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« ça a débuté ça comme... comme on dit chez moi. Sauf que moi, j'avais toujours trop parlé. Trop. C'est Mouloud qui m'oblige à parler à nouveau. Mouloud, un chômeur professionnel, copain d'enfance. On se rencontre donc porte de Montreuil, à l'heure de déjeuner. Il veut m'écouter. Je commence à parler. "Restons pas dehors ! qu'il me dit. Rentrons !" Je rentre avec lui. Voilà. Dehors, le ciel était bas et gris. De ce gris déprimant des vagues qui s'échouent sur les plages du Nord. Gris, le bitume et l'asphalte, les derniers pavés, le métal des voitures, les pylônes électriques, les murs des maisons, les façades des immeubles, et les vitrines des cafés. Même les arbres et le visage des gens croisés dans la rue sont gris. Pourtant pas la pire du Neuf Trois, Bagnolet est une ville de banlieue où tout est permis, sauf la luminosité et les couleurs. Malgré les fleurs... Un vent glacé soufflait par rafales, décollant les papiers gras des trottoirs, transformés en "crottoirs", nappés de déjections canines et autres crachats visqueux. Cette ville grise est infestée de gremlins aux yeux de cendre.»
A trente-cinq ans et désormais père d'une petite fille, un écrivain revient sur les lieux de son enfance, à Bagnolet, pour y retrouver ses anciens camarades de jeu. Le texte, dont on peut supposer qu'il est largement autobiographique, dresse parallèlement deux portraits, celui, social, d'une banlieue dont les valeurs ont évolué et celui, personnel, d'un homme qui se voit vieillir.
Avec Les Enfants Rouges, Guillaume Chérel livre une œuvre puissante et viscérale.
Viscérale par l'omniprésence, dans la narration, des fluides : il y a du sperme, des glaires, de la sueur et bien sûr, du sang. Ça vit, ça bouge, il y a de l'humain dans cette banlieue grise, de la convivialité au 50, du foot sur les terrains vagues et des enfants dont l'identité se construit dans le rapport de force. Pour tout le monde, et plus particulièrement pour Jérôme Beauregard, blond aux yeux clairs de huit ans issu d'une famille communiste qui devra apprendre les codes pour survivre. Endurer les humiliations puis apprendre à se faire respecter. Frapper le premier. Frapper le plus fort. Apprendre à regarder, à jauger... Rouges les cocos, rouge le sang, rouge la colère, rouge la vengeance. L'homme qui revient sur les traces de son enfance a un ego fort, très imprégné de cette violence. Il est singulier, il est rebelle, il est sauvage et en colère. Il ne ce censure, observe et confirme les clichés contre le politiquement correct, il sort de ses gonds. Souvent.
Son langage est puissant, et c'est ce qui, à mon sens, fait de ce roman une véritable œuvre de littérature. Oralisé la plupart du temps, l'idiolecte de Jérôme Beauregard contient du manouche, du verlan, de l'arabe et aussi le vocabulaire d'un écrivain. Il ne mâche pas ses mots, il est cru (vulgaire parfois) et efficace. Il y a beaucoup de mises en regard, de parallélismes, d'oppositions (tiens, tiens) et quelques accumulation, des enchaînements de phrase construites sur le même modèle. Ainsi, la syntaxe est à l'image de l'environnement, frontale, belliqueuse, cumulative. Une véritable cocotte minute linguistique. On aimera ou on n'aimera pas, mais le compromis me semble difficile.
J'ai lu Guillaume Chérel dans d'autres registres, plus légers et humoristiques, j'espère le relire un jour dans un roman aussi abouti que Les Enfants Rouges.
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