L’écriture fluide, limpide et captivante de Paul GREVEILLAC nous plonge avec délices et curiosité dans le quotidien du héros, aspirant architecte. Résolument moderne en dépit de l’époque dépeinte, la narration n’est absolument pas poussiéreuse et la Budapest du XIXème siècle est si...
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L’écriture fluide, limpide et captivante de Paul GREVEILLAC nous plonge avec délices et curiosité dans le quotidien du héros, aspirant architecte. Résolument moderne en dépit de l’époque dépeinte, la narration n’est absolument pas poussiéreuse et la Budapest du XIXème siècle est si naturellement, si vivement contée, qu’elle en devient vivante. Les tableaux s’animent, les scènes se jouent au fil de la lecture...
L’apparition relativement tardive du personnage principal le nimbe d’un léger mystère et permet à l’auteur de présenter les lieux de manière neutre, de planter le décor, avant que Lajos ne dépeigne la jeune ville de ses yeux d’architecte ambitieux.
Les protagonistes sont finement travaillés, tout en ambivalences et touchent par leurs blessures, leurs espoirs, leurs déceptions, leurs énergies, leurs failles...
Lajos, assoiffé de reconnaissance révèle, en plus de son acharnement, de son dévouement et de son abnégation, de surprenantes capacités d’adaptation, n’hésitant pas à se remettre en question et assouplir les fondements de son style, ce qui concourra à établir sa position. Cependant et à l’instar de tous les artistes dont l’ambition est plus créatrice que pécuniaire, il fait montre d’un inquiétant penchant pour les contrats nébuleux, incertains, bien qu’aux retombées potentiellement phénoménales en termes de renommée, de prestige artistique - ce qui le perdra.
Katarzyna dément, dès sa première apparition, la candeur naïve qu’elle exsude, sans pour autant en devenir antipathique. Son passé, qui se devine pesant, intrigue autant qu’il effraie. Petite déception, toutefois, quant à son rôle de muse, présenté en quatrième de couverture comme moteur dans la carrière du jeune homme et pourtant quasi inexistant.
L’oncle Jákob, qui développe avec Lajos une véritable relation père-fils, s’avère infiniment moins revêche qu’au premier abord et le commis András plus fragile qu’insolent...
Sous ses airs de bonhommie débonnaire, Barnabás KOCSIS, quant à lui, dévoile un redoutable et efficace homme d’affaires avec lequel un partenariat permettrait à LIGETI d’obtenir une liberté créative certaine sans pour autant y sacrifier l’opulence du cabinet.
Ferenc DORÁTI, pour sa part, fougueux et ambitieux, laisse entrevoir l’explosivité de sa relation à LIGETI (quels qu’en seront la direction et le domaine)…
Si l’auteur a su nous rendre attachante la personne du héros, l’architecture elle-même n’en est pas moins un personnage central, pilier autour duquel est construit le récit (« … [espaces] … au sein desquels l’homme devenait hors sujet. »)
Dans la nouvelle Budapest, ville en friche, les férus d’architecture guettent les érections d’édifices, œuvres d’art à la gloire de leurs créateurs - le fantasque LECHNER ou le rigide ALPÁR, se demandant comment Lajos parviendra à développer et asseoir sa position dans le marché âprement disputé de l’architecture hongroise...
Disséminées dans le roman, plusieurs images très graphiques, certaines contrastées ou en jeu d’oppositions, évocatrices tout en sobriété, s’inscrivent dans la lignée du style architectural du héros – fonctionnel, épuré, puis admettant sur le tard quelques discrets ornements…
À déplorer, toutefois, quelques interventions de l’auteur dans le récit, notamment au sujet des Noirs mis en scène lors de l’exposition du Millénaire. En effet, l’écrivain fait parler les personnages pour lui, afin de montrer son désaveu quant à certaines pratiques ou mentalités (« à chaque époque ses travers »). Si le fond est louable (ne pas cautionner l’asservissement d’une catégorie de personnes ou le génocide d’une autre), l’irruption dans le récit de la pensée personnelle de l’auteur est incongrue et ressentie comme une ingérence.
Si une pléthore d’auteurs a usé et abusé de la métaphore de la création littéraire et artistique comme procréation mammalienne, Paul GREVEILLAC se démarque ci en traitant, en amont, la passion artistique comme un amour « humain » dans tout ce qu’il a de plus physique, sensoriel, charnel... Cette langoureuse métaphore filée est particulièrement explicite au sujet des livres, que l’on découvre, admire, désire, touche, hume, dont l’on caresse les pages à la lecture – pages que l’on peut également parfois aller jusqu’à arracher de rage…
Impossible de manquer le parallèle évident entre l’évolution artistique de Lajos et le parcours littéraire de tout aspirant écrivain ; le cheminement nécessaire pour « décrocher des chantiers » rappelant les étapes à franchir pour l’obtention d’un contrat d’édition.
Les multiples paramètres à prendre en considération pour gagner sa place dans le monde architectural Budapestois de l’époque, transposables à la quasi-totalité des domaines artistiques, indépendamment du lieu et du temps, sont savamment présentés, dévoilant les rouages complexes de l’installation d’un talent.
Maître dans l’art de distiller l’espoir pour mieux faire choir son héros, l’auteur truffe progressivement le récit d’éléments aussi surprenants que soudains, lui imprimant un rythme qui s’accentue en crescendo.
En bref : Bien que scarifié par une gigantesque injustice laissant en proie aux sentiments afférents (principalement de l’impuissance ainsi qu’une intense frustration), ce récit n’en reste pas moins une ode à la création artistique de manière générale, à la passion et au dévouement de tout artiste pour sa voie et sa voix. Une œuvre d’art à l’architecture millimétrée, au scénario finement ciselé, qui présente en toute délicatesse les conflits, rapports de force et jeux de pouvoir que peut susciter l’émergence d’un courant artistique, y compris dans leurs aspects les plus sombres.
Si la fin est tragique, sa logique, sa cohérence avec le déroulé des événements sont indéniables.
voilà qui me donne envie de découvrir cette œuvre et cet auteur!