"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Faire revivre une légende, celle de Chbaya, c’est ce qu’ont admirablement réalisé Seif Eddine Nechi pour les dessins et Aymen Mbarek pour le scénario.
Une Révolte tunisienne, « les émeutes du pain » - ne pas confondre avec « la révolution de la dignité », comme l’appellent les Tunisiens, qui s’est déroulée du 17 décembre 2010 au 27 février 2011 – débute dans le sud de la Tunisie, le lundi 29 décembre 1983, à Douz, conséquence directe de la forte augmentation du prix du pain et de la semoule. La répression est sévère avec des snipers tirant à balles réelles sur les manifestants.
À partir de là, le mouvement gagne Kébili puis Souk Lahad, El Hamma, Kasserine puis Gafsa, toujours très sévèrement réprimé. Gabès, Sfax suivent et enfin, Tunis, la capitale où des dizaines de personnes sont tuées, les 2 et 3 janvier 1984.
L’état d’urgence est proclamé ainsi qu’un couvre-feu, de 17 h à 6 h du matin !
Finalement, le 6 janvier, le Président Habib Bourguiba annule les augmentations : la révolution a gagné au prix de nombreux sacrifices, à cause de la violente répression de la police et de l’armée.
Voilà ce que raconte ce roman graphique au travers d’une fiction qui prend parfois des allures vraiment mystérieuses avec ces pleines pages aux couleurs très sombres représentant particulièrement un serpent.
Après un début à Douz, la suite se déroule à Tunis où je suis le petit Salem Dridi gravement blessé à la main. Avenue Habib Bourguiba, il rêve devant l’affiche de « La fille de Trieste », avec Ornella Muti et Ben Gazzara.
Le fantôme d’un manifestant tué par la police apparaît. Il a été abattu à Douz et évoque la mort avec le garçon qui va vivre une émouvante complicité avec son grand-père, Ahmed. Son papi lui offre un talkie-walkie offert par un soldat américain après la bataille de Monte Cassino. C’est l’occasion de rappeler le sacrifice du 4e Régiment de tirailleurs tunisiens rattaché au corps expéditionnaire français pour prendre d’assaut cette place forte tenue par les nazis. L’assaut a débuté le 25 janvier 1944 et Ahmed y était et fut blessé.
Le père de Salem collabore avec le Parti socialiste destourien au pouvoir et les auteurs évoquent alors la révolte des étudiants du 5 février 1972. Cela permet de comprendre pourquoi le père de Salem se compromet avec les autorités.
Enfin, l’amitié d’Ahmed, le grand-père, avec son ami Farid qui parle italien rappelle qu’au début du XXe siècle, plus de 100 000 Italiens vivaient en Tunisie.
S’enchaînent alors les manifestations avec la répression aveugle de la police et de l’armée. C’est l’occasion pour Ahmed et le petit Salem d’utiliser le talkie-walkie en vampirisant la fréquence radio de la police. La légende de Chbaya, nom tunisien de Casper, le fantôme, commence.
Ainsi, le papi et son petit-fils baladent la police comme l’a fait, en réalité, ce fameux Chbaya dont l’identité n’a jamais pu être trouvée.
À la fin de ce bel ouvrage, les auteurs apportent les précisions historiques ainsi qu’un article éloquent du magazine « Jeune Afrique ».
Après le rappel de tous ces événements marquants de l’histoire tunisienne, j’en viens au dessin qui surprend, étonne et se révèle vraiment efficace.
Si je me suis un peu perdu dans la représentation des personnages, cela n’est pas grave car Seif Eddine Bachi produit une œuvre artistique servant admirablement le scénario élaboré par Aymen Mbarek. Les dates, les lieux sont toujours précisés pour la lecture, même si souvent plusieurs pages se passent de texte grâce au dessin très réaliste.
Cette découverte m’a été permise grâce à Babelio et aux éditions Alifbata que je remercie, sans oublier le précieux travail de traduction réalisé par Marianne Babut.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Fin 1983, La Tunisie subit encore les conséquences de la crise pétrolière et son économie est au plus mal. Le F.M.I. conseille au gouvernement du Premier ministre Mohamed Mzali de faire des réformes et parmi elles, une réduction des subventions sur les céréales. S'ensuivent automatiquement des répercussions sur les prix des aliments. Celui du pain augmente de 50% et celui de la semoule de 70%.
La révolte gronde et le pays s’enflamme. Les premières manifestations ont lieu dans le sud tunisien, région la plus pauvre, et progressivement remontent vers le nord pour atteindre les grandes villes. Tunis se soulève à son tour le 3 janvier 1984. Ce sont ces émeutes populaires qu’on appellera “Les émeutes du pain”.
Pendant quelques jours, l’armée est réquisitionnée et les affrontements font rage dans la capitale. C’est alors qu’un mystérieux chbayah (fantôme) va, avec une vieille radio datant de la Seconde Guerre mondiale, perturber le déploiement des forces de l’ordre en donnant des contre-ordres. Qui se cache derrière ce fantôme qui se joue du pouvoir avec humour et irrévérence ?
C’est ce que Seif Eddine Nechi et Aymen Mbarek ont imaginé avec Une révolte tunisienne, en nous faisant entrer dans l’univers de Salem Dridi, un jeune garçon qui vit avec ses parents, Samir et Naïma, ainsi que son grand-père Ahmed.
Il semblerait bien que ce dernier, malgré une blessure de guerre à la jambe, ait décidé de participer, à sa manière, à ces émeutes…
Cet album est une très belle découverte du travail de ces deux auteurs tunisiens qui ont su avec humour et gravité parler des événements politiques de leur pays. Ils ont parfaitement réussi à associer récit et dessin. À chaque changement d’époque correspond un nouveau graphisme, judicieusement pensé.
C’est beau, c’est intelligent, c’est touchant, et c’est surtout très important d'aller à la rencontre d’autres univers, ici grâce à la bande dessinée.
Ces émeutes du pain prendront fin le 6 janvier 1984, avec l'annonce télévisée Président Habib Bourguiba annulant toutes les augmentations de prix. On dénombrera plus de 140 morts et plus d'un millier d'arrestations.
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