"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La destinée de la femme est d'être comme la chienne, comme la louve : elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d'elle.
Sade, La philosophie dans le boudoir.
Une femme parle. Elle accuse. Elle raconte. Elle prend la voix de plusieurs femmes. Récit fragmenté, éclaté comme les mille images entre lesquelles est tiraillé le corps de la femme. Chaque récit est un instant arraché à l'intime, une voix sauvée du silence, ce silence qui est l'histoire des femmes. Ce texte est une tentative de faire entrer par effraction dans la parole ce qui en a été toujours exclu, dire l'immense violence et les infimes douleurs. Et comment cet intime, le corps, la honte, appartient toujours déjà au monde, par les fantasmes, les discours et toutes les violences qui l'ont façonné et qui le hantent.
Ce livre est un exorcisme. Pour Louise Chennevière, « c'est une exploration de ces terres de l'imaginaire collectif qui modèlent notre singularité, c'est une tentative de comprendre comment on advient femme un jour, et pourquoi, quand on croyait avoir échappé à ce devenir déterminé, à ce destin du féminin, il vous frappe un jour comme ça en pleine gueule. » Chercher à savoir ce que cela veut dire, être faite femme par le monde et déjouer toutes les réponses.
S'agit-il des rêves, des délires d'une même femme ? De femmes différentes ? Il y a les dépossédées, ces femmes aux existences ravies par leur image, un homme, ou la maternité, et les possédées, ces femmes-monstres qui se réap- proprient violemment leur corps en prenant en charge l'infamie dont elles ont toujours déjà été frappées. L'histoire des femmes est du côté de cette « légende noire » des hommes infâmes qui est, selon Foucault, la légende de ces « vies qui sont comme si elles n'avaient pas existé ».
La femme dans tous ses états.
Un titre et deux citations en exergue, comme une gifle.
Ce sont des blocs courts et compactes pour donner de la voix.
C’est détonant dans le paysage littéraire, le style épouse le fond, cela se ressent immédiatement et dès les premières lignes une image s’impose, je devrais dire un tableau s’imprime dans mon esprit Le Cri d’Edward Munch. Ce peintre disait avoir eu une hallucination visuelle et auditive. J’ai ce sentiment profond dès les premiers mots. Je ne sais pas où cette lecture me conduit mais je fonce, comme dans un mur pour dire ce qui est tu. Comme si les propos de l’auteur étaient miens.
C’est étrange mais apodictique.
Le lecteur ne lit pas, il entend des voix de femmes à des âges différents et dans des situations différentes, des états que toutes ne traversent pas mais pourraient, auraient pu…
« Tu ne veux pas dire je, tu ne veux pas dire nous. Tu veux te tenir simplement à la croisée des routes, comme la vieille enchanteresse, être celle des chemins, battue par la pluie, soufflée par les vents, frappée par l’orage, sans domicile fixe, à l’écoute de toutes les voix du monde. »
Il me semble ressentir un Je multiple et un Nous chimérique.
C’est un fleuve qui charrie ces voix, le lecteur chemine de flux en flux, il est bousculé voire meurtri, le « nous » explose, il est diffracté.
C’est un ensemble désordonné pour un tout ordonné. Des formules brèves qui interpellent. La plasticité des corps, les empreintes sur l’âme, toute situation modifiable, peut être interchangeable, dans l’ordre du monde, qui dans son extériorité aux bras de poulpe nous laisse voir, comme pour l’arbre séculaire son tronc, l’écorce comme une évidence mais ne livre pas son essence.
Rous ces cataclysmes générés, perpétrés qui font qu’elle reste seule dans sa nuit.
Un livre extraordinaire, un style véritable dans son acuité, qui bât en brèche toutes les études sur la femme, car il laisse une empreinte indélébile dans le marbre de notre chair, le tout avec un vocabulaire qui castagne.
Il y a des livres, pas si nombreux, où le lecteur lambda se demande comment il a pu surgir de l’esprit de l’auteur. Je laisse le soin aux spécialistes de décrypter celui-ci, mais j’ai le sentiment que tout l’intérêt de cette lecture est dans la multitude des ressentis qu’il suscitera.
Je ne suis pas psy mais attentive aux titres des neuf parties qui le composent, en les mettant dans un ordre qui m’est personnel, cela résume l’empreinte qu’il laisse en moi.
« Comme le voyageur assoiffé ouvre la bouche, comme les navires marchands, et lui te dominera.
Qu’elle se tienne donc en silence, car il en est déjà quelques-unes qui se sont égarées.
Mais une folle peut la renverser de ses propres mains.
Et son infamie ne sera effacée, morte quoique vivante, cependant elle sera sauvée. »
Je sors de cette lecture totalement groggy, l’auteur a mis des gants de boxe à ses mots.
Un grand livre, la littérature recèle des trésors, il en fait partie.
Ce n’est pas un livre militant qui entrerait dans les cases des mouvements actuels et c’est une performance. Ce livre dézingue l’image de la femme soumise à un imaginaire aussi puissant que violent, et fait réfléchir sur le comment cet imaginaire est véhiculé et reproduit souvent avec la complicité des femmes.
La force qui en émane est inouïe et ne se dément jamais jusqu’au point final.
©Chantal Lafon
https://unmotpourtouspourunmot.blogspot.com/2020/02/comme-la-chienne-de-louise-chenneviere.html
Porté par une écriture stylistique étonnante, une ponctuation presque dansante, ce texte hybride qu’on ne réussit à réellement nommée est poétiquement enragé. Il picore des bribes de vies et de douleurs, des montagnes de salissures et d’espoir broyés. De multiples chapitres pour respirer la vie fracassante.
Un hommage à toutes les femmes brisées, malmenées. Une écriture déchirante, hurlant l’agonie des corps. Le corps stigmate qui retrouve sur son passage l’horreur renouvelé, qui pense retrouver la jouissance dans la soumission et la violence. Comme un rappel de ce qui a été a jamais fracturé, de l’impossible réfection. Le corps se souvient et se rappelle à nous, chaque jour, chaque instant. Le corps survit mais dénonce, reste digne par l’infâme.
Un texte sombre, déchirant, qui fend l’âme, qui ravive l’intime, qui écrase tout abandon sur son passage. Il m’a bousculé, bouleversé, le rejet m’a même tenté, mais l’appel masqué de la sororité m’a conquise.
Une secousse pour tous les coupables, les véritables, les taiseux et les complices et pour leurs victimes aussi. Ils peuvent abîmer les corps mais ne peuvent détruire la résurgence !
D’abord, il y a la lecture, l’impatience, la surprise, l’attente de la suite, puis la compréhension… me voilà face à un recueil de nouvelles qui parlent à chaque fois d’une femme autre, différente, mère, grand-mère, fille, sœur, épouse, amante, voisine, amie, elle y sont toutes, elles vivent, pleurent, espèrent, aiment, détestent tour à tour.
C’est bouleversant d’amour ou de haine, émouvant, douloureux parfois, surprenant toujours, mais tellement vrai au fond que c’est un véritable choc.
Une écriture sculptée dans les émotions, le verbe, le vrai. Porté comme un souffle de rage et de violence, de haine et d’amour, d’espoir et de crainte. Il y a une force incroyable qui émerge de ces pages, courts textes le plus souvent, mais qui en quelques lignes disent tout, y compris l’indicible, des sentiments forts que l’on tait ou que l’on exprime, avouables ou inavouables, des corps qui se frôlent, se croient, se plaisent, s’aiment ou proclament toute leur haine dans les mots et les gestes, la violence ou le silence. Alors elles s’expriment ces femmes, elles disent, elles vivent, elles ressentent, et le lecteur écoute, entend, pleure ou s’émeut avec elles. De toutes ces violences contenues, acceptées, réprimées, de tout cet amour qui veut éclore mais que l’on tait, de cette attente de l’autre, ou de ce rejet du mal, celui des hommes ou des femmes qu’elles rencontrent, dont elles croisent la vie, quelques instants, ou si longtemps.
C’est un livre qui bouscule les normes, qui se lit comme une supplique, celle d’entendre et de comprendre l’autre, cette femme qui ne s’exprime pas mais qui souffre, cette femme qui ne dit pas mais qui aime, et toutes celles qui disent, qui font, qui espèrent. Et puis toutes les autres. On tourne les pages sans pouvoir s’arrêter…
lire ma chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2019/09/17/comme-la-chienne-louise-chenneviere/
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