"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Maïakovski (1893-1930) est un précurseur. Dès les années vingt, il détecte l'étrange proximité de deux grandes figures de la modernité : l'U.R.S.S. et les États-Unis, super modèle, concurrent de l'utopie soviétique, qui relèguent tous deux la vieille Europe au rang d'anecdote raffinée.
C'est ce que révèlent les textes de voyage du poète qui explore le monde avec cette passion de la vie immédiate et complète qui le caractérise. La France et l'Amérique principalement, mais aussi le Mexique, Berlin, Varsovie... Les témoignages qu'il nous a laissés de ces épisodes constituent un aspect original et peu connu de son oeuvre. Il s'y essaie à la prose tout en donnant quelques échantillons majeurs de son écriture poétique. Maïakovski reste fidèle à ses convictions fondamentales d'artiste et de militant, en les nuançant de nouvelles fascinations : la nature, le gigantisme de la puissance technologique, les raffinements européens.
Lors de ces voyages, il traverse plusieurs moments décisifs, entièrement nouveaux et longtemps ignorés de sa biographie sentimentale, qui sont essentiels à la compréhension du drame final. Peu avant sa mort, il arpente son pays natal à l'occasion de tournées : grand dialogue - corps à corps avec le nouveau public de la Russie soviétique avec lequel Maïakovski aura un curieux rapport fait d'espoir et de réserves. Cette relation est particulièrement éclairante sur le type de « compagnonnage », lucide autant que fervent, pratiqué par le poète à l'égard du régime.
Les voyages de Maïakovski sont un tour du monde « presque entier » vers la fin des années vingt et aussi un des reportages les plus complets dont on puisse disposer sur la personnalité profonde du poète, ses fastes et sa complexité.
La Masse Critique du mois de septembre de Babelio proposait ce beau titre en lecture, centré autour du poète soviétique, Vladimir Vladimirovitch Maïakovski, Владимир Владимирович Маяковский. C'est un titre, paru aux Éditions Les Belles Lettres, que je qualifierais d'hybride puisqu'il présente à la fois des textes à teneur auto/biographiques sur la vie de l'auteur, entrecoupés de poèmes, de correspondance ou de témoignage divers. En annexe, le texte est complété d'une biographie de Maïakovski, et d'une partie intitulée Repères, qui réunit et explicite les termes spécifiques à l'époque, aux mouvements artistiques et aux diverses personnalités évoquées.
Maïakovski est un poète et dramaturge futuriste soviétique, qui a traversé la fin du XIXe siècle, et les trente premières années du XXe siècle. Fervent partisan de la révolution, il s'engage très tôt dans la révolution. Vladimir Maïakovski fut le premier poète russe à utiliser le terme de « futuriste », notion largement explicitée en fin de livre. Il s'agit du mouvement héritier du symbolisme russe. Je cite « Les thèmes principaux de l'école sont un refus catégorique des catégories esthétiques traditionnelles, naturelles et harmonieuses, auxquelles sont opposées les beautés modernes, rugueuses et grinçantes, de la ville, de la technique, du béton, de l'acier et de l'artifice électrique, du cinéma naissant opposé au théâtre. » de la modernité, il est donc question, à travers les voyages de Maïakovski à l'étranger, c'etait assez rare pour un citoyen soviétique pour être souligné, et les parallèles qu'il trace en matière d'avant-gardisme esthétique à Berlin, Paris et aux Etats-Unis.
La présentation de feu Claude Frioux, traducteur de référence de Maïakovski auquel il avait consacré sa thèse de doctorat d'État, spécialiste de la littérature et de la civilisation russes, étudie le poète soviétique sous la perspective de l'universalisme et donc du voyage, du siècle qu'il a traversé, comme des pays qu'il a visités et dans chacun d'entre eux, cette tension vers une modernité qui marque les paysages urbains qu'il traverse. La révolution est au coeur de son oeuvre, et pas uniquement celles des Bolcheviques. Maïakovski pressent ses voyages comme une mission, celle d'apporter leur influence soviétique dans une Europe qui se noie un peu sous son passé et la France en particulier, il y apporte la révolution culturelle du futurisme, rencontre les artistes qui rejoignent sa posture esthétique, il évoque ainsi Robert Delaunay et ses Tour Eiffel, d'où il décèle « un pressentiment de la révolution ».
Maïakovski évoque la nécessité d'un « Octobre français » pour mettre fin au capitalisme bourgeois qui entrave toute possibilité au constructivisme russe, c'est-à-dire, utilitaire et fonctionnel, dans un mouvement vers la vie : « ce n'est pas vers les salons qu'il faut orienter ses découvertes, mais vers la vie, vers la production, vers le travail de masses, qui enjolive la vie de millions de gens ». D'un point de vue de la forme, la poésie de Maïakovski est remarquable, dans la recherche d'une simplification des formes, des vers courts, qui caractérisent ses poèmes graphiques, avec des vers disposés en escaliers, ou la syntaxe est dépossédée de sa fonction au profit du sens. En bref, comme il le dit lui-même, il cherche à s'éloigner « des canons sclérosés […] aux formes anciennes »
La présentation de Claude Frioux est assez exigeante, son style est assez académique et très imagé, souvent technique, fourmillant de tournures stylisées, c'est une écriture qui en tout cas ne se cache pas d'une certaine admiration pour le poète. Comme beaucoup d'autres artistes soviétiques, la fin prématurée de Maïakovski d'un coup de roulette russe, est évoquée ici dans l'ultime chapitre intitulé le dernier voyage : un voyage autour d'une chambre. Vladimir Maïakovski a été enterré avec les honneurs, et avec les hommages de Staline qui a évoqué un « poète de la révolution ». Ce recueil polymorphe de poèmes, de correspondances (Veronika Polonskaïa, Galina Katanian), de récit autobiographie ou simplement biographique constitue une source documentaire exceptionnelle pour apprendre à lire l'oeuvre de Maïakovski.
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