"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une femme, dénuée de nom.
Neuf hommes qui l'ont aimée ou qu'elle a aimés et vont s'adresser à elle dans un « tu » expiatoire. Ils vont se souvenir et raconter leur histoire d'amour, leur vision de ce qu'elle a représenté pour eux. Elle, on ne l'entendra pas. Bien sûr, on apprend des choses sur sa vie : ses parents absents, sur les routes à cause du métier du père, ses grands-parents qui l'ont élevée. Enfant un peu sauvage, elle s'est muée en jeune femme impétueuse qui a une peur profonde de l'abandon et ne tient pas en place - dans cette ville sans fleuve. La ville n'est pas nommée non plus. On l'imagine, quelque part en Europe, entre l'Est et l'Ouest. Comme on la devine, elle, cette femme dont ne résonnera jamais la voix : ce sont ces hommes qui la racontent exclusivement et finissent par en dessiner un portrait fragmenté, eux, qui l'ont connue à différents moments de sa vie.
Avec Variations d'un coeur, Janice Pariat dépeint une femme dans toute sa complexité, au long d'un roman kaléidoscopique poétique et émouvant. En taisant la voix de cette femme pour laisser place à celles qui la retracent, elle pose les questions suivantes : l'intimité conduit-elle nécessairement à la connaissance de l'autre ? montre-t-on jamais toutes ses facettes à l'être aimé ?
Avis issu de : https://hanaebookreviews.wordpress.com/2019/08/19/variations-dun-coeur-janice-pariat/
Délicat, envoûtant et addictif sont les trois mots qui me viennent pour qualifier ce livre.
Si je m’attendais à une simple romance, j’ai été surprise par sa construction et par sa finesse psychologique.
Neuf hommes s’adressent à une même femme qu’ils ont aimée et connue à différents âges. L’absence de prénom et de cadre spatio-temporel peut en dérouter certains mais ils m’ont permis de fusionner avec chaque narrateur voir de m’identifier facilement dans de nombreuses situations. Chacun s’exprime avec le « tu » et, par son regard, sa subjectivité, ses émotions et ses sentiments, il nous livre un portrait fragmenté de cette femme que l’on devine belle, libre, fougueuse, quelquefois violente, irritée ou blessée d’amour.
Mais est-elle réellement mise à nue ? Peut-on reconstituer un Etre à travers les mots de ceux qui la raconte ?
Chaque facette racontée révèle un éclat différent et l’on s’interroge sur l’existence d’un lien direct entre intimité et connaissance de l’autre. S’il est rare que l’on se dévoile entièrement face à l’Autre, ne dit-on pas, aussi que l’Amour rend aveugle ?
Ce portrait kaléidoscopique m’a rappelé les portraits cubistes de Picasso. L’écriture de J. Pariat empreinte des codes du génie pictural du maître et le portrait de cette femme a le même aspect décortiqué, décomposé, ré-assemblé que ses portraits aux multiples points de vue.
A travers ces regards amoureux, j’ai été moi-même envoûtée par cette femme au visage, au corps et à l’esprit fragmentés. Je me suis même reconnue dans certains de ces visages.
Le roman interroge aussi sur la liberté amoureuse, la facilité à désirer, l’attachement amoureux et la volonté de s’épanouir en tant qu’Etre individuel.
Je l’ai lu dans une période au chamboulement sentimental important et j’ai su dès le premier chapitre qu’il allait me toucher profondément.
Émouvant et poétique, laissez-vous séduire par cette femme morcelée dont vous ne laisserez aucune miette.
Deux extraits :
« – Elle est superbe !
Je parle de la femme sur une affiche. Elle porte un soutien-gorge et une culotte en dentelle violets. Toute en courbes et douceur voluptueuse.
Tu acquiesces. Je te demande :
– Ca te plairait de la baiser ?
Tu te rapproches.
– Des tas de fois.
Certains te prendraient pour une allumeuse, mais j’ai trop d’affection pour toi. Cette perpétuelle attente, je la trouve souvent préférable. Etre constamment à l’orée du plaisir.
Peut-être est-ce le seul moyen de le brider. L’amour. Qu’il ne se concrétise jamais. Sinon, aimer se conjugue avec perdre. Et un baiser imaginé vaut une myriade de vrais baisers.
En guise de consolation. »
« -Elle est au courant ?
– Je crois, je ne suis pas sûr.
Tu poses la main sur ma joue, de la même façon que lorsque tu as parlé de la délicatesse de mes traits.
– Si tu sors avec d’autres, pourquoi restes-tu marié ?
J’observe un long silence. La question est un coup de poignard dans mon ventre, dans mon cœur. Tu le perçois et attends que je réponde. En vain. Tu romps alors le silence.
– Il y a des années, j’ai posé la même question à un autre homme… plus âgé, marié.
-Et qu’est-ce qu’il a dit ?
Le regard que tu me lances est, me semble-t-il, plein de compassion. Ca me démolit.
– Qu’il n’était pas le genre de personne qui abandonne…tu sais ce que cela signifie, n’est-ce pas ?
-Quoi donc ?
-Qu’il serait toujours celui qu’on quitte. J’étais comme ça, poursuis-tu. Une « abandonnée », pas une « abandonneuse »si le mot existe. Ce n’est plus le cas, du moins ai-je envie de le croire.
Je te demande :
-Qu’est-ce qui se passe quand on quitte les êtres ?
Tu hésites une fraction de seconde
– C’est une occasion de grandir pour les deux. »
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