"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Chaque jour, Anatole s'interroge. Que peut bien raconter cette fillette, sous le bouleau de la cour de l'immeuble, aux fourmis et aux chats ? Un soir, Le Petit Prince à la main, le vieux professeur de français se résout à l'approcher : « Tu connais ? » Manon, huit ans, n'hésite pas longtemps. Depuis que sa mère est partie, elle n'a plus grand monde à qui parler. Peu à peu, leurs solitudes s'apprivoisent. Et leur drôle d'amitié, née dans un bout de jardin, n'en est qu'au début de leur bout de chemin...
Nouveau coup de coeur pour un roman de Aude LE CORFF, son 1er roman en réalité : "Les arbres voyagent la nuit". Mon échappée belle à vélo de la semaine dernière se justifiait donc largement !!!
La plume de cette écrivaine, je l'ai découverte très récemment avec : "L'importun", son 2ème roman qui m'a totalement bouleversée.
Je crains de ne devoir attendre avec beaucoup d'impatience la sortie de son 3ème...
Mais ne nous éparpillons pas, revenons à l'objet de ce billet !
Après l'école, Manon, une petite fille, a récemment pris l'habitude de se plonger dans la lecture d'un livre sous un arbre du jardin public, voisin de son immeuble. Elle y trouve de nouveaux repères avec ses amis, les chats et les fourmis. Manon interpelle Anatole, ce vieil homme qui habite le même immeuble, au 1er étage, et qui l'aperçoit chaque jour, sous son saule. Lui-même est passionné de littérature, il était professeur de français lorsqu'il était en activité. Alors, un soir, il décide de franchir le pas et de partir la rejoindre avec un livre : Le Petit Prince de Saint-Exupéry. De cette rencontre, vont naître de nouvelles relations de voisinage, avec Sophie, la tante de Manon, qui vit au 3ème, et puis avec Pierre, le père de Manon. Tous ensemble, il vont mettre sur pied un projet totalement fou...
Je ne vais pas tergiverser, ce roman est tout simplement magnifique comme d'autres l'ont dit avant moi... Sabine Faulmeyer, Blablamania, Eliane Convert, Gaby, Melly...
C'est d'abord un petit concentré d'interculturalité. Tout y est, des êtres meurtris par l'absence de l'être aimé, une mère pour Manon, une épouse pour Pierre, une soeur pour Sophie, mais aussi un vieil homme qui vit seul, en lutte contre son corps qui s'affaiblit et le regard des gens qui le classent irrémédiablement dans la catégorie des vieux.
"Les gens, le considérant diminué à tout niveau, ont l'horrible manie de lui parler comme s'il était sénile. Tous les vieux sont sourds, dans leur esprit. Pourtant, à part quelques acouphènes qui vont et viennent, il n'a aucun problème auditif. Dans ses mauvais jours, il lui arrive de ne pas répondre quand on le traite comme un arriéré. Il laisse l'énergumène se démener dans le vide, pour finir par lui demander d'une voix posée d'arrêter de crier, on n'est pas dans un asile psychiatrique, enfin." P. 110
Il y a aussi le chemin de la résilience, cet itinéraire que chacun parcourt pour surmonter les épreuves de la vie et qui donne de l'espoir. Alors que chaque personnage essaie de surmonter seul la souffrance qui l'obsède, Aude LE CORFF va avoir la formidable idée de permettre la rencontre de tous ces individus, singuliers, pour se lancer dans une aventure collective, totalement imprévisible et ô combien salvatrice. Les êtres humains sont surprenants...
"On ne peut jurer de rien avec les gens, même ceux que l'on croit connaître le mieux." P. 244
Mais il y encore ce rapport au passé, à la mémoire des êtres chers, aux souvenirs...
"- Dans les moments de nostalgie, je m'immerge dans ces petites choses du passé, c'est tout ce qu'il me reste d'eux.
- Moi aussi, j'ai un tiroir avec des souvenirs très importants que je regarde souvent.
Ils fixent un instant le vide, chacun perdu dans un monde qu'il aimerait retrouver." P. 40
Et puis il y a aussi la littérature comme toile de fond. Impossible de ne pas fondre sur cette passion et les bienfaits des livres bien sûr !
Et puis il y a encore une multitude de parenthèses faites par l'écrivaine sur autant de sujets qui pourraient devenir à eux-seuls l'objet d'un nouveau roman. J'ai été particulièrement séduite par celle dédiée à la Cathédrale de Cordoue, p. 223, site que j'ai eu le plaisir de visiter il y a quelques années. En quelques lignes, elle retrace le passé de ce monument grandiose qui, au fil des siècles, est passé d'un lieu de culte musulman à un lieu de prière catholique tout en gardant les traces de son histoire.
Ce que j'aime enfin chez Aude LE CORFF, c'est sa capacité à induire de nouvelles lectures. Avec "L'importun", j'avais tiré le fil d'anecdotes relatives à l'histoire de Jeanne HEON-CANONNE et poursuivi avec "Les Hommes Blessés à Mort Crient", ce très beau témoignage préfacé par Albert CAMUS.
Avec "Les arbres voyagent la nuit", je crois que le moment est venu de lire "Miracle de la rose", cette autobiographie de Jean GENET. Là, pas besoin de me le procurer... depuis ma visite de l'Abbaye de Fontevraud, il repose sur l'étagère de ma bibliothèque sans avoir jamais trouvé l'opportunité d'en émerger. Désormais, il y rayonne !
Le 15 décembre dernier, je disais de "L'importun" qu'il faisait "partie de ces romans inclassables". "Les arbres voyagent la nuit" le sont également.
A voir quelle énergie met leur auteure à lutter contre les clichés et autres stéréotypes, quel plus cadeau lui faire que de ne pas classer ses romans dans une quelconque catégorie dans laquelle ils seraient à coup sûr étriqués !
Manon au printemps, Anatole en hiver. Manon dans l'hiver glacé du départ inexpliqué de sa mère. Anatole revivifié au printemps de la présence de Manon. Entre eux deux, un aviateur égaré, un petit prince et sa rose, un père inconsolable et une tante désemparée. Les vies cabossées de ces quatre personnages se frottent les unes aux autres, s'électrisent et se repoussent avant de s'apprivoiser et de se réconforter lors d'une expédition au Maroc.
Avec ces arbres qui voyagent la nuit, on traverse des contrées mouvantes comme des ciels marins et l'on passe sans cesse de l'humour à la gravité à la manière des personnages qui voient, de plus ou moins bon gré, leur existence dévier de leur cours.
L'écriture limpide et rayonnante d'Aude Le Corff nous touche précisément au coeur et nous emmène à la suite de Manon, à la recherche de réponses : qu'est-ce, finalement, qu'une famille ? De quelle nature sont les liens qui la constituent ? Que transmettent-ils ?
Ce beau roman nous parle de nous, de ce qui nous fait et nous défait, de nos existences entre coups de théâtre, coups de poing et coups de foudre.
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