Du Londres victorien à Haïti en passant par la Corse, 3 romans à gagner
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Lauréat du Prix Goncourt 2012 pour son roman "Le Sermon sur la chute de Rome", Jérôme Ferrari enseigne la philosophie au lycée français d'Abu Dabi et s'est prêté à notre interview "Autour d'un verre". Son précédent roman,...
Du Londres victorien à Haïti en passant par la Corse, 3 romans à gagner
Ce roman paru lors de la rentrée littéraire du mois d’aout, me faisait de l’œil. Il se passe en Corse. Un jeune insulaire poignarde un estivant qu’il connait depuis toujours, pour une banale histoire de désaccord sur le prix d’une bouteille de vin.
Derrière ce qui pourrait être un simple fait divers, Jérome Ferrari nous dépeint les habitants de cette île, confrontés à la masse de touristes débarquant sur leur île. Il condamne la violence érigée comme héritage de générations en générations.
L’auteur mélange les époques, les voix, les personnages, les styles pour nous mettre face aux résultats de la colonisation, face aux différences qui perdurent depuis des siècles.
Un roman très travaillé qui m’a beaucoup plu pour son ton tragi-comique, pour la façon qu’a l’auteur de balader son lecteur sans jamais le perdre, et en le poussant toujours plus loin dans une réflexion sous-jacente.
Laissez-vous porter dans ce voyage de 140 pages qui vous mènera au cœur des dégâts du tourisme, et de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Alexandre poignarde Alban. De cette tragédie , Jérôme Ferrari nous embarque dans deux dynasties de médiocres qui vont conduire les deux protagonistes au fait dramatique énoncé plus haut. Un style mordant et ironique, des phrases parfois un peu alambiquées, un roman assez court qui demande un petit effort de concentration à la lecture. Bien mais pas inoubliable…
En dépit du titre, Jérôme Ferrari ne nous emmène pas dans le golfe du Bengale, sur l’île de North Sentinel que ses habitants protègent du monde en accueillant les intrus de leurs flèches et de leurs lances, mais sur un bout de terre qui, s’il se garde de le nommer, n’en évoque pas moins clairement la Corse à laquelle il est si attaché.
Un soir d’août, pour une ridicule histoire de bouteille de vin, un jeune restaurateur poignarde un estivant dans une station balnéaire bondée de touristes. C’est un parent du meurtrier qui relate l’épisode du haut de son aigre condescendance pour cet homme, à ses yeux produit typiquement imbécile de ces anciennes lignées corses aussi fières qu’indolentes qui, dépendant jusqu’ici du banditisme, ne sont que trop heureuses de voir affluer l’argent facile tombé des poches de hordes touristiques, en vérité consternantes de médiocrité consumériste.
Le ton est donné. Satire frôlant parfois la farce, la narration noire et grinçante s’emploie alors à disséquer le destin des deux hommes, victime et meurtrier liés depuis l’enfance et incarnant chacun une face de l’Ile de Beauté : d’un côté les Corses territoriaux, à peine sortis de ce qui paraît leur féodalité clanique, paresseusement tombés dans la dépendance de la manne touristique ; de l’autre, les étrangers qui, déferlant périodiquement en pillards uniquement préoccupés de leur plaisir instantané, s’avèrent les nouveaux acteurs d’un colonialisme contemporain. Mêlant les époques et les registres, du roman policier au conte en passant par un soupçon de merveilleux, l’histoire éclaire peu à peu la violence corse d’un jour nouveau, irrémédiablement tragique.
Etendant la moquerie jusqu’à la tonalité volontiers pompeuse de ses très longues phrases et jusqu’à la hauteur outrée et provocatrice, pleine d’une amertume critique et contemptrice, de son narrateur, l’auteur se sert de ce personnage érigé en commentateur de tragédie grecque pour élargir le champ autour de son histoire – insularité face à intrusion étrangère – et poser au sens large la question de notre rapport à l’altérité. Si bien construit et écrit que cela soit, l’on pourra rester décontenancé par la réponse suggérée, extrêmement pessimiste puisque prônant l’isolationnisme et le repli sur soi. Même sous couvert d’humour, ce radicalisme que l’on aurait pu, peut-être, mieux comprendre en pensant par exemple aux Kawésqars de la Terre de Feu évoqués par Jean Raspail dans Qui se souvient des hommes, reste plus difficile à concevoir à propos des Corses…
Superbement maîtrisé quant à sa forme, un roman dont on ne sait, sur le fond, s'il faut le prendre pour du lard ou du cochon, tant il brouille la frontière entre outrance humoristique et pessimisme avéré.
"Le premier qui pose le pied sur le rivage, fût-il animé des intentions les plus pacifiques et les plus louables, fût-il le saint, fût-il le sauveur du monde en personne, il faudrait le tuer, lui et tous ceux qui l'accompagnent, sans distinction d'âge ou de sexe. » peut-on lire au tout début du dernier roman de Jérôme Ferrari, auteur des magnifiques « Où j'ai laissé mon âme » et du « Sermon sur la chute de Rome » pour lequel il reçut le prix Goncourt en 2012.
Avec cette affirmation péremptoire, l'auteur évoque non seulement le colonialisme et ses conséquences pour les populations indigènes mais aussi le tourisme de masse.
Le récit se déroule sur une île qui, même si elle n'est jamais nommée, ressemble à la Corse, et gravite autour de la tentative d'assassinat, pour une broutille, d'Alban Genevey, un jeune continental dont la famille possède une résidence secondaire proche de la mer, par Alexandre Romani, rejeton d'une longue lignée d'autochtones.
Catalina, mère du tueur, reproche au narrateur qui est son cousin, d'avoir encouragé ce passage à l'acte par son apologie du meurtre.
Ce geste ne s'inscrit-il pas plutôt dans une longue tradition familiale de délinquance dont Jérôme Ferrari retrace la généalogie ?
« Race élue de seigneurs » comme il se revendique, le clan Romani est dans la réalité un ramassis de voyous.
Pierre-Marie, l'arrière-grand-oncle d'Alexandre, sema la terreur dans toute la région en rançonnant allègrement les habitants. Quant à son arrière-grand-père, il se lança dans le proxénétisme... On est bien loin de l'honneur revendiqué comme un mantra.
Puis, la « folie collective » s'empara « d'abrutis extatiques » avides de se laisser rôtir sur les plages, alors que les locaux les fuyaient en se retranchant dans les montagnes plus fraîches.
Philippe Romani, père d'Alexandre et plus malin que ses aïeux, sut saisir la manne touristique en retapant des bergeries désaffectées, en installant une paillote sur la plage, en ouvrant un magasin de souvenirs, un restaurant...
Son fils n'a pas les mêmes capacités d'entrepreneur, ce qui ne l'empêche pas de mépriser ceux qui ne font pas partie de la lignée Romani, y compris le narrateur qui, de retour sur l'île après dix ans d'absence, devient son professeur. « Le gosse était complètement con » assure-t-il.
Pour surfer sur le besoin de nature et d'authenticité des villégiateurs, les autochtones se muèrent en passeurs de traditions et en bêtes de foire. En dépit de l'animosité qu'ils ressentent à l'égard des envahisseurs. Mais le business, c'est le business.
Premier opus d'une trilogie, « Nord sentinelle » décrit, avec un humour noir décapant, la transmission de la violence sur fond de tourisme de masse qui fait « régner partout la laideur et la tristesse».
Le style, toujours très travaillé et métaphorique, balance entre les registres littéraire et prosaïque.
C'est puissant et virtuose.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-nord-sentinelle-jerome-ferrari-actes-sud/
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