"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Claude Juin a fait la connaissance de Jean lors de son service militaire dans une caserne à Coblence en Allemagne. Tous deux appelés en décembre 1955, ils ont été affectés au même poste de combat en Algérie en mai 1957. Jean s'est rapide- ment montré violent avec les Algériens et a participé à des actes de torture et d'assassinat de suspects ou de combat- tants du FLN qui eurent lieu à la ferme Moll.
Ne cessant de vouloir analyser la guerre d'Algérie et rompre le silence qui pouvait l'entourer dans les années qui sui- virent sa démobilisation, Claude Juin s'est engagé dans un travail de thèse. Lors de sa soutenance, des questions sur ce qu'était devenu Jean l'ont conduit à le retrouver, et à chercher à comprendre comment il analysait ses actes, soixante aux après la guerre.
Cet ouvrage est le récit de ces retrouvailles, complété par Muriel Montagut qui analyse ce que peut recouvrir l'explica- tion de Jean qui se retranche derrière « une certaine ambiance d'alors » pour expliquer ses actes. Cette argumentation contraste en effet avec les explications habituellement avancées par les tortionnaires, qui oscillent entre l'expression de regrets et de culpabilité, et à l'opposé, l'absence de remords et le recours à des justifications de l'usage de la torture.
Dans tous les cas, le lien à l'autre est maintenu puisque autrui est sollicité pour acter la volonté de repentance, ou au contraire pour approuver les fins d'intérêts collectifs avancées pour justifier des actes commis. Ces deux voies per- mettent au sujet tortionnaire de rester intégré dans la communauté humaine malgré des actes dits « inhumains » qui tendraient à les en exclure. Aussi les explications de Jean viennent poser une véritable énigme sociologique : si les tor- tionnaires qui se sentent coupables de leurs actes passés, ceux qui fuient leur responsabilité ou à l'opposé les assument pleinement, cherchent à réinscrire leurs actes par ces différents moyens dans l'ordre moral de la communauté humaine, comment expliquer la position de Jean, qui reconnaît avoir participé à des actes de torture, mais n'exprime ni regret, ni culpabilité, et avance pour seule justification « une certaine ambiance » d'alors ?
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