"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quelles questions la Corée soulève-t-elle sur l'essence de ce qui fait la ville ? En quoi l'histoire urbaine de Séoul nous instruit-elle sur notre propre conception de la modernité ?
Pourquoi ne construirait-on pas des grands ensembles au coeur de la ville ? Et si le droit à une vue dégagée depuis son appartement était aussi important que la protection des vieilles pierres qui sommeillent au coeur des centres historiques ? Que nous dit de la société coréenne l'esthétique des villes, des corps qui les habitent aux monuments qui les structurent ? Des mégacentres commerciaux aux espaces marginaux des jardins potagers, quels sont les nouveaux lieux de sociabilité des citadins ?
Voilà quelques-unes des questions qui ont été chaudement débattues au cours des quatre journées du forum « Urbanités coréennes » tenu à la Cité de l'architecture et du patrimoine à Paris en avril 2016. À partir de onze films et documentaires, architectes, chercheurs et créateurs français et coréens ont interrogé les cultures urbaines en Corée, dans toute leur diversité.
Cet ouvrage en restitue l'essentiel sous une forme originale.
Tout comme les Anglo-Saxons publient des « lecteurs » (readers) qui sont des anthologies de ce qu'il faut avoir lu sur une thématique particulière, nous proposons ici un « spectateur » (viewer) critique des films qu'il faut avoir vu pour comprendre la ville sud-coréenne.
Avant de parler du fond, il convient de parler de la forme dans la mesure où d’une part, la qualité du travail éditorial mérite qu’on s’y attarde un instant et que d’autre part, la forme et le fond de cet essai sont intrinsèquement liés. Urbanités coréennes est le troisième ouvrage de L’atelier des cahiers que je tiens en main et le deuxième que je chronique. Et j’y retrouve ce souci de publier un livre aussi intéressant qu’agréable à lire : couverture avec rabats et un effet presque cartonné, papier épais ce qui est important pour que les différentes photos du livre ne se voient pas au verso par effet de transparence, photos de qualité, contenu enrichi avec des QR codes renvoyant à des films, des bandes-annonces, des critiques cinématographiques… Tout est mis en place pour assurer une expérience de lecture complète et immersive. La seule chose que j’ai un peu regrettée et qui m’a parfois un peu frustrée, c’est que beaucoup des QR codes ouvrent des documents qui ne sont pas traduits en français ou, au moins, en anglais.
Ensuite, ce livre est original dans sa forme puisque issu du forum cinéma-sciences sociales ‘Urbanités coréennes », organisé à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris, il propose, ni plus ni moins, que de permettre de comprendre les villes coréennes par les films. Pour ce faire, les différents participants à l’ouvrage, à travers quatre grandes parties (Séoul et la grande modernité, Un imaginaire XXL : les architectures du futur, Les coulisses de la ville verticale et Jardins secrets et marges urbaines) répondent à des problématiques en rapport avec les villes coréennes en s’appuyant sur des films qu’ils résument, et surtout analysent. Sont également rapportées des discussions issues des tables rondes organisées lors du forum.
La démarche d’utiliser les films, un média populaire non pas dans son sens péjoratif, mais dans l’idée qu’il est accessible à tous, est originale. Cela permet à des personnes non-coutumières des questions d’urbanisme, et a fortiori dans une société aussi éloignée de la nôtre que la société coréenne, de s’intéresser à ce sujet sans être complètement perdues. Cette manière, volontaire ou non, de rendre ces différentes problématiques accessibles à tous est l’un des points forts de cet essai qui, malgré la diversité et la multiplicité des sujets abordés, reste relativement abordable. J’écris relativement, car certains propos ou certaines notions m’ont parfois paru un peu abstraits…
J’ai néanmoins trouvé passionnantes les analyses des films présentés dans l’ouvrage : à partir de scènes et/ou de décors, des déplacements des protagonistes… qui n’auraient pas particulièrement marqué le spectateur lambda, les auteurs arrivent à souligner l’importance de la ville ou des lieux d’habitation en tant qu’espace géographique, mais également en tant qu’élément d’organisation des relations entre les individus. Nous nous rendons alors compte à quel point une ville peut influer sur les individus que ce soit à travers les types de constructions, leur taille (grands ensembles…), la manière dont elle favorise l’émergence de quartiers prisés par certaines catégories de population, la place laissée à la nature et aux individus dans l’espace public…
A travers cet ouvrage, les auteurs montrent également que la ville est un peu le témoin du passé et des évolutions sociétales, mais aussi politiques. En fonction du contexte politique local et national, les villes peuvent ainsi se voir repensées et réorganisées. C’est d’ailleurs révoltés que nous découvrons les conséquences néfastes de l’organisation des Jeux Olympiques de 1988 à Séoul puisque cet événement international a conduit les autorités à déloger, sans solution satisfaisante de relogement, les populations les plus pauvres. C’est que cette catégorie de population, en plus de gêner les chantiers de rénovation urbains, n’était pas forcément compatible avec l’image de modernité que le gouvernement voulait donner de la Corée. Cet exemple est l’un de ceux qui m’a le plus marquée, car il montre comment des autorités peuvent rendre presque invisibles des individus « gênants » en supprimant leurs espaces dans la ville. Il faut dire que gigantesques par leurs tailles et leurs nombres d’habitants, les villes coréennes contribuent à faire rayonner cette idée de « miracle économique coréen », une image incompatible avec les laissés-pour-compte qui n’ont pas réussi à faire de ce miracle le leur.
Sans tous les énumérer ou les détailler, cet essai aborde de nombreux autres thèmes comme la question des logements sociaux, un type d’habitats qui n’existait pas jusqu’à la fin des années 1990 puisque les Coréens étaient plutôt dans un système d’entraide entre voisins. La démocratisation du pays et les événements survenus durant les JO ont marqué une évolution dans ce domaine. D’ailleurs, les villes asiatiques et ici, Séoul étonnent par leurs capacités à évoluer rapidement, les autorités n’hésitant pas à construire et à démolir au gré des besoins. Malheureusement, les changements semblent souvent résulter de logiques financières, spéculatives et politiques, et sont loin de découler des véritables besoins des habitants. Un décalage dénoncé et combattu par Chung Guyon, un architecte maintenant décédé qui plaçait l’individu au cœur de ses projets. Bien que finalement, sa philosophie et ses enseignements aient plus marqué les esprits que ses quelques réalisations, sa manière de prendre en compte les besoins des personnes pour leur proposer des constructions qu’elles peuvent s’approprier m’a beaucoup plu et m’a semblé un moyen d’atténuer l’anonymat voire la dureté des grandes villes. Et si finalement, la vision humaniste et quasi philosophique de cet homme était le devenir de la ville coréenne voire de toutes les villes ? Faire renouer le dialogue entre les politiques, les citadins et toutes ces personnes qui construisent les villes de demain ne serait-il pas, en effet, le premier pas pour que chacun puisse enfin y trouver sa place ?
En conclusion, avec un taux d’urbanisation de 85%, on comprend aisément que la question des villes coréennes est un sujet à la hauteur de ce pays, c’est-à-dire complexe et passionnant. A travers des films coréens, leurs analyses et l’intervention de différents professionnels, les auteurs vous proposent un ouvrage qui offre une plongée dans les villes d’un pays qui demeure encore trop peu connu en France. D’un abord simple bien que parfois peut-être trop abstrait, cet essai devrait plaire aux amateurs d’architecture et à ceux qui s’intéressent à la question de l’aménagement des territoires, mais aussi aux simples curieux qui aiment à découvrir d’autres pays.
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