"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Je fus en grâce autant qu'en disgrâce. De l'un ou l'autre état les causes me furent souvent inconnues. À l'âge de quinze ans j'avais été placé au Collège royal, dans la classe de l'aîné des princes... ».
Celui que le destin projette ainsi dans l'entourage du futur roi du Maroc, Hassan II, aurait tort de trop croire en son étoile et de ne mettre aucune borne à ses ambitions. Il n'est pas sans risque d'avoir systématiquement devancé un prince au tableau d'honneur.
Attend-il d'être appelé au gouvernement ? On l'envoie en exil. Se croit-il perdu à jamais ? On le nomme historiographe du royaume, comme Racine sous Louis XIV, comme Voltaire sous Louis XV. Ce n'est pas pour déplaire à ce conseiller lettré, qui cultive une écriture d'un classicisme achevé.
Mais il a appris à redouter dans toute faveur apparente un jeu dont il serait obscurément la proie. Et qu'adviendra-t-il de sa loyauté à toute épreuve, lorsqu'une insaisissable jeune femme viendra lui murmurer les secrets des rébellions qui s'organisent clandestinement dans le royaume ?
Une transposition virtuose des Mille et Une Nuits et des Mémoires de Saint-Simon au xxe siècle, qui nous fait revivre trente ans d'histoire du Maroc, entre le crépuscule du « protectorat » et le début des « années de plomb ».
Quand on a été choisi comme condisciple du prince héritier au collège royal, on pense occuper plus tard de grandes fonctions, comme un ministère... C'est ce que croit Abderrahmane Eljarib.
Hélas, quand le prince devient le roi Hassan II, le jeune homme est exilé sur la frontière sud qui sépare le royaume d'une région encore occupée par l'Espagne. Peut-être parce qu'au collège il avait laissé gagner le futur roi aux échecs et s'en était vanté auprès d'autres camarades ?
Après de longues années, alors qu'Abderrahmane pense qu'il finira sa carrière sur la frontière, il est rappelé au palais royal pour être nommé historiographe du royaume, une fonction que Racine occupa auprès de Louis XIV et Voltaire auprès de Louis XV. C'est dire...
S'inspirant des Mille et Une Nuits et des Mémoires de Saint-Simon, Maël Renouard nous fait vivre trente ans d'histoire du Maroc, des prémices de la décolonisation jusqu'à la mort du roi Hassan II. Il n'occulte pas la dureté du régime, ni ne cache les tentatives de renversement qu'il subit, mais sans se prononcer sur où étaient la poule et l'œuf... N'allez pas y chercher des coupables ; on n'est ni dans l'histoire, ni devant la justice. Ce n'est qu'une narration, qui se veut très factuelle.
L'écriture de l'auteur, que je ne connaissait pas, est riche, et nécessite donc un minimum de concentration pour être appréciée.
En synthèse, un livre très bien écrit, qui éclaire d'un certain jour trente années d'histoire du Maroc, mais qui fait peut-être preuve d'un peu trop de pudeur sur le manque d'humanité du régime...
Chronique illustrée : http://michelgiraud.fr/2021/02/01/lhistoriographe-du-royaume-mael-renouard-grasset-brillante-traversee-de-30-ans-dhistoire-marocaine/
Maël Renouard convie le lecteur à suivre Abderrahmane Eljarib des années 50 jusqu'à nos jours. Abderrahmane est le narrateur dans ce récit à la première personne. D'origine modeste, il est choisi dans sa jeunesse pour intégrer le Collège royal et suivre ses études dans la classe du futur roi du Maroc Hassan II. En général, cet honneur permet par la suite une carrière prestigieuse dans les sphères du pouvoir. Toute la vie du narrateur va donc dans la suite du récit être exposée au lecteur avec plusieurs séquences qui s'enchaînent. Le narrateur va toujours avoir pour objectif de plaire au souverain avec plus ou moins de réussite ce qui va entraîner une succession de phases de "grâce et de disgrâce".
Une chose est certaine, ce roman ne laissera pas indifférent. Une première raison, l'écriture de Maël Renouard. Waouh, quel talent de conteur. La qualité littéraire de ce roman est indéniable et j'ai pris un vrai plaisir à parcourir ces lignes.
Au-delà de la grande qualité de la plume de l'auteur, le fond du récit est également très intéressant. C'est tout d'abord un voyage dans l'histoire du Maroc, on part du protectorat et puis on va traverser toute la phase d'instabilité des années de plomb avec notamment la tentative de coup d'état militaire en 1971. C'est très instructif même si l'on peut un peu s'y perdre lorsque l'on ne connaît pas l'histoire du Maroc. C'était mon cas, la lecture m'a donc appris pas mal de choses et m'a poussé à aller jeter un œil sur quelques sources pour avoir un peu plus de détails sur l'histoire de ce pays.
Par ailleurs, ce roman se veut aussi une réflexion intéressante sur l'exercice du pouvoir dans ce pays et son évolution à travers le temps. L'exercice du pouvoir mais pas seulement, l'auteur explore aussi les relations des tiers avec le roi. Le désir de plaire constamment, les jeux de pouvoirs et les rivalités pour se faire une meilleure place aux côtés du souverain, la peur de côtoyer les mauvaises personnes aux yeux du souverain, de placer une parole malheureuse, l'adaptation à des tâches que le narrateur se voit confier pour des raisons parfois absurdes. Le roman va assez loin sur l'étude de ces relations particulières.
Le narrateur est bien développé, ses réflexions très intéressantes et sa vie dans ce contexte historique est vraiment passionnante à suivre. Je n'ai par contre pas vraiment réussi à me plonger dans la peau du personnage, à ressentir ses émotions, le style bien que de grande qualité peut rester un peu froid, distant et il n'est donc pas forcément aisé de s'immerger vraiment aux côtés de ce personnage.
Pour autant, c'est un roman de très grande qualité, très instructif. J'ai vraiment découvert une grande plume et je recommande fortement cette lecture. Bravo et merci à l'auteur pour ce moment de lecture de grande qualité !
Ma note : 4,5/5
Historiographe du roi : que vient faire un poète en politique ? Si Racine et Voltaire ont tenu ce rôle auprès de Louis XIV et de Louis XV, on a le sentiment que le second est plus présent que le premier dans cette fresque éternelle des ambitions et des calculs. Le personnage du savant qui murmure à l'oreille du prince est aussi fascinant (sa culture est immense, la maîtrise de ses sources époustouflante) qu'agaçant (vaniteux, hypocrite, flatteur et parasite : le courtisan par excellence). C'est une femme qui lui rappelle que l'exercice du pouvoir est au service du bien commun, et qui l'éloigne de la cour avant qu'il en subisse tout à fait les effets pervers.
Maël Renouard, Normalien, agrégé de philosophie, s'est servi de son expérience de conseiller culturel à Matignon pour raconter avec beaucoup d'humour les illusions et désillusions d'un intellectuel en politique ; mais son roman marque une éclatante revanche de l'intellectuel sur le politique. Car son livre donne une furieuse envie de relire "Sertorius" de Corneille, "Bérénice" de Racine, les "Mémoires" de Saint-Simon et "Zadig", ou encore "Les Lettres persanes", à défaut des "Mille et une nuits." Finalement, l'historiographe s'efface derrière l'écrivain, car si on se souvient de Racine et de Voltaire, ce ne sont pas leurs travaux d'historiographes qui nous retient, mais bien leur oeuvre littéraire. Le pouvoir de l'écrivain dépasse celui du politique.
Années 50. Abderrahmane Eljarib est né la même année que le futur monarque Hassan II et, à l’âge de 15 ans, bien que d’extraction humble par rapport à l’ensemble des élèves, il est placé au Collège royal dans la même classe que l’aîné des princes.
Quelques années plus tard, il se retrouve au service du nouveau roi et oscillera durant toute sa carrière entre grâce et disgrâce. Au moment où il espère une consécration il est envoyé à Tarfaya – là où Saint-Exupéry fut nommé chef d’aérodrome – comme « gouverneur académique », titre pompeux pour une fonction qui ne sera que virtuelle, le territoire n’ayant pratiquement aucune école sur son sol.
En septembre 68 le destin de notre narrateur énigmatique emprunte une nouvelle direction. Alors qu’il s’attend à ce que le souverain lui jette l’opprobre, il est nommé officiellement « historiographe du royaume ».
C’est là que lecteur plonge dans un tourbillon éblouissant, tel un nouveau conte des Mille et Une Nuits avec des personnages mis en miroir, principalement Hassan II, Moulay Ismaïl, Mohammad Reza Pahlavi et Louis XIV. Nombreuses sont les tournures empruntées au conte par cet Aladin des temps modernes à la plume merveilleuse qui se fond dans un personnage qui semble avoir réellement existé.
Une plume merveilleuse mais qui a la faculté de se transformer en pointe de fer dans une encre de velours. Sous des apparences fortes élégantes et respectueuses, se glissent des remarques et épigrammes délicieusement révélateurs de la nature ambiguë d’Hassan II, ce monarque qui, par exemple, rejetait les courtisans mais ne tolérait pas que quelqu’un lui tînt tête.
Mais le plus judicieux est de mettre en parallèle, par le biais de célébrations chimériques, Hassan II et l’un des fondateurs du Maroc moderne : Moulay Ismaïl, aussi bâtisseur que sanguinaire dont le mythe et le parcours ne sont pas sans rappeler Louis XIV. De Meknès à Versailles, il manquait un autre lieu mythologique, celui de Persépolis où se déroulèrent en 1971 des cérémonies somptueuses pour commémorer les 2500 ans de la monarchie perse. Faste et mégalomanie.
Mais au fait, qu’est-ce qu’un historiographe ? Le protagoniste répond largement à la question lors d’un échange jubilatoire avec un Delhaye, professeur d’histoire et camarade de la même promotion que Georges Pompidou à l’Ecole normale supérieure. Le terme apparait en français vers la moitié du XVI° par le controversé Antoine Furetière mais son usage remonte plus d’un siècle auparavant. Une sorte d’histoire dans l’histoire que d’être officiellement le biographe d’un souverain. Racine, Voltaire, Boileau sont les plus connus, sans oublier un autre académicien qui fit date dans l’histoire de l’institution, Pellisson, et dont le parallèle que fait l’auteur avec son héros est troublant. Grâce et disgrâce, et inversement…Si la tradition s’est pratiquement éteinte après la Révolution française, il s’en est fallu de peu pour que Chateaubriand le devînt sous la Restauration. A la place, point de tentation de Venise mais l’appel de Rome pour devenir Ambassadeur de France près le Saint-Siège.
Ce premier roman de Maël Renouard est absolument splendide tant par sa forme, qui rappelle les Mémoires du Comte de Saint-Simon, que pour sa richesse historique naviguant sur les ailes des belles lettres et de toutes les subtilités qui font honneur à la langue française dans cette recherche du temps perdu au royaume chérifien. Des élégies livresques sur le théâtre du monde.
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