"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Qui aime-t-on quand on aime ? Sait-on jamais qui est l'être aimé ? L'amour partagé n'est-il qu'un heureux malentendu ?
Autour de ces éternels mystères du sentiment amoureux, deux hommes s'affrontent : Abel Znorko, Prix Nobel de littérature qui vit loin des hommes sur une île perdue de la mer de Norvège où il ressasse sa passion pour une femme avec laquelle il a échangé une longue correspondance, et Erik Larsen, journaliste qui a pris prétexte d'une interview pour rencontrer l'écrivain. Mais pour quel motif inavoué ? Quel est son lien secret avec cette femme dont Znorko se dit encore amoureux ? Et pourquoi un tel misanthrope a-t-il accepté de le recevoir ?
L'entrevue se transforme vite en un jeu de la vérité cruel et sinueux, rythmé par une cascade de révélations que chacun assène à l'autre au fil d'un suspense savamment distillé.
Éric-Emmanuel Schmitt renoue dans ses Variations énigmatiques avec l'étincelante et cruelle dialectique qui a porté au triomphe son précédent ouvrage, Le Visiteur, joué dans le monde entier et déjà considéré comme un classique.
Sur une île perdue en mer de Norvège, Erik Larsen, se présentant comme journaliste, vient interroger Abel Znorko, écrivain récipiendaire du prix Nobel de littérature, au sujet de son dernier roman,. Tel est le point de départ de la pièce d'Eric-Emmanuel Schmitt publiée en 1996 par Albin Michel, Variations énigmatiques... et énigmatiques sont les variations ! Comme le laisse entendre le titre, la route que dessine un tel énnoncé prendra des virages aussi serrés que surprenants, que le lecteur suivra avec ravissement. Le dialogue s'instaure entre le prétendu journaliste en quête de réponses et l'écrivain antipathique réticent à en donner, et ce qui commence comme une interview se transforme pour laisser place à des reflexions plus profondes, à un dialogue mouvementé, où les véritables motivations des deux personnages transparaissent peu à peu. Lorsque le nom d'Hélène est prononcé, les masques se fissurent, tombent, finissent par se briser complètement pour faire apparaître la vérité, avec Variations Enigma pour fond sonore.
Le titre de la pièce n'est pas le seul écho de l'oeuvre symphonique d'Edwards Edgar, celle-ci résonne doublement dans ce texte que la musique a si bien imprégné qu'il semble suivre lui aussi des mouvements, des crescendos et des decrescendos dont le lecteur se délecte. Plusieurs fois mentionnée et écoutée par Znorko et Larsen, Variations Enigma se voit presque érigée au rang de personnage, ou peut-être est-elle plutôt l'indice de l'absence d'un personnage : Hélène. Omniprésente, c'est aussi le rythme qu'elle impacte, ce qui est l'un des plus remarquables charmes de la pièce. En effet, les dialogues sont écrits de telle façon qu'un mot en trop, qu'un mot en moins accélère les échanges ou les ralentit. Insultes ou pardon, révélation ou demi-vérité, l'intrigue, comme une marée montante à Rösvannöy, avance, puis recule pour mieux avancer. Larsen suit ce mouvement : prêt à s'en aller à plusieurs reprises, c'est chaque fois pour mieux revenir, pour se faire une place dans l'espace de Znorko, dans sa vie. Il n'y a pas de meilleur exemple que la dernière réplique balbutiante où, prêt à partir pour de bon, l'écrivain le retient : « Je... je vous écrirai... »., et ce n'est alors plus une fin, mais une promesse d'une continuité, ou peut-être d'un nouveau départ.
Ce qui contribue au succès de ces dialogues, c'est également la rencontre de deux hommes que tout oppose. En effet, si nous les considérons individuellement, les personnages ne présentent pas une grande originalité. Nous avons d'une part Abel Znorko, qui colle au cliché de l'écrivain à succès misanthrope et désagréable, cachant une certaine sensibilité ; et d'autre part Erik Larsen qui, me semble-t-il, s'en sort mieux : bien que représentant la figure du mari quelconque, conformiste, il arrive à nous surprendre et à nous émouvoir. Cela étant, il est bien plus intéressant de les considérer en tant que binôme. Outre leurs différences et les non-dits qui ponctuent de belle façon le dialogue et tiennent le lecteur en haleine, leurs visions antinomiques de l'amour et de la vie nous poussent à une certaine introspection guidée par la plume de l'écrivain agrégé de philosophie. « La vie de couple, par opposition aux passions éphémères : Le courage ! Le courage de s'engager, de faire confiance. Le courage de n'être plus un homme rêvé mais un homme réel. » Le couple face à la passion, Larsen face à Znorko, et le lecteur, perdu quelque part au milieu, réfléchit.
D'autres réflexions apparaissent également, sur le deuil notamment, mais aussi sur l'écriture et les critiques littéraires. Nous avons de fait une mise en abîme, le point de départ étant la sortie du dernier livre d'un écrivain reconnu dans une œuvre d'un auteur lui aussi salué. Dans une moindre mesure, ceci peut être source de déception pour le lecteur, car pas un écrit, pas une lettre de la main de Znorko n'apparaît dans la pièce, y compris lorsque Larsen lit sous nos yeux envieux la dernière lettre destinée à Hélène. S'agit-il d'un choix judicieux ou d'une petite lâcheté de l'auteur ? Annoncer un écrivain nobélisé instaure d'emblée une certaine attente difficile à satisfaire, mais non moins vive, qui est ici laissée en suspend.
Enfin, ce qui peut nous séduire dans ce livre est ce qui fait d'Eric-Emmanuel Schmitt un dramaturge aux pièces très souvent mises en scène : son humour et ses rebondissements inattendus, que nous retrouvions déjà dans sa première œuvre théâtrale La Nuit de Valognes. Les retournements de situation, relativement nombreux ici, sont bien amenés et efficaces, et l'humour permet de soulager la tension qui s'installe régulièrement, ce qui ne retire rien à la sensibilité de l'oeuvre : en somme, nous avons là une pièce agréable à lire, qu'il nous est difficile de reposer (ou de quitter des yeux, pour qui a la chance de la voir sur scène). Mais qui sommes-nous pour juger ? Znorko, comme l'auteur sans doute, se préoccupe peu des critiques. « Ah... ils ont aimé ? Décidément, je ne comprendrai jamais rien à ces oiseaux-là. Eux non plus, d'ailleurs. Qu'ils louent ou qu'ils blâment, ils parlent mais ne saisissent rien. »
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