Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Un siècle d'histoire vu par un tableau.Tout commence en 1919 dans une forêt en bordure de Berlin. Otto Mueller peint Deux filles nues.De l'atelier de l'artiste aux murs du bureau de son premier propriétaire, le tableau observe le quotidien avant d'être emporté par les tribulations de cette période noire : l'arrivée d'Hitler au pouvoir, l'antisémitisme d'État, l'art moderne qualifié de « dégénéré » par les nazis, la spoliation des familles juives, les expositions, les ventes, les bûchers...
Acteur passif d'un monde qui le dépasse, Deux filles nues est un survivant. Fruit d'une enquête menée par Luz, ce roman graphique et historique nous appelle à la plus grande vigilance face à toutes les formes de censures politiques et culturelles.
Les premières pages suscitent immédiatement la curiosité et l’intérêt : quelques traits esquissés dont on ne comprend pas trop la signification, une image fragmentée… Puis, on distingue des yeux scrutateurs, un pinceau, un arbre, un homme qui peint, un bonhomme dans la forêt qui s’exprime.
C’est un tableau, et le lecteur comprend que la suite du récit sera perçue par les yeux et l’âme du tableau d’Otto Mueller de 1919 : « Deux filles nues ». Ainsi, quand le tableau est emballé, tout devient gris puis noir.
Luz : « Je propose ainsi d’expérimenter ce que c’est que d’être à l’intérieur d’une toile, de se trouver aussi impuissant qu’un objet ballotté de main en main ou accroché au mur. Cela donne une image assez fragmentée et mouvante. »
Puis, l’auteur nous embarque immédiatement dans les heures sombres du nazisme, et par extension, de n’importe quel mouvement d’extrême droite vers le pouvoir.
« On peut y lire un parallèle avec mon obsession pour la montée actuelle de l’extrême droite en Europe, et son arrivée à la porte du pouvoir en France…
C’est un bouquin nourri d’histoire, mais aussi clairement d’actualité ! Même sans le vouloir, il semble que je reste un dessinateur de presse. »
A l'arrivée de Trump à la Maison Blanche, les inquiétudes de l'auteur résonnent sombrement...
« Deux filles nues » fait partie de la collection de l’avocat juif Littmann, un passionné de peinture. Quand les biens des juifs sont spoliés, le tableau est confisqué par la Gestapo.
Pour le régime nazi, l’art moderne, c’est de « l’art dégénéré ». Donc il faut le montrer aux populations sous ce dénominatif, pour en faire un repoussoir et une honte absolue.
L’exposition : « Art Dégénéré » est organisée par Hitler en 1937.
Il ne suffit pas d’opprimer les populations, d’occuper les territoires, il faut aussi asservir la culture.
« A partir de maintenant, nous mènerons une guerre implacable contre les derniers éléments de la subversion culturelle, une guerre implacable de purification. »
Une vente aux enchères des « Dégénérés » s’organise sous l’égide nazie. Chagall, Van Gogh, Matisse, Laurencin, Otto Mueller en font partie. Certains ne trouvent aucun acquéreur…
En 1942, pour une bouchée de pain, le collectionneur allemand Josef Haubrich les rachète, dont « Deux filles nues »
« On ne collectionne plus désormais, on sauve »
On retrouvera le tableau jusqu’à son retour au musée Ludwig à Cologne, en 2000.
Un graphisme dépouillé qui contribue à la force du récit :
« J’ai travaillé essentiellement à l’encre gris sépia, avec un peu de sanguine, au lavis et même avec du café quand je n’avais plus d’encre, ce qui adoucit le dessin. J’ai cherché la douceur pour contraster avec le fond de ce que je raconte. Comme le tableau n’est pas propre au mouvement, il fallait que ça danse un peu dans la page, que le regard puisse valser dans les cases. Bizarrement, alors que le récit est très oppressant, je crois que c’est mon livre le plus fluide et aéré. »
En 1999, l’image des enfants Littmann retrouvant le tableau de leur père, est saisissante de simplicité et d’émotion.
Un parti pris original et très réussi !
BD lue dans le cadre du Prix Public France TV d’Angoulême 2025.
Merci aux éditions Albin Michel pour cette belle découverte.
https://commelaplume.blogspot.com/
En première de couverture, le titre du tableau accolé à la photo de deux SS vêtus de l’uniforme noir épinglé du symbole de la haine, portant à bout de bras le tableau de l’artiste Otto Müller aiguise la curiosité du lecteur. De « deux filles nues », tableau peint en 1919, le lecteur aperçoit deux pieds. Et il n’en verra pas plus.
« Pour l’inspiration, je préfère une nature libre et florissante, plutôt qu’une poignée d’arbres au garde à vous… ». Dans ce cadre, accompagné de Mashka sa muse et modèle, l’artiste peint. Accroché à l’arrière du vélo pour sécher, le tableau ira, aux pas de l’Histoire, de Breslau à Cologne en passant par Berlin. Il fera partie en 1937 de la grande exposition « d’art dégénéré » qui présentait plus de 700 œuvres réalisées par « les Bolcheviks et les Juifs ». L’expressionnisme s’opposait alors au style classique prôné par Hitler pour incarner la supériorité de la « race aryenne ».
Avec la biographie de cette œuvre acquise par un collectionneur, spoliée, retrouvée et restituée à son propriétaire, offerte par ce dernier au musée Ludwig de Cologne, Luz traverse un siècle d’histoire mettant en exergue la censure artistique dans la dictature nazie et l’avènement du troisième Reich.
Dans les tons bruns identiques à ceux d’une nature automnale, les expressions des personnages entrent dans l’esprit de cet album, sans incandescence, rythmé, et très expressif.
Loin d’être fan des albums graphiques desquels je privilégie souvent le texte, mon regard s’est toujours porté avec attention sur les dessins sombres aux formes acérées, témoins d’une certaine gravité.
A la date anniversaire de la tragédie à laquelle il échappa, je terminerai sur la question de Luz : « Sommes-nous tous des acteurs passifs de l’Histoire comme un tableau accroché au mur ? ». Le roman contribue à double titre au devoir de mémoire.
Au travers du regard (au sens premier du terme) du tableau « Deux filles nues » d’Otto Mueller (1874-1930), Luz va construire une fresque aux multiples dimensions : une partie de la vie d’Otto Mueller et ses muses, la montée du fascisme nazi avec son lot d’exclusions, de spoliations / vols, d’interdictions, de mise au banc de la communauté juive, de violences multiples, …
Le rejet de l’expressionnisme allemand et des développements de l’art du début du XX ème siècle qui était considéré comme de « l’art dégénéré » par les nazis se soldera par un grand canulard avec l’exposition de l’art dégénéré qui permettra d’avoir une des plus grandes (et belle) expositions de l’art du début du XX ème ! ; mais aussi des destructions physiques de nombreuses œuvres qui ne sont pas sans trouver des échos dans certaines fatwa religieuses conduisant à des autodafés et destructions diverses ! … quand ce ne sont pas des attentats … notamment contre Charlie …
Luz nous offre un ouvrage puissant, sensible, historique, extrêmement bien documenté, au graphisme simple et touchant … et malin en nous plaçant du côté du regard des « deux filles nues ».
A lire et partager !
Deux Filles Nues
1919, alors que débute le récit de cet album, Otto Mueller s’est installé pour peindre dans une forêt non loin de Berlin. D’origine tsigane qu’il revendique fièrement, le peintre avait en tête de peindre deux femmes nues. Pour cela, il avait fait se déshabiller, à l’abris des regards dans ce lieu perdu, Maschka sa femme. Elle devait lui servir d’inspiration pour les deux corps de femmes maintenant représentés à l’aide de pigments et de colle à bois sur un sac de toile de jute.
Ce tableau devrait bientôt pouvoir figurer au sein d'une exposition chez le plus grand galeriste berlinois. Une aubaine pour l’artiste qui peine à régler ses trois mois de loyer en retard. Accroché dans le petit appartement du peintre, le lecteur va pouvoir progressivement découvrir ce qu’il se passe devant le tableau.
En effet, par un procédé vraiment très intéressant, celui de présenter ce récit à travers les yeux des Deux Filles Nues se trouvant sur la toile, Luz fait se dérouler une part importante de l’histoire de l’Allemagne. Malgré le décès d’Otto Mueller en 1930, le tableau, ayant été acheté par un collectionneur juif, va servir de vecteur et ainsi nous montrer comment la famille d’Ismar Littman va vivre la montée de l’antisémitisme.
C’est ainsi, par ce qu’il se déroule dans une pièce, mais également à l’extérieur par la fenêtre de ce bureau, que nous avons une double vision de la politique mise en œuvre par le 3e Reich. Le tableau étant amené, en raison de son appartenance à l’art dégénéré, à changer de mains, le lecteur se promène dans des lieux divers et variés et ainsi à travers l’Histoire, grâce au trait de Luz, habilement caricatural, quand et comme il se doit.
D’expositions d’art dégénéré à travers l’Allemagne nazie, en passant par la célèbre vente de tableaux de Lucerne en juin 1939 (dégénéré ne signifiant pas sans valeur pécuniaire), cet album en entraîne dans les méandres de l’Histoire, qu’elle soit de l’art ou politique.
Une réussite à tout point de vue pour ce formidable album publié chez Albin Michel.
On est en 1919 et dans une forêt près de Berlin, le peintre allemand Otto Mueller tente de faire le portrait de Maschka, la femme qu'il aime. Du moins le pense-t-elle. Car sur le tableau apparaisssent deux filles nues. Même s'il sent que l'Allemagne est en train de changer, Otto est loin d'imaginer la vie que va connaître son tableau. Un destin unique qui va en faire un témoin privilégié de l'Histoire...
Après "Vernon Subutex" et "Testoterror", le dessinateur Luz propose avec "Deux filles nues" un roman "historico-graphique". Il nous immerge dans le tableau et c'est par son prisme qu'il nous permet d'observer presque un siècle d'Histoire. De sa première vente à l'arrivée d'Hitler au pouvoir, de la confiscation des œuvres à l'exposition d'"art dégénéré" à Munich en 1937 jusqu'en 1976 et son retour au Musée Ludwig de Cologne.
L'exploit de Luz est de ne jamais montrer le tableau avant la dernière page et pour cause, le lecteur est dans le tableau. Par ses yeux, il voit tout. Les cases s'adaptent à la taille du tableau, elles sont parfois penchées, cachées, empaquetées, poussiéreuses, dans le noir... Cela donne une narration unique et totalement réussie. Une prouesse !
Au prix d'une véritable enquête, Luz réalise un album magistral .Au travers du destin de ce tableau, qui comme lui est un survivant, il questionne aussi notre rapport à la censure, à la liberté d''expression. Avons-nous tiré les leçons de l'Histoire ?
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Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Chacune des deux demeures dont il sera question est représentée dans le sablier et le lecteur sait d'entrée de jeu qu'il faudra retourner le livre pour découvrir la vérité. Pour comprendre l'enquête menée en 1939, on a besoin de se référer aux indices présents dans la première histoire... un véritable puzzle, d'un incroyable tour de force
Sanche, chanteur du groupe Planète Bolingo, a pris la plume pour raconter son expérience en tant qu’humanitaire...
Des incontournables et des révélations viendront s'ajouter à cette liste au fil des semaines !