"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Tirage de tête, numéroté et signé par l'auteur. En pleine maturité de son style, Jean-Pierre Gibrat n'a pas hésité à offrir à Futuropolis son projet le plus ambitieux. Pour saluer l'arrivée de cet auteur d'exception, Futuropolis a mis les petits plats dans les grands et propose une édition très luxueuse, au (très) grand format 30 x 40 pour 570 privilégiés.
Une petite musique mélancolique
Amélie et Mermoza partis à bord de l’avion de ce dernier pour effectuer des relevés topographiques dans une zone où s’affrontaient phalanges franquistes et Républicains n’étaient pas rentrés de mission à la fin du quatrième volume de Mattéo et leur sort était resté en suspens tandis que le héros éponyme s’était installé chez le notable du village, Don Figueras. Le cinquième tome nous apporte des réponses et, formant diptyque avec le précédent, conclut superbement l’épisode de la guerre civile espagnole en narrant les aventures de nos héros de septembre 1936 jusqu‘à la retirada de janvier 1939.
Depuis le début de la série, Jean-Pierre Gibrat alterne entre des tomes qui couvrent une longue période (14-18 pour le tome 1, la révolution bolchevique pour le 2 et la guerre espagnole pour le 5) et des moments beaucoup plus courts (15 jours en 1936 pour le tome 3 et quelques semaines pour le 4) et il profite de ces différents tempos pour installer les petites histoires des protagonistes dans la grande Histoire…
Ce tome 5 se déroulant dans un quasi huis-clos, le village d’Alcetria, a déjà des allures de conclusion. Sous le soleil plombant espagnol, les espoirs politiques se délitent, les personnages des premiers volumes se retrouvent pour mieux se perdre et c’est le tome des révélations sans happy end. Les relations s’étoffent et acquièrent une vraie densité. Pourtant, Gibrat n’a jamais été aussi peu disert que dans ce volume : il laisse place à toute l’expressivité de son dessin en nous proposant des doubles pages muettes et de nombreuses vignettes de visages en gros plan en champ contrechamp dans lesquelles les regards et les expressions extrêmement travaillés en disent beaucoup plus que de longs discours. Il fonctionne par litote en montrant par exemple la belle Amélie, ex-otage des phalangistes, préférer un Mauser à sa sacoche d’infirmière. L’auteur ne tombe jamais dans la grandiloquence ni dans le pathos. Soit il manie l’ironie (le sentimentalisme des retrouvailles entre Amélie et Matteo quand elle lui tombe dans les bras au moment de l’échange est immédiatement mis à mal par la scène quasi identique dans laquelle le curé abattu finit dans les bras du général) soit il pratique l’art de la retenue. Il use de l’ellipse et de la symbolique aussi comme dans ces grandes cases symétriques dans lesquelles Robert part à la conquête de Saragosse, la fleur au fusil, par une belle journée d’été pour revenir battu et dépité deux pages plus loin – et quelques mois plus tard- à Alcetria un soir d’hiver enneigé.
Dans cette œuvre très construite, le long monologue de Matteo comme la phrase gimmick d’Aneschka « là y a pas rien » acquièrent une valeur particulière, presque musicale : en devenant point d’orgue et variations. La légèreté initiale se mue en gravité. Petit à petit l’étau se resserre autour des héros : c’est la débâcle historique et la déroute des sentiments. On est loin du « pessimisme sifflotant » des premiers tomes et les confrontations acquièrent ici une grandeur tragique. Gibrat, au sommet de son art, ne semble rien laisser au hasard : le moindre détail est signifiant et ce qui apparaissait comme une digression s’avère finalement capital. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’il a en tête le scénario du tome 6 - dont il a déjà écrit la dernière réplique - qui réorchestrera toute la petite musique mélancolique de la série.
« Matteo » est une somme et une œuvre rare dans la bande dessinée parfaitement orchestrée scénaristiquement et splendide graphiquement…déjà un classique dont on attend, avec une impatience mêlée de tristesse, le dénouement.
Le cinquième épisode de Mattéo, le Cyrano de Jean-Pierre Gibrat, lyrique, poète, intrépide qui fait mouche à chaque envoi.
Pour Mattéo, la météo est en apparence ensoleillée, à la tête de sa section de forces républicaines il a réussi à mater et chasser les franquistes du village. Il s'est même installé dans la confortable demeure du roitelet local avec lequel une singulière cohabitation se noue. Des liens d'une autre nature le lient avec la fougueuse et flamboyante Aneshka.
Seule ombre au tableau, la disparition de la pétillante Amélie, qui n'est pas revenue de sa dernière mission aérienne.
L’automne jette sa parure dorée et ambrée mais bientôt il va déposer le malheur dans ce tableau (presque) charmant. La guerre exige son tribut de sang et le lecteur sait dans quelle funeste direction la roue tourne en Espagne à cette période-là. Une vendange tardive se fait avec un linceul qui se fond dans le paysage d'hiver.
Sans aucun doute, ce cinquième album est l'épisode le plus sombre de la série. Jusqu'à présent, dans un environnement tourmenté et tragique, tant sur le plan de la « grande » histoire que dans sa vie intime, Mattéo, tel un funambule avait su conserver un équilibre avec comme balancier ses élans de vie et son humanité. Mais en dépit du dessin toujours aussi lumineux l'obscurité semble avoir pris le dessus et on redoute que le pire reste à venir.
Un magnifique tome toujours autour de la guerre civile espagnole vécue par Mattéo. Un opus plus sombre que les précédents, des personnages toujours attachants, des rapports entre eux qui se précisent, un destin particulier souvent funeste pour la plupart d'entre eux, des dessins superbes... et toujours une fin qui nous laisse en émoi et en attente du prochain...A quand le sixième tome!
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