"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Bossnapping. Sur le modèle de l'enlèvement d'enfant ou kidnapping. C'est le terme utilisé par les journalistes anglo-saxons pour qualifier les cas de séquestration de patrons en France. Les auteurs des faits étant peu ou pas sanctionnés, le recours au bossnapping tend à se banaliser comme un mode normal de gestion des confl its.
C'est du moins le point de vue des observateurs étrangers qui voient dans cette pratique, et le relatif soutien dont elle bénéficie dans l'opinion publique, une exception française, la survivance d'un esprit frondeur et contestataire hérité de 1789.
De quoi les événements qui secouent Bois Il , ce jour de jui llet, sont-ils le symptôme?
D'une crise ponctuelle, circonscrite à l'enceinte de la Stecma? D'un état pré-insurrectionnel qui pourrait s'étendre à d'autres territoires dans le pays?
Les médias nationaux font preuve de moins de sévérité que les médias étrangers dans leur couverture des cas de séquestration en France. Leurs moyens d'investigation et d'analyse sont cependant limités. Une fois dépêchés sur place, ils restent cantonnés à l'extérieur du site, les mêmes images tournent en boucle, quelques déclarations, des bribes de témoignages, mais concrètement ce qui est à l'oeuvre derrière les murs, on ne le sait pas.
Pour le savoir, il faut franchir les grilles barricadées, se mêler aux salariés, entrer dans le huis clos de la séquestration.
La littérature avec les outils qui sont les siens, sans renier de la subjectivité de son point de vue, a les moyens d'élargir le champ d'observation, de descendre jusqu'aux racines du conflit, de remonter dans le détail des heures pour explorer cette zone ténue, sur les vingt-quatre ou trente-six que dure le combat entre un homme seul et un collectif, où tout peut basculer.
Magnifique huit clos entre un groupe d’ouvriers sentant leur monde disparaitre et un chef d’entreprise d’une efficacité redoutable. Affrontement de 2 mondes qui ne se comprennent pas, qui s’ignorent et dont les objectifs sont radicalement opposés. Affrontement entre la vie, le désir d’enracinement et l’argent, la mobilité. Ils sont pris dans l’angoissante pesanteur de l’appartenance géographique.
Il est mobile, ils sont foule, il est seul, ils sont perdus, il est imperturbable, ils perdent, il gagne … et la vie continue. Ici pour eux, ailleurs pour lui.
Joseph E Stiglitz, prix Nobel d'économie, a écrit que le capitalisme est un système pervers qui ne tient pas ses promesses mais qui en plus apporte "l'inégalité, la pollution, le chômage et, c'est le plus important, la dégradation des valeurs (morales) jusqu'au niveau où tout est acceptable et où personne n'est responsable."
Ce roman en est l'illustration parfaite. Il pénètre dans le coeur du système, l'analyse, le dissèque dans le prisme des pensées d'une ouvrière militante. Il rend compte de l'impact que subit la masse des salariés qui se débat comme elle peut face au blog glacial de leur dirigeant où l'accumulation des profits à remplacer le coeur.
Hélène Filhol parle "d'état de guerre" : " On est en guerre sans avoir connu l'autre, la vraie, dans la honte de l'inaction puisqu'on nous affirme vivre en paix et dans la libre circulation des biens et des personnes. Des vies détruites et le territoire ravagé pourtant, avant même d'avoir eu le temps de prendre les armes...". Elle montre très bien le travail de sape, le lent effritement de la classe ouvrière cantonnée à survivre dans les marges d'un système qui les utilise selon son bon vouloir, un système qui ne valorise plus ni le travail, ni l'esprit d'entreprendre mais uniquement la rentabilité et le profit de quelques investisseurs. Elle nous emmène dans la tête de tous ces ouvriers que la machine va rejeter aux abords sinistres des friches industrielles, ne leur restant que leur yeux pour contempler les vestiges d'un passé pourtant pas si glorieux qui leur apparaît malgré tout plus simple, plus solidaire voire plus humain.
Le roman n'est pas un reportage mais la transcription très littéraire de cet état de fait. La phrase, travaillée à l'extrême, fouille dans les moindres recoins de ces femmes et de ces hommes sans jamais oublier qu'ils ne sont que le fruit d'un long passé historico/social. "Bois II" adopte un peu la structure du roman à suspens, le sujet et l'unité de temps s'y prêtant à merveille, mais préfère au final éviter tout romanesque pour rester au plus près de la réalité, voire de l'étude sociologique. La lecture en est certes plus exigeante mais beaucoup moins anodine et au final vibrante d'émotion.
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