de la tutelle de mon père qui, plein de sa double haine pour les juifs et les allemands, m’a comme reniée ».
Milena en sera folle amoureuse (malgré le fait qu’il la trompe). Restera fidèle jusqu’au bout à Ernst, exclusive. Peu à peu, les lettres pour Franz Kafka deviennent empreintes d’un sentiment d’amour. Le platonique est l’idéal flouté par Milena qui ressent l’échange épistolaire comme une rencontre en vérité. La gémellité des mêmes approches intellectuelles et les lettres sont des parures de confidences.
« Mon mari me laisse entièrement libre. J’ai tout mon temps pour vous ».Elle se délivre, petit cabri qui virevolte entre les lignes. Elle se redresse et ses écrits sont dignes de cette fusion quasi charnelle pour les mots. « La traduction est un lieu physique qui redevient un lieu mental puis un nouveau lieu physique, quand elle est achevée. La traduction est une seconde naissance ». Elle est dans un lien d’appartenance. Presque dépendante des lettres reçues. Ressent pour FranzK (ainsi nommé) des inquiétudes. Une amitié particulière, insondable encore, comme ce qui vient d’éclore furtivement. « Dites-moi si vous allez mieux. » Elle, la traductrice de FranzK. L’échange savoureux, prendre les écrits de Franz, les traduire, et surtout pénétrer la citadelle romanesque. « J’ai envie de traduire tout ce que vous avez publié, je veux tout, tout, Tout lire de vous...C’est rare entre deux êtres. Je crois que nous nous sommes reconnus… J’ai parlé à Ernst. Je lui ai dit que nous nous écrivions. Il serait mal placé pour me faire des reproches… Aucune fatalité ne pèse sur nous… FranzK, je voudrais être ton ange rédempteur ».
La correspondance est un pare-feu contre les aléas du monde qui vacille. L’antisémitisme, les maladies et les troubles de Franz, l’envie furieuse de se rencontrer, se toucher et s’aimer en vérité, « mais je veux t’écrire tant que le feu entre nous. C’est normal d’avoir peur. L’amour et le risque . Milena bientôt de Prague ». Où ils ne se verront que pour l’as de cœur, envers et contre tout, un jour pour une vie, les regards lianes et les lettres accrochées aux sourires, quatre jours à Vienne et un jour à Gmünd. « Non, la gaieté ne s’oppose pas à la tristesse, elle s’en nourrit, elle s’en renforce, elle en est une des formes. C’est parce que le monde est triste que la gaieté existe, en épousailles… Moi qui voudrais t’aimer jusqu’à ma mort ».
La passion peut-elle résister aux souffrances, aux défis, aux combats et aux résistances ?
Lui, dont l’aura sublimée est encore ici, présente, dans notre contemporanéité. Elle, fragile et morte en déportation le 17 mai 1944 à 44 ans. Elle, si enjouée, fébrile, femme-enfant, maîtresse absolue, traductrice d’orfèvre. Abattre les cartes de la haine et de la déportation, les quêtes des visas. Elle, le feu vivant, spontanée altière et amoureuse-phénix. « J’avance dans votre labyrinthe » est une déambulation intrinsèque et certifiée. Le Nouvel Attila
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