"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Pour qui veut se familiariser avec la littérature haïtienne ce roman est une des multiples portes d'entrée vers cette culture caribéenne aux accents francophones. En cette fin des années 30 Hadriana jeune beauté française des beaux quartiers de la capitale se marie au milieu de tout ce qui compte de notables et de va-nu-pieds. Et voilà qu'elle pousse son dernier souffle au moment du "oui" !!!!
La fête doit elle avoir lieu car c'est carnaval ? Cette mort est l'occasion de voir christianisme et vaudou faire bon ménage dans l'organisation même des funérailles...... Dépaysement assuré et bon moment de lecture
Popa Singer est l'oeuvre d'un poète, certainement l'une des plus grandes figures de la littérature haïtienne et de ce que l'on désigne par réalisme magique, ou réel merveilleux.
La langue de Depestre est à nulle autre pareille : il faut avoir lu Hadriana dans tous mes rêves ou Alléluia pour une femme-jardin pour en apprécier sa grande sensualité; mais Depestre est avant tout un poète-combattant, exilé à Cuba où il combattra aux côtés de Castro et Guevara avant de dénoncer les dérives du régime et de rejoindre la France, où il vit maintenant.
Popa Singer est la matriarche d'une maisonnée qui refuse la dictature de Duvalier, le sinistre Papa Doc, père Ubu pornographe dont la cruauté va jusqu'à éliminer tout l'entourage de ses opposants. Mais la famille Denizan vit sous la protection de Popa Singer (la référence aux machines à coudre n'est pas fortuite, mais lisez donc le livre !) et de ses pratiques vaudou. L'un des fils est Richard, portrait évident de René Depestre, qui s'est vu proposer, avec quel cynisme ! de collaborer à l'oeuvre délirante et monstrueuse de son ami d'enfance, ledit Papa Doc; bien évidemment et conscient du danger mortel qui en résultera pour lui et sa famille, Richard refuse. Il faut lire Popa Singer, mais aussi les manifestes poétiques de cet immense écrivain dont la soif de liberté et de justice irrigue toute l'oeuvre.
Popa Singer, c'est un diminutif de Popa Singer von Hofmannstahl, née sous le nom de Dianira Fontoriol, haïtienne de Jacmel, mère de Richard Denizan, le narrateur, double de René Depestre. Pourquoi ce surnom ? C'est un peu long à expliquer et René Depestre le fait tellement mieux que moi, disons que le Singer est lié à la machine à coudre et non au vocable anglais et qu'il faut donc le dire à la française, "Popa Singère". C'est dans la maison de Popa Singer que se regroupent les frères et sœurs et beaux-frères de Richard. Elle est couturière mais est aussi habitée par un loa (esprit mythique vaudou) qui la fait entrer en transe et deviner des événements du futur. Une femme forte, veuve de bonne heure qui est le ciment de cette famille.
1958 est une année particulièrement violente en Haïti, Papa Doc doit asseoir son pouvoir et ne rechigne pas à faire tuer tous ceux qui se mettent sur son passage ; cette année-là : tentative de coup d'état, état de siège, élimination des gens soupçonnés de trahison envers lui, enfin, tout passe et notamment la création officielle des tontons macoutes tristement célèbres.
Je ne connaissais René Depestre que de nom, aussi suis-je allé me renseigner sur sa vie son œuvre et je m'aperçois que ce livre est en fait sa vie, Richard Denizan, c'est lui. Aujourd'hui âgé de 90 ans, René Depestre vit en France. Son récit serait amusant s'il n'était tragique. Ubuesque, c'est le mot qui convient. Papa Doc est une espèce de père Ubu comique, ridicule, totalement centré sur lui-même. Ses sbires ne valent pas mieux. La langue dont use rené Depestre est un bonbon à déguster, à laisser fondre, argotique, grossière, recherchée, poétique, empreinte des croyances et des us du pays, néologique :
"Tu voudrais dire, fis-je, que nous vivons nos iniquités sociales et les fléaux naturels comme des phénomènes également magiques ; le tonton-macoutisme d'État, la papadocratie vitam aeternam, la satrapie, créole ou bossale, le carnaval politique auraient la même origine surnaturelle que les pluies et les vents qui dévastent les plantations de bananes ?
- Oui, dit Dianira Fontoriol, la négritude totalitaire à la Papa Doc est la chiennerie cosmique des sorciers de la barbarie." (p.89)
Un pan de la vie de l'auteur et de son pays magnifiquement raconté, avec en prime des réflexions sur le totalitarisme, le racisme, la révolution, la résistance, l'indignation, la résignation et le refuge dans le vaudou et les croyances traditionnelles. Un texte important qui m'a permis de remettre à jour ce que je connaissais de l'histoire de Haïti, de lire une langue fraîche qui m'a laissé sans voix. Admirable !
Je n'ai pas réussi à le lire
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