"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sept femmes autour d'une table bien garnie célèbrent la « Journée des femmes ». Parmi elles, Lyane, la narratrice, seule Française dans le groupe...
Nous sommes à Tachkent, capitale de l'Ouzbékistan (ancienne Tartarie, comme on désignait autrefois cette Asie centrale lointaine et mystérieuse), le 8 mars 2014.
Sous forme d'interviews et de récits croisés ou emboîtés, un peu à la manière des Contes des Mille et une nuits, Lyane Guillaume nous entraîne dans une fresque multicolore à la suite de ces femmes d'aujourd'hui ou d'hier, anonymes ou célèbres, humbles ou puissantes, qui ont marqué et continuent de marquer l'Ouzbékistan de leur empreinte. Des harems de la Route de la Soie (Samarcande, Boukhara) aux business womenactuelles, de Bibi, épouse du redoutable Tamerlan, à Rano, mariée contre son gré à son cousin, en passant par Tamara Khanoum, première danseuse ouzbèke à se produire sur scène, ou encore Sayora, médecin de campagne sur les rives de la mer d'Aral, à la recherche de son fils radicalisé, c'est toute la réalité riche et complexe de l'Ouzbékistan terre d'Islam mais aussi ex-république soviétique qui se révèle à travers ces voix féminines.
Tour à tour épique, bouleversant, drôle, coloré, pimenté, en tout cas savoureux comme la cuisine ouzbèke, ce récit à sept voix sur les femmes d'Ouzbékistan est à la fois un livre d'histoires et un livre d'Histoire.
Enseignante, femme de théâtre, journaliste, écrivain avant tout, Lyane Guillaume a vécu en Inde, en Russie, en Ukraine, en Afghanistan et, entre 2012 et 2016, en Ouzbékistan.
La carte en début de l’ouvrage m’a permis de situer ce pays, ancienne province de l‘URSS. L’avant-propos passe allègrement du plov, plat typique, à la genèse du titre de ce livre.
8 mars 2014, Lyane Guillaume qui vit depuis plusieurs années en Ouzbékistan, à Tachkent, est invitée chez Goulia à partager un gap entre filles pour fêter les cinquante ans de Chirine, sœur de Goulia.
Sept femmes se retrouvent autour d’une table-buffet dont la description peut donner le tournis. Lyane est la seule française.
Entre deux bouchées et deux verres de vin, les femmes se racontent, non pas chacune son tour, mais dans un joyeux brouhaha. Rien de mieux que ses conversations pour apprendre l’Histoire d’un pays.
En URSS, l’avortement a été légalisé en 1920 sous Lénine. Il est considéré come un moyen de contraception. A sa grande surprise, ses amies y ont eu recours quelque fois ou trop souvent.
« L’avortement y était un moyen de contraception comme un autre mais je n’imaginais pas qu’en Asie centrale, terre d’islam, il fut aussi répandu ».
Ces femmes adorent Poutine.
« Pour elles, les Russes, et plus encore les Ouzbeks, ne sont pas mûrs pour la démocratie, et un régime à pigne est ce qui leur convient. »
Ce qu’elles redoutent le plus ? L’avancée de l’islamisme, menace très grave pour elles, femmes Ouzbèkes.
« J’en arrivais à comprendre la prudence de mes amies, leur attachement à ce régime autoritaire et paternaliste qui les préservait d’une déferlante islamiste comme celle qui avait assombri, après la mort de leurs dictateurs, l’Irak, la Syrie, la Libye, l’Egypte… J’en arrivais à ne pas juger surfaite leur admiration pour Poutine qui, en protégeant le régime d’Assad, avait créé un cordon sanitaire pour l’Asie centrale. »
« Goulia me l’avait répété maintes fois : pour « ces gens-là » (elle parlait des combattants de Daech, Boko Aram ou Al-Qaïda), nous les Ouzbeks, nous ne sommes pas de « vrais musulmans. Chez nous, muezzin n’appelle pas à la prière, les femmes ne sont pas voilées. Nous aimons la vie sous toutes ses formes. »
Et puis, il y a Rano, qui s’occupe des maisons de Loubia et Lyane. Sa famille la marie à un cousin peu fortuné car à vingt-cinq ans, les partis se raréfient et il est hors de question de rester célibataire… On ne lui a pas demandé son avis. Qui plus est, elle risque d’être reniée car, au bout de quelques mois de mariage, Loubia n’est pas enceinte. Un grand écart entre Tachkent et le reste du pays et les amies de Lyane « libérées ».
Tout au long de ce long repas, je suis le récit de ces femmes, le récit de la Tartarie. Car Lyane Guillaume intercale l’histoire de Bibi, reine de Tartarie, de Tamara, danseuse de renommée mondiale, le destin de la mer d’Aral tuée par la culture du coton, le séisme de 1966…
J’ai aimé l’esprit du makhala, comité chargé de la gestion, qui distribue les aides sociales, organise le scrutin lors d’élections, gère la vie quotidienne du quartier.
La culture, l’histoire, la gastronomie de l’Ouzbékistan sont la somme de toutes les invasions turques, grecques, arabes, perses… pour finir par l’URSS. Lyane Guillaume donne vraiment envie de découvrir ce pays qui parait si chaleureux.
Les Mille et un jours en Tartarie raconte des histoires douces et violentes, modernes et archaïques, tristes et drôles, un livre gourmand, coloré, épicé, une lecture comme je les aime distrayante où les histoires racontent l’Histoire.
Lyane vit depuis deux ans à Tachkent, où elle s’est fait des amies. Autour du plov, le plat typique et de fête, celles-ci se racontent, illustrant le sujet des femmes d’Ouzbékistan.
Il y a d’abord Goulia, riche veuve d’un membre du parti. Puis Chirine sa soeur qui va fêter ses 50 ans, occasion de cette réunion.
Rano, la jeune employée de Goulia et de Lyane, partage quant à elle le sort de nombreuses jeunes femmes issues de familles modestes : forcée à un mariage arrangé, subissant les mauvais traitements de sa belle famille, la vie suspendue au fait de tomber enceinte rapidement, et d’un garçon bien sûr ! Avec elle qui a assisté à des événements sanglants et en est restée choquée, sont abordés des sujets plus politiques.
Zilola, Katia, Sayora et Lioubov… Toutes parlent tour à tour, évoquant leur vie mais à travers elle aussi l’histoire de ce pays, la culture, la politique… On y découvre des femmes fortes, assez libres, un peuple multiple et ouvert.
Ces confidences, recueillies par l’auteur, sont entrecoupées d’évocations de figures illustres, telle Tamara Khanoun, première danseuse ouzbèque à se produire sur scène.
Dans un joyeux brouhaha, une atmosphère de gaieté mais aussi de dureté parfois, les mots transmettent les sentiments, les émotions, les destinées. Entre les plats qui se succèdent à un rythme étourdissant, les bouteilles débouchées, les langues se délient, chacune attendant son tour pour se confier, se livrer.
Le résultat de cette cacophonie au sens propre est un mélange étrange. Car l’auteure évoque également par bribes le processus de création, les relectures, le choix du titre, du sujet… La juxtaposition des portraits de ses amies avec les évocations de figures illustres est un peu artificielle et j’ai trouvé moins d’intérêt aux secondes. Mais le tout forme une belle composition reflétant sans doute bien la multitude des situations en Ouzbékistan.
Dans un style bien particulier, Lyane Guillaume a su me faire découvrir, sous un prisme féminin et avec la chaleur de l’amitié, un pays que je ne connaissais pas du tout. Une jolie découverte.
https://mesmotsmeslivres.wordpress.com/2017/03/18/mille-et-un-jours-en-tartarie-de-lyane-guillaume/
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