Des idées de lecture pour ce début d'année !
Aleksandar Hemon est un auteur bosniaque, né en 1964 à Sarajevo. Contraint de fuir son pays dans les années quatre-vingt-dix, à la suite du conflit en Bosnie-Herzégovine et de l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie, pour se réfugier aux Etats-Unis.
En 2001, lors d’un colloque d’écrivains à Jérusalem, Aleksandar fait la rencontre, lors d’une séance de dédicaces, d’une femme âgée prénommée Rahela qui se prétend, tout comme lui, d’origine bosniaque. Elle lui relate l’esquisse de sa vie, véritable odyssée, et celle de ses deux pères Rafael Pinto, juif séfarade, et de l’amour de ce dernier, Osman un musulman.
Histoire tellement rocambolesque, que notre auteur se sent investi du devoir de la raconter dans ce roman « Un monde de ciel et de terre », d’autant qu’il lui faudra parler d’exil, de déracinement, sujet qui le touche de par son vécu personnel.
Le récit débute avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914 à Sarajevo, sous les yeux de l’apothicaire local, Rafael Pinto. Fin de la vie d’avant, l’Eden disparu, il se trouve enrôlé dans l’armée prussienne. Doit combattre en Ukraine, dans une guerre de tranchées, contre les Russes, dans des conditions dantesques. Parfois il vaudrait mieux mourir, mais la rencontre du doux Osman, sur ce front, l’amour indéfectible qu’il va lui porter et l’usage de drogues l’empêchent de sombrer et lui permettent de se maintenir en vie. Faits, tous les deux prisonniers, ils se retrouvent dans les geôles de Tachkent, d’où ils ne pourront s’enfuir qu’à la faveur de troubles survenus au moment de la révolution. Ils se retrouvent hébergés par un médecin juif russe et sa fille Klara. Klara met au monde une petite fille, Rahela, mais décède lors de l’accouchement. De nouveau persécutés, nos deux hommes fuient vers l’est lestés d’un nouveau handicap, le bébé qu’ils devront protéger. Les aléas de l’épopée font que nos deux héros se retrouvent, un jour, séparés. Rafael doit continuer, seul, avec l’enfant son périple qui les mènera, dans les montagnes du Turkestan, les déserts de Chine, jusqu’à Shangaï.
Vaste fresque historique qui s’étend sur une grande partie du XXe siècle. Lecture exigeante, âpre, à laquelle il faut s’accrocher mais qui, finalement, nous envahit et ne nous lâche plus. On vit avec nos héros l’enfer sur terre, on se questionne sur la religion, l’existence d’un Dieu, si la vie vaut la peine d’être vécue (survivre n’est-ce pas déjà vivre ?), sur les orientations que l’on donne à celle-ci, religieuse, sexuelle ou sociétale, réprimées et que l’on doit bien souvent cacher, à l’image de Rafael. L’art de la narration est très bien maîtrisé par Aleksandar. Un petit bémol, toutefois, la fluidité du récit est perturbée par des phrases ou expressions (en allemand, bosniaque, hébreu ou sandjol), non traduites, volonté de l’auteur suivie par l’éditeur français.
Livre lu dans le cadre du Prix des Lecteurs du Livre de Poche, que je remercie pour cette belle aventure. Je vous relaierai mes chroniques des vingt-deux autres lectures qu’il me reste d’ici la fin du mois d’août.
Un monde de ciel et de terre est une intrigue romanesque et historique. Un livre qui aborde l'homosexualité car c'est une histoire d'amour entre deux hommes bosniaques, Rafael Pinto et Osman. Les deux hommes ne sont pas de même confession.
Un roman extraordinaire qui nous emporte au coeur des conflits du XXe siècle mais aussi de la vie. Deux vie avec un amour indéfectible, ils se sauveront, se protégeront et s'évaderont ensembles.
Exil, Guerre, Bosnie, Homosexualité.
Une plume fascinante, puissante et exigeante, et poétique. Des personnages attachants pour lesquelles nous éprouvons de l'émotions et de l'empathies.
De leur lune de miel à Tachkent, ce qui demeurait le plus présent à l'esprit de Pinto, c'était le naturel joyeux avec lequel Osman avait pris soin de lui. Buenu komu il pan, Osman. Il lui préparait un thé le matin, mais lui interdisait de le boire trop vite afin qu'il ne se brûle pas la langue, parce que, disait-il en soufflant pour le refroidir, il avait des plans avec sa langue pour plus tard."
"Le Seigneur n'avait cessé de créer et de détruire des mondes, de les créer et de les détruire, jusqu'au jour où Il avait créé le nôtre, mais voilà qu'Il avait à présent la ferme intention de le détruire aussi. Les mondes ayant précédé le nôtre et désormais détruits ressemblaient aux étincelles qui voltigent et s'éteignent lorsque le forgeron abat son marteau sur le fer. On en est donc là, nous les étincelles, à notre place, à nous éteindre une à une pendant que les ténèbres abandonnent la lumière et retournent à leur commencement. "
"
Cette épopée romanesque se déroule durant le XXème siècle et débute peu de temps après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et de son épouse lors d’un voyage à Sarajevo. Cet événement marquera le début de la Première Guerre Mondiale. On y suit, Rafael Pinto, Juif séfarade et apothicaire à Sarajevo, qui va s’engager dans l’armée austro-hongroise et rencontrer, Osman, Bosniaque Musulman dans les tranchées d’Ukraine. S’ensuivra une odyssée vers l’Est, jusqu’aux confins de l’Asie, parsemée de nombreuses embûches, d’horreurs et de souffrances.
Ce qui pourrait s’apparenter à un énième roman sur la guerre et ses conséquences est en fait un travail de très longue haleine entrepris par l’écrivain, Aleksandar Hemon, auteur du « Projet Lazarus ». Originaire lui-même de Sarajevo, il était aux Etats-Unis pour apprendre l’anglais, lorsque la guerre a éclaté dans son pays en 1992. Dans l’impossibilité de rentrer chez lui, il s’installe alors en Amérique.
Cette fresque grave sur l’exil est donc librement inspirée de l’histoire de ses ancêtres, de ses racines. Évoquant tout un pan de la Yougoslavie, de l’Europe et d’une partie de l’Asie courant du vingtième siècle, c’est aussi une sorte d’hommage aux réfugiés devant fuir les combats, les guerres.
Les pages égrènent de nombreux termes et passages en langues étrangères (spanjol, allemand, tadjik, bosnien,…) qui n’ont pas été traduits. Cela est dû au desiderata de l’éditeur francophone de poursuivre ce qui avait été fait par son homologue américain. Même si je comprends très bien cette intention, cela casse bien souvent le rythme de l’histoire et engendre le risque de perdre plus d’un lecteur. Il en est de même pour les multiples digressions.
Malgré la beauté du récit, ce livre n’est pas à la portée de tout lecteur. Nécessitant une lecture attentive, ce roman exigeant est malgré tout intéressant et fascinant. Découvrant ainsi tout un pan de cette Première Guerre Mondiale à l’Est, j’ai apprécié particulièrement l’union entre Pinto et Osman.
C’est ainsi que malgré les quelques difficultés qui peuvent entourer cet ouvrage, je vous le conseille malgré tout. Raisonnant de vérités, il est encore plus d’actualités en cette fin d’année 2023.
C’est le roman bosnien de la rentrée, l’unique qui soit, autant que je sache. Le roman, publié aux Éditions Calmann-Levy, a certes été écrit en anglais, mais il ne respire que par Sarajevo, la ville de naissance de l’auteur Aleksandar Hemon. Il a émigré aux Etats-Unis à l’heure de la Guerre de Yougoslavie en 1992, il y est resté, et depuis il écrit en anglais. Son œuvre témoigne de son attachement à ce qui reste de son pays d’origine, la Bosnie-Herzégovine depuis l’éclatement yougoslave. Dans ce roman fresque, il a choisi de retracer la vie de Rafael Pinto, juif séfarade, issu d’une lignée de pharmaciens propriétaires d’une Apotheke à Sarajevo : depuis 1914, soit quelques jours avant l’assassinat à quelques pas de chez lui de l’Archiduc et de son épouse, jusqu’à une certaine rencontre qu’il a faite en 2001, à l’origine de ce texte.
L’histoire de Rafael Pinto nous fera traverser quasiment un siècle d’histoire, depuis 1914 jusqu’aux tout premiers mois du nouveau millénaire, et la moitié du territoire euroasiatique, depuis la centrale Sarajevo jusqu’à la Chine. Fervent admirateur de l’archiduc Franz-Ferdinand d’Autriche, héritier présomptif de l’empire Austro-Hongrois, et son épouse Sophie, c’est avec beaucoup d’impatience qu’il imagine sa venue dans son échoppe. La suite de l’histoire est archi-connue, le couple impérial est assassiné par un anarchiste serbe, le Première Guerre mondial est inévitable. Rafael est mobilisé : son départ pour le front est le début de son autre vie, un long chemin vers l’orient. Il aime les hommes et son amant Osman Karišik avec lequel il partage quelques moments volés juste au bord des champs de mines. La guerre s’éternise, Sarajevo est devenue un souvenir réconfortant de plus en plus lointain dans le cerveau saturé par la destruction de Rafael, même son amant devient un fantôme. Adoptant sa fille, Rahela, il débute un long périple de survie, faim, pauvreté, instabilité, dont il n’y a ni arrivée, ni fin, si ce n’est la séparation entre ce père adoptif et sa fille.
Il n’y a justement ni début ni fin à cette histoire, qu’est celui d’un jeune Bosnien, juif séfarade, auquel la première guerre mondiale éclate au nez, qui se laisse mener par les aléas de la vie, d’une vie qu’il rêve au début, mais qu’il ne fait que subir jusqu’à la fin. La Bosnie laisse place à la Serbie, l’Ouzbékistan, puis enfin la Chine. À Shangaï. Malgré tous les pays traversés, les peuples rencontrés, Rafael reste bosnien et juif, la langue des séfarades profondément ancrée en lui et qui ne manque pas de ressurgir à chaque coin du récit, telle quelle, en kaléidoscope de phrases non traduites en spanjol – ce que je suppose être du judéo-espagnol, tout comme le yiddish l’est pour les juifs ashkénazes – en allemand, mais qui ramènent tout droit dans l’intériorité de l’homme. Cette Sarajevo qu’il considère comme une « ville du bout du monde » au début, sa droguerie, Apotheke, drogerija, les derniers bons moments de ce XXe siècle, et de relents du siècle précédent, une lumière vite écrasée par les nuages sombres du conflit mondial, une odeur de lavande et laudanum, un goût sucré de rahat-loukoum et amer du café bosniaque : le passage est rude et sans transition.
Osman, comme son ultime refuge, son dernier foyer avant un long errement qui débute en Serbie, une langue, qui une fois déliée, celle de la narration, qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Laudanum, morphine, héroïne, opium, depuis Sarajevo, Rafo supporte sa vie qu’avec ces excipients, l’oubli rassurant des limbes artificiels, la réalité n’a pas autre chose à offrir. La guerre a tout étouffé, les velléités de Rafo à composer de la poésie, à travers, et surtout avec, toutes les langues qui sont les siennes. Car le récit de la vie de Rafo, c’est la cohabitation de toutes ces langues, renouer un peu ce que la guerre a détruit, trouver une harmonie entre elles pour annihiler cette dernière. On assiste au périple d’un homme qui s’est éteint peu à peu, une bonne partie pendant la guerre et ses dégâts, dont la survie est uniquement mue par la volonté de sauver Rahela sa fille adoptive et de l’espoir de revoir un jour Osman. Rafo s’est perdu, en perdant d’abord sa famille et sa ville, ses aspirations poétiques, son archiduc et cet empire qui a fait de lui un homme polyglotte et savant, prête à reprendre l’Apotheke familiale et à la faire fructifier. C’est un autre homme qui file à Tachkent dans le capital Ouzbek, son passé, ses rêves, sa douceur de vivre réduits en cendres, dans ce qu’il ne sait pas encore être un temps d’entre-deux-guerres.
La vie de Rafo, dans son périple depuis Sarajevo, la Serbie et Tachkent, le Turkestan c’est un vrai bouillon de cultures, d’une galerie de personnages invraisemblables qui se disent albanais mais qui parlent français, d’espions britanniques, Arzu la femme ouïghoure qui les accompagne un bout de chemin, on traverse les territoires, on entend les langues, les cultures, les traditions, (...)
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