"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
WAOUH ! WAOUH ! WAOUH !
Mais comment j'ai pu vivre jusqu'à présent sans avoir lu un seul livre de Javier Marias ?
Berta Isla a été un véritable coup de foudre littéraire !
On peut résumer ce livre en cinq mots : attente, incertitude, ignorance, tromperie et emberlificotage.
Javier Marias est le Machiavel de la littérature !
Il nous dupe à la manière d'Hitchcock et il manipule nos émotions un peu comme Flaubert dans Madame Bovary.
Berta Isla, c'est tout ce que j'aime en littérature : de l'intelligence, du style et un texte parsemé de références littéraires (T.S. Eliot, Balzac et, à mon avis, Shakespeare) ainsi que des clins d'œil à une culture plus "populaire" (comme le personnage de l'inspecteur Morse).
Mais le rythme lent, le manque d'action, des phrases longues, bref ce que j'aime, va déplaire à d'autres...
« Demain, dans la bataille, pense à moi, et que ton épée tombe émoussée ! Désespère et meurs ! [...] et que, sous le poids du remords, ta lance tombe de tes mains ! Désespère et meurs ! » Nous ne sommes pas au théâtre, lorsque les spectres de ses victimes maudissent le Richard III shakespearien, mais dans la vie de Victor, le narrateur, un homme quelconque qui vit dans l’ombre, à écrire des scénarios morts-nés et à servir de nègre à un autre nègre. Un soir, alors qu’un flirt l’a conduit chez une dénommée Marta en l’absence du mari, avant même que la jeune femme ne devienne son amante, celle-ci – aberrant coup de sort ! – est victime d’un malaise et meurt dans ses bras. Que faire, seul avec le très jeune fils de cette presque maîtresse dans cet appartement inconnu ? L’homme choisit la fuite, mais incapable d’effacer aussi facilement sa conscience, trouve le moyen de revenir chez Marta par le biais de la famille. L’on va alors découvrir les incommensurables conséquences, non pas de ce décès dans lequel il n’est pour rien, mais de ces quelques heures d’escamotage qui auront bel et bien tout changé...
Dans un style inimitable qui dévide une première fois le fil de pensée du narrateur, lorsqu’il ignore encore les événements parallèles vécus par le mari en voyage d’affaires Outre-Manche, puis lui en fait remâcher les longues phrases-fleuves avec cette fois la connaissance de cet envers du miroir et de sa responsabilité involontaire sur cette partie des faits, l’auteur déplie son histoire pour nous révéler en ses creux des thématiques récurrentes dans son œuvre : le hasard, la fatalité, ces effets papillon inattendus qui scellent notre destin, parfois à notre insu, et, nous faisant « tomber d’un côté ou de l’autre, très vite, » d’une « frontière ténue », nous exposent sans cesse - « il suffit d’un moment d’inattention » - « aux plus grands bouleversements », ceux que nous réservent « le revers du temps, son dos noir » - expression dont il fera le titre d’un autre roman.
Bien plus observateur que réel acteur de son histoire, Victor, déjà invisible par profession, s‘efface encore lorsqu’il prend la fuite, puis, revenu constater les traces laissées par l’événement qui le taraude, mesure à quel point la vie s’est entre temps jouée de leur ignorance et de leur cécité à tous, les réagençant comme d’insignifiants atomes interagissant à leur insu, en une longue chaîne d’effets non maîtrisables. « Des gens meurent à cause de nous et nous ne le savons pas. » Ce narrateur qui avait déjà tellement conscience de n’être personne, en plus d’être convaincu de l’inéluctable effacement de tout être et de toute chose à mesure du passage du temps et des générations, réalise aussi comme le destin de chacun ne tient jamais qu’à un aléatoire enchevêtrement de fils. Alors, puisque « tant de choses arrivent sans que personne ne s’en rende compte ni ne s’en souvienne », que bientôt « tout est oublié ou prescrit », il lui devient facile de conclure qu'il serait vain de s’appesantir sur les remords et les regrets. Laissons les secrets et leurs ombres disparaître d’eux-mêmes à leur tour : face à l’absurdité du monde, tout cela de toute façon ne pèsera guère…
Javier Marias, un des plus grands noms de la littérature contemporaine espagnole, signe ici une création magistrale, où mensonge et dissimulation se dissolvent dans les brumes de la fatalité et du hasard.
Magnifique roman d'espionnage, nous doutons tout le long du livre avec lui. Je ne voulais pas que ça s'achève.
Si je devais résumer ce livre en un seul mot, je dirais « talentueux » tout simplement !
Voilà ma première immersion dans l’univers de Javier Marías et pourtant, je débute par sa dernière œuvre, publiée – en français – quelques mois après son décès dans sa ville natale de Madrid, des suites d’une pneumonie.
« Tomás Nevinson » est le second tome d’un diptyque consacré à un agent secret, mi-espagnol, mi-britannique du même nom. Ici, c’est la vie de cet agent du MI5 qui est contée par le principal intéressé. Après avoir pris sa « pension », il est recontacté par son ancien supérieur pour une dernière mission un peu spéciale. Il s’agit de retrouver une femme, membre active de l’IRA qui serait impliquée dans plusieurs attentats de l’ETA mais dont personne n’a jamais su mettre de visage. Pour cela, il devra faire la connaissance de trois jeunes femmes dont l’une d’entre elles serait la terroriste.
Javier Marías, ce n’était pas seulement un écrivain, mais aussi un conteur hors pair. En plus de 700 pages, il parvenait à happer son lecteur dans tout un univers, mêlant des faits réels à de la fiction. Tout semblait tellement cohérent dans ses écrits que le lecteur se perd et se demande où est la frontière avec le réel et finalement, ne raconte-t-il pas un brin de sa propre histoire ?
C’est le genre de livre qu’on souhaite doucement savourer, tournant pianissimo les pages, sans se presser dans un moment hors du temps. Ce n’est pas le livre qu’on s’empresse de lire en deux temps deux mouvements, au risque de passer à côté de beaucoup de choses.
Doté d’un style d’écriture tout à fait singulier, Javier Marías offre un très grand roman dans lequel il multiplie les considérables digressions par la voix de son héros. Malgré qu’elles puissent sembler démesurées, leurs pertinences apparaissent ensuite aux lecteurs. Il est évident que l’auteur maniait parfaitement sa plume, par un travail de recherches conséquents en amont. Son talent tend à s’exprimer notamment par l’utilisation du pronom « je » pour les réflexions de son principal protagoniste qui se mue, ensuite, en « il » pour ses actions.
Le premier tome était paru en 2019 et s’intitulait « Berta Isla » du nom de l’épouse de Tomás Nevinson. Il n’est pas nécessaire de lire les deux tomes dans l’ordre. Mais après avoir découvert « Tomás Nevinson », vous aurez sûrement, tout comme moi, envie de vous plonger dans le second.
Il est triste à penser que l’Espagne a définitivement perdu l’une de ses plumes majeures du XX-XXIème siècle.
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