Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Mauvais oeil est un roman nominé dans la catégorie fiction des Goodreads Choice Award en 2023, l'écriture d'Etaf Rum est impeccable, claire et concise. L'héroïne Yara Murad va défier sa famille conservatrice et sa culture. Elle est marié, travaille dans une université et élève deux filles. Insatisfaite de sa vie, en colère et en manque de liberté. Après un incident au travail Yara affronte ses traumatismes mais elle prendra du temps a réfléchir sur ses désirs et son avenir.
Etaf Rum nous offre un fascinant regard sur la culture palestinienne, la santé mental d'un individu, un récit féministe, solitude, espoir, insécurités, restrictions imposées aux femmes et liberté. Une lecture complexe, puissante et déchirante qui souffre aussi de nombreuses répétitions.
" Peut-être n'avait-elle jamais affronté la voix dans sa tête parce qu'il lui avait été plus facile de l'écouter. Il lui avait été plus sûr de croire qu'elle était une mauvaise personne. Au moins, elle avait le contrôle de la situation. Au moins, elle pouvait organiser sa vie avec tant de soin que sa méchanceté ne se répandait pas et ne s'infiltrait pas partout. Mais elle ne pourrait plus vivre sa vie avec ce regret, paralysée par tous les mots qu'elle n'avait pas prononcés."
"C'était comme si son corps était un océan, et ces sentiments allaient et venaient toujours comme les marées. La tâche consistait à ne pas se laisser emporter par l'un des courants. La tâche consistait à accepter que ses entrailles soient parfois violentes et tumultueuses, et à l'accepter. "
Un roman américain qui met en scène la vie d’une jeune femme, Yara, d’origine palestinienne, née aux Etats-Unis.
Nous allons suivre Yara, écartelée entre deux mondes : celui de son héritage familial avec une culture palestinienne omniprésente, et celui de la Caroline du Nord où elle aimerait tant s’émanciper.
J’ai été conquise par ce roman féministe qui met en avant une femme déchirée, qui lutte contre les dictats de sa culture pour se trouver, pour trouver la liberté, pour travailler et avoir un salaire. J’ai été fascinée par ce personnage au caractère très fort qui cherche simplement sa place, son bonheur et celui de ses filles dans ce monde.
Nous allons découvrir des secrets de famille, des traditions qui s’incrustent dans la société américaine, les souffrances de cette femme qui ne se sent à sa place ni dans son pays d’origine, ni dans le pays où elle est née. De nombreux sujets sont ici abordés : le poids familial, l’émancipation de la femme, l’emprise de la famille, les croyances culturelles, la charge mentale de la femme, le travail de la femme.
Un roman que j’ai eu plaisir à ouvrir chaque jour jusqu’à la fin ; un personnage auquel je me suis attachée ; une histoire de vie qui donne à réfléchir. Une lecture dont la force est dans le fond plus que dans la forme.
Yara est fille d'immigrants palestiniens, élevée à Brooklyn au sein d'une communauté arabe soudée autour de leurs traditions culturelles. Lorsqu'on fait sa connaissance, elle approche de la trentaine, est mariée depuis dix ans à Fadi, a deux filles et donne des cours d'arts. Lorsqu'elle s'emporte violemment après le commentaire raciste d'une de ses collègues (qui l'essentialiser en tant que femme arabe comme forcément opprimée et réduite au silence chez elle), sa hiérarchie lui impose des séances auprès du psychologue de l'université, obligation pour réintégrer sa charge auprès d'élèves. L'occasion, malgré elle au départ, de faire le point sur sa vie et de comprendre pourquoi à chaque fois qu'elle se sent menacée, ressortent des pulsions de violence et de colère impossibles à contrôler. Elle ne peut plus éviter de se confronter à des conflits non résolus qu'elle a toujours ressenti en elle.
« Des larmes coulèrent sur ses joues qu'elle essuya aussitôt, mais d'autres suivirent. Les couleurs du campus se brouillèrent, se fondirent les unes dans les autres. Yara avait l'impression d'être au milieu d'un tunnel dont les deux extrémités étaient bloquées. Elle avait passé toutes ces années à se convaincre qu'elle était aux commandes de son existence. Mais l'était-elle seulement ? Elle croyait trouver la liberté en quittant le foyer de ses parents, mais elle n'avait fait que suivre la même voie prescrite aux femmes qui l'avaient précédée. Aiguillonnée par les mêmes peurs, prisonnière de la même honte. En se berçant en outre de l'illusion que sa vie valait mieux que les leurs. Mais c'était loin d'être le cas, et pourquoi cela l'aurait-il été ? Elle ne méritait pas d'être heureuse. »
Etaf Rum alterne un récit à la troisième personnage et des extraits du journal que Yara tient en s'adressant à sa mère décédée, figure centrale de sa vie, persuadée d'avoir été victime d'une malédiction, mauvais oeil qu'elle aurait transmis à sa fille. Yara veut briser la malédiction, ne pas devenir comme sa mère, dépressive et aigrie. Elle ne veut plus être en guerre perpétuelle contre elle-même.
Suivre le réveil d'une femme sous influence et son parcours vers la connaissance de soi, afin de se réconcilier avec elle-même et décider en conscience de son avenir, le sujet n'est pas nouveau. En soi, l'intrigue est très mince, le rythme lent avec des motifs répétés, et pourtant ce roman est passionnant par l'étude psychologique qu'il fait de Yara. L'écriture nette d'Etaf Rum, sans obstentation mais d'une rare précision, permet de s'immerger au plus près de la psyché de la jeune femme et de suivre son évolution jusqu'à s'ouvrir aux autres. Même les passages à la troisième personne donnent l'impression de lire un monologue intérieur.
La lutte de Yara pour trouver l'équilibre (ou pas) entre une sécurité apportée par l'obéissance aux injonctions sociales de sa communauté et son besoin intérieur de se libérer, est rendue avec une formidable finesse qui fuit tout manichéisme facile et révèle toute la complexité d'une identité qui oscille entre construction individuelle et construction culturelle. Ainsi, le mari de Yara n'est ni stéréotypé ni mauvais. le couple partage une vraie intimité ( une douche commune le soir lorsqu'il rentre du travail ) et les mêmes souvenirs d'une enfance malheureuse. La décision que Yara aura à prendre ne se basera pas sur des défauts rédhibitoires de son mari mais sur son libre arbitre à elle, et ça c'est très réussi.
Le roman est également bien construit, révélant très progressivement, suivant un timing juste, le passé de Yara, celui de sa mère, de sa grand-mère, mais aussi de sa belle-mère, dressant ainsi de très portraits féminins qui, bien qu'ancrés dans un terroir historique singulier (la Nakba de 1948, les camps palestiniens suite à la colonisation qui a suivi la naissance de l'Etat israélien, l'exil) et une culture non occidentale, touche à l'universalité et donc à l'empathie du lecteur. Etaf Rum creuse ainsi avec sensibilité la question du traumatisme intergénérationnel dont il faut briser le cercle pour vivre libre.
Et au final, c'est l'émotion qui l'emporte : celle de découvrir cette nouvelle Yara, qu'on a vu sous nos yeux se rebeller, naître, grandir, souffrir, sourire, s'apaiser; elle est presque devenue une amie tant l'autrice a rendu palpable sa reconstruction.
Magistral !
Le silence d’Isra, la palestinienne ou le silence de toutes les femmes condamnées à la soumission, à la non existence, par la pression sociale et/ou religieuse.
1990 - Palestine – Isra a 17 ans. Elle aime lire, elle aime rêver, elle sait aussi que sa famille va lui choisir un mari. Elle espère et elle rêve. Ce sera Adam qui vit aux États-Unis, à Brooklyn. Elle espère et elle rêve : un autre pays où peut-être son mari ne la battra pas…
2008 - La voix de Deya, sa fille de 18 ans, en âge d’être mariée, qui a toujours vécue à Brooklyn. En conflit avec elle-même, avec sa famille pour trouver le sens à sa vie. Opposée à Farida, sa terrible et autoritaire grand-mère, la gardienne des traditions.
Ce livre est d’une richesse absolue car les nombreux thèmes traités le sont avec beaucoup de justesse et de profondeur.
- C’est le statut de la femme quand le poids des traditions la définit comme une servante soumise et silencieuse au service de l’homme et de la famille.
L’obéissance à tous les niveaux : aux parents, au mari, aux beaux-parents. Une mineure cantonnée au foyer, à l’éducation des enfants, au rôle de « pondeuse ». Et encore… Enfanter des garçons, oui, mais surtout pas des filles.
Une fille c’est une « balwa » (…) Mama l’avait souvent traitée de balwa, d’embarras de fardeau. »
En l’occurrence, il ne s’agit même pas ici de la pression religieuse, mais plutôt de celle des traditions, et plus encore, du souci des apparences.
Car dans la belle-famille d’Isra, les 5 prières, le Ramadan, le voile ont été jetés aux oubliettes.
- La recherche d’amour, de reconnaissance d’Isra est pathétique et s’explique par son éducation. Elle a beaucoup lu, étant petite, elle continue et cela lui permet de réfléchir sur sa vie. Et elle a honte de ce qu’elle appelle « sa faiblesse de caractère »
« La prise de conscience de sa terrible faiblesse de caractère. Lorsqu’ Adam (son mari) rentrait et lui demandait de lui servir son dîner, elle s’empressait d’obéir, et lorsque, dans leur lit, il tendait la main vers elle, elle le laissait faire, et lorsqu’il préférait la battre, elle ne disait rien, ravalant ses plaintes. »
- Naître « fille » est une honte. Tant pour ses parents, y compris sa propre mère, que pour la femme en devenir.
Et ce sentiment de honte, bien entretenu durant l’enfance, perdure.
« les femmes étaient éduquées dans la croyance qu’elles étaient des créatures honteuses et sans valeur qui méritaient d’être battues, éduquées à être totalement dépendantes des hommes qui les battaient.(…) Elle avait honte d’être une femme, honte pour elle, honte pour ses filles. »
Cette honte d’enfanter de filles sera particulièrement bien illustrée par Farida dont on apprend qu’elle a tué ses deux nourrissons, des jumelles, dès leur naissance. Plus que la honte, c’est le déshonneur.
Le pire : les mères façonnent leurs filles en ce sens : comment faire plaisir à son mari, à la famille de son mari, se soumettre. Comment s’oublier totalement pour ne plus exister. Comment être aussi malheureuses qu’elles mêmes l’ont été, comment ne pas avoir d’identité propre.
- C’est Deya, la fille d’Isra, qui incarne le mieux la recherche de sens. Elle qui a toujours vécu à Brooklyn, mais dont le poids de l’éducation est tout aussi fort que pour les générations passées. Elle souhaite intégrer l’université mais sa famille ne l’y autorise pas. La voie est tracée : le mari choisi par sa famille, les enfants…
« Souhaitait-elle remettre son destin dans les mains d’autrui ? Avait-elle une chance de réaliser ses rêves en restant dépendante du bon plaisir de sa famille ?(…) Quelle importance si ses choix s’opposaient à ceux de sa communauté ? Quelle importance si les gens se faisaient une mauvaise opinion d’elle ? Elle devait suivre sa propre voie dans la vie. »
- C’est aussi la puissance de la lecture qui ouvre l’esprit, vers d’autres horizons, d’autres possibles, tandis que le milieu familial ne cherche qu’à étouffer la voix de ces femmes. Un milieu tellement oppressant et normé que seul, le livre permet la bouffée d’oxygène, la lueur d’espoir, ou l’éventualité d’une autre vie.
Un terrible et bouleversant récit sur la condition des femmes.
Une claque !
Etaf Rum, issue d’une famille d’immigrés palestiniens, est née à Brooklyn. Elle enseigne la littérature américaine en Caroline du Nord, où elle réside avec ses deux enfants. Le Silence d’Isra est son premier roman.
Un coup de maître !
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Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Chacune des deux demeures dont il sera question est représentée dans le sablier et le lecteur sait d'entrée de jeu qu'il faudra retourner le livre pour découvrir la vérité. Pour comprendre l'enquête menée en 1939, on a besoin de se référer aux indices présents dans la première histoire... un véritable puzzle, d'un incroyable tour de force
Sanche, chanteur du groupe Planète Bolingo, a pris la plume pour raconter son expérience en tant qu’humanitaire...
Des incontournables et des révélations viendront s'ajouter à cette liste au fil des semaines !