"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le titre m’a piégée : Louisiane. Ça sonnait comme une promesse, comme le couplet d’une balade de Nino Ferrer. Irrésistible. Bien mal m’en a pris. Parfois, uniquement guidée par l’aléa, par la beauté d’un titre, d’une couverture ou de cette page 99 que je lis systématiquement pour me faire une « petite » idée, je paye cher mon refus de me laisse influencer par les chroniques des uns ou les commentaires des autres. Tout est raté dans ce bouquin. Le personnage central erre de l’Afrique à l’Amérique, en quête de soi, sans susciter la moindre empathie. La Louisiane est un décor de carte postale. L’intrigue est inexistante. Le style est poussif. Je n’ai rien contre les zeugmas, mais il est nécessaire de ne pas en abuser au risque de vite tomber dans le ridicule (exemple, p49 : « je l’écoutai caler son souffle et ses fesses dans un siège »). Les clichés pullulent. À un moment je me suis dit, elle ne va quand même pas nous faire le coup de la visite de la riche propriété où le méchant blanc exploitait des esclaves dans les champs de coton. Et bah si ! Rassurez-vous, il y a aussi le bayou, les crocodiles, le cyclone Katrina, le poulet frit, le jazz… Fabienne Kanor a coché toutes les cases. Elle vaut mieux que ça la Louisiane. Elle intrigue, elle glisse, elle poisse, elle met mal à l’aise, elle intoxique. Comme dans la première saison de « True Detective » (Nic Pizzolatto) ou le film « Angel Heart » (Alan Parker). Même « Les aventures de Bernard et Bianca » de Walt Disney s’en est mieux sorti. C’est dire… Allez zou, on passe à autre chose.
Bilan :
Fabienne Kanor mélange adroitement les genres dans son roman : odyssée de ceux qui s'exilent pour trouver mieux ailleurs, roman initiatique du passage à l'âge adulte et roman d'un amour contrarié, mal engagé entre la jeune citadine bêcheuse et le jeune homme pas très sûr de lui. On commence avec ces deux jeunes gens à l'âge où l'on pense beaucoup à soi, où tout reste à faire pour se construire un avenir et une personnalité. Ils sont en devenir, des ados mal dans leurs peaux : "Oh, ce n'était pas la colère du jeune homme [Biram] qui l'alertait, mais plutôt ce truc visqueux et vénéneux qu'il sentait poindre derrière, et que les gens éduqués appellent mélancolie." (p.135) Puis ils feront leurs routes pas comme ils l'escomptaient, feront des rencontres qui leur permettront de vivre, survivre de toucher du doigt leur rêve. Biram sera "modou-modou", vendeur à la sauvette, d'abord à Tenerife, ce qui sera l'occasion pour Fabienne Kanor de nous décrire le touriste de base sarcastiquement, le passage est un peu long, et c'est fort dommage, car je vous l'aurais bien cité en entier, je me contenterai du début : "Occupée à beurrer des sandwiches à la mortadelle, la femme, une bagatelle d'un mètre soixante à peine, bêlait aux oreilles de son mari. Elle rouspétait, pour commencer, contre cette chambre d'hôtel qu'ils occupaient depuis une semaine avec vue sur la moitié d'un parking et où l'on entendait les cris des voisins. [...] Il n'y avait pas plus plouc que les clients de l'Agua Mar. Plage, bar-tabac et supermarché, c'est tout ce qu'ils connaissaient, en dehors de leur chambre." (p.142/143)
En quatre parties, F. Kanor fait grandir ses personnages pour les emmener vers un âge adulte, vers des désillusions et des déceptions, mais aussi vers des espérances. Son roman est mélancolique, pas déprimant, parce que malgré tout, reste un ou des espoirs, ne serait-ce que celui de la vie qui continue et qui peut apporter son lot de belles surprises : il reste que lorsqu'on passe une partie de sa vie en tant qu'exilé sans papier, on ne peut pas dire que la bonne humeur, l'allégresse règnent en maîtresses. Biram et Marème sont des personnages auxquels j'ai eu un peu de mal à m'attacher ; malgré toute mon attention, je n'ai pas toujours ressenti pour eux toute l'empathie (et non pas de la pitié) que j'aurais voulu, sans doute parce qu'ils ne sont pas éminemment sympathiques, plus occupés à s'en sortir qu'à essayer de s'attirer les bonnes grâces ou des amis. Malgré cela et malgré des longueurs dans ce roman, je le conseillerais très volontiers, d'abord parce que je crois que les personnages, les situations évolueront dans chaque lecteur quelques temps après l'avoir fini et ensuite parce que l'écriture de Fabienne Kanor est vraiment très plaisante : des néologismes, des "africanismes" (ça se dit ça ?), des belles phrases propres à faire naître des images nettes, un langage simple et direct qui épouse parfaitement les caractères de Biram et Marème. Une écriture comme je les aime, inventive, originale et pleine de trouvailles.
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