"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En 1973, Michael Miller, jeune diplomate timide, se retrouve en poste à Saigon alors que les États-Unis s'apprêtent à quitter le Viêt Nam. Travaillant comme gratte-papier dans une des multiples agences de renseignement présentes dans une ville sur le point de tomber aux mains du Viêt-cong, il donne l'impression d'évoluer dans une dimension parallèle, loin de la panique et de la violence ambiantes, jusqu'au moment où Ignatius Donovan le recrute officieusement pour le compte de la CIA... Quarante ans plus tard, Michael, devenu veuf peu de temps après avoir pris sa retraite, vit dans une maison trop grande pour lui au bord de l'Atlantique. S'il replonge dans ses souvenirs, c'est qu'il va devoir, au nom du passé, accomplir pour Donovan une dernière mission, quelque part sur la frontière mexicaine. Un espion en Canaan est un roman subtil et troublant où les blessures intimes se mêlent aux désordres géopolitiques. Dans la lignée de Joseph Conrad ou de Graham Greene, David Park fait de l'espionnage cette école mélancolique des rédemptions impossibles.
Quand j'ai vu le nom de David Park dans la liste de la Masse Critique de Janvier, je n'ai pas hésité à cocher son livre, tant j'ai aimé son premier roman traduit en français : Voyage en territoire inconnu.
Et je remercie Babelio et les éditions La Table Ronde pour cet envoi.
À lire le résumé, les deux livres semblent assez éloignés. Pays, histoire, cadre, lieux, contexte, tout est différent. Et pourtant, les deux hommes, héros de chacun des romans, presque seuls même si leurs situations ne sont pas identiques, se rejoignent. Tous deux revisitent le passé, tous deux culpabilisent, tous deux pensent qu'ils doivent expier. Trouveront-ils la rédemption ? Je vous laisse découvrir la prose magnifique de l'auteur pour avoir la réponse.
Michael Miller est en poste à Saïgon en 1973. C'est le début de la fin pour les Américains. Simple gratte-papier dans une agence de renseignement, il est recruté par la CIA et va devoir accomplir certains actes qui le marqueront. Quarante ans plus tard, remis en contact mystérieusement avec celui qui l'avait recruté, Donovan, il va replonger dans ce passé et tenter d'en extraire la vérité, avant une ultime rencontre qui espère-t-il lui apportera les réponses qui lui manquent.
Un sujet, résumé ainsi, qui ne semble pas très original, mais dont la lecture m'a envoutée.
Envoutée d'abord par l'écriture splendide de David Park, toute aussi capable de faire jaillir des images sous mes yeux par ses descriptions de paysages du désert, des derniers jours de Saïgon avant le départ des américains, que d'analyser avec finesse les états d'âme de son personnage principal. Une écriture qui sait rester sobre, pas de violence exagérée, qui de mélancolique devient de plus en plus désenchantée au cours du roman. David Park ne cache pas ses sentiments vis-à-vis d'un certain occupant de la Maison Blanche.
Envoutée par les personnages, et d'abord ce Michaël, jeune gratte-papier sans beaucoup d'expérience, marqué par son éducation religieuse, pour qui le bien et le mal sont des valeurs importantes, pour qui rectitude n'est pas qu'un mot, qui va se retrouver dans cet endroit unique qu'a été Saïgon dans les derniers mois de l'occupation américaine. Il va être confronté à des situations difficiles à vivre, il subit beaucoup, se convainc qu'il n'a pas le choix, mais va aussi participer à certaines actions qu'il juge répréhensibles. Il erre dans cet environnement, très seul, malgré un ami par défaut, malgré la sympathie de quelques vietnamiens qui seront lâchement abandonnés au moment du départ, malgré la belle Tuyen qu'il n'oubliera jamais.
Si j'ai aimé ce jeune Michaël, j'ai encore plus apprécié celui qu'il est devenu quarante ans plus tard, après une belle carrière au Foreign Office et un mariage heureux mais malheureusement écourté. Il est à nouveau seul et un DVD reçu de son ancien ami au Vietnam le pousse à re replonger dans ses souvenirs et à partir dans le désert mexicain, pour peut-être obtenir certaines vérités. Il a vieilli, il a appris beaucoup de choses, il a bien vécu, mais il n'a pas tellement changé. Il est toujours celui qui se comporte bien, celui dont les valeurs sont importantes. Il ne croit plus, mais les notions de bien de de mal sont toujours aussi importantes. Et il va plus évoluer pendant ces deux jours de voyage que dans sa vie entière.
Envoutée aussi par la richesse des références qui se mêlent harmonieusement au récit. La référence biblique présente dès le titre, cette terre promise ce Canaan, cette terre où Moïse envoie ses espions, deux seulement étaient bons, lesquels sont-ils aujourd'hui ?
Et puis les références nombreuses à la littérature, et entre autres, au colonel Kurtz de Joseph Conrad, dont la relation avec Marlow rappelle celle qui s'établit entre Michaël et Donovan ; et celles qui reviennent par-ci, par-là, Michaël ayant gardé de son enfance dans les grandes plaines le goût de la lecture, seul moyen pour lui à cette époque d'échapper à cet horizon si large physiquement et pourtant si limité.
Un roman fascinant, une analyse très poussée et d'une grande justesse du caractère de cet homme, de l'évolution qui va se produire en lui, une réflexion passionnante sur ce qui nous façonne dans l'enfance et comment cela influe sur nos actes toute notre vie, un regard très juste sur le rôle de l'État et les mensonges qui y sont trop souvent attachés.
En refermant ce roman, je me suis demandée où voulait en venir l’auteur. Et puis j’ai pris le récit par la fin, et tout s’éclaire.
Canaan désigne la Terre Promise, alors pourquoi commencer avec une histoire d’espionnage dans son propre camp pendant la débâcle du Vietnam ?
Le personnage principal n’est pas le narrateur, gratte papier de la CIA dans les bureaux de Saïgon, mais son recruteur Donovan.
De Donovan, nous saurons peu de choses, si ce n’est qu’il est marié au pays mais a une liaison avec la jeune Tuyen.
J’ai aimé la logeuse de Michael le narrateur, Mme Binh qui prophétise à tous ses logés la même chose : ils ne pourront oublier le Vietnam et n’auront que des filles.
Il n’y a que deux grands mouvements dans ce roman : au Vietnam et à la frontière avec le Mexique de nos jours. Mais chaque début de partie, Michael nous raconte que lorsqu’il était enfant, il souhaitait que son père badigeonne de sang les portes pour que l’ange destructeur épargne sa famille.
Cette histoire biblique, je l’ai prise comme une volonté du peuple américain de ne pas être détruit par les hordes de migrants sensées les grands-remplacés. Une façon de se prémunir contre l’inconnu qui fait peur. Seule la méthode à changer : un mur est construit. Mais le sang est toujours versé.
Vous l’aurez compris, un roman au message politique contre une Amérique qui se barricade et qui n’accueille plus en son sein, comme elle avait déjà abandonné les vietnamiens qui l’avaient aidé en d’autres temps.
Une citation :
J’étais frappé – et je le suis encore – par la quantité d’énergie qui a dû être dépensée dans ce monde fragmenté d’intérêts divergents et de luttes de pouvoir. Que nous soyons engagés dans les dernières affres d’une guerre extrêmement coûteuse en vies humaines n’y changeait rien : il n’y avait pas d’unité en termes d’objectifs politiques ou militaires, et on laissait de fortes personnalités ainsi que des centres de pouvoir continuer à imposer une lecture des événements inspirée de leur unique point de vue ou dictée par leurs intérêts particuliers. (p.87)
L’image que je retiendrai :
Celles des documents et des vêtements brûlés sur les toits de Saïgon, entrainant des nuages de neige noir.
https://alexmotamots.fr/un-espion-en-canaan-david-park/
Un roman écrit à la première personne, donnant voix au jeune Michael Miller décrivant les derniers jours de Saïgon. Les États-Unis quittent le Vietnam, il a une vue imprenable et protégée en tant que jeune diplomate au service des agences de renseignements dans lesquelles il fait office de gratte papier. Lorsque Miller est recruté à temps partiel par l'agent Ignatius Donovan, il se retrouve plongé dans la noirceur des duperies qu'engendre la guerre. Pourtant il n'a de cesse que d'obtenir son approbation tout en voyant son estime de lui chuter. On assiste impuissant à cette roue qui tourne et broie tout sur son passage. La présence Américaine se veut sauveuse au Vietnam , en Irak ou en Afghanistan mais immanquablement cela ce fini mal avec les populations civiles en grand danger qui grossiront les « boat people » tout autant que ces images plus récentes où des hordes désespérées s'accrochent aux avions. Quarante années ont passé, on retrouve notre homme aux portes de la vieillesse tenter de se réconcilier avec lui-même toute honte bue entre rédemption et expiation.
L'écriture sans fioritures de David Park dresse un portrait sans concessions des derniers moments de la vie à Saïgon avec une force descriptive impressionnante. La fin d'une collaboration, un démantèlement qui se fait dans la trahison et l’abandon de ceux qui travaillaient pour eux.
Les personnages sont essentiellement masculins et sont des caractères en opposition entre l'innocence voir la naïveté de Miller, le côté fourbe et sans scrupules de Donovan. Pourtant tout au long du livre, tout comme dans la mémoire de Miller une femme sera toujours présente, en filigrane, la belle Tuyen au destin incertain. Un superbe roman qui offre une vision d'un monde tournant en boucle, où les murs et les barbelés sont toujours plus hauts et plus nombreux. Bonne lecture.
http://latelierdelitote.canalblog.com/archives/2024/01/22/40127495.html
De tout temps, les Etats-Unis ont eu une politique hégémonique, égrenant espions et services de renseignements aux quatre-coins du monde, principalement dans les pays en conflit afin d’analyser et pouvoir tirer partie de la situation.
Mickaël (Mickey) Miller, le héros du livre de David Park dans un espion en Canaan, passe son enfance américaine avec sa famille dans les Grandes Plaines (partie médiane du pays), de souche irlandaise il a une éducation presbytérienne très stricte et un attrait pour la littérature française.
De sa jeunesse, il se rappelle cette chanson récitée lors d’une cérémonie religieuse du dimanche :
Douze espions sont partis en Canaan*
Dix étaient méchants et deux étaient bons
Les Uns ont vu se dresser des géants
Et des grains de raisin tomber des sarments
D’autres ont vu Dieu partout présent
Dix étaient méchants et deux étaient bon
*Terre promise, située le long de la rive orientale de la Méditerranée
Sans aucun doute, il veut être l’un des deux bons. Rien, pourtant, ne prédestinait Mickey à devenir espion, hormis peut-être le fait qu’il soit polyglotte. En 1973, il se retrouve en poste dans un Saïgon en ébullition juste avant le repli des américains.
Petit intermède historique : la fin de la guerre d’Indochine, opposant l’Union française au Viet Minh (soutenu par le bloc de l’est communiste), se ponctue par la défaite de Diên Biên Phu (1954) et la partition du territoire vietnamien en deux états la république démocratique du Vietnam (Nord Vietnam soutenue par la Chine et les Soviétiques) et le Sud Vietnam. S’en suit une situation insurrectionnelle latente au Sud Vietnam poussant les Etats-Unis à créer un groupe de conseillers et d’envoyer des troupes militaires pour gérer la situation et voir son évolution. Le Nord Vietnam engage des manœuvres pour réunifier le pays et s’appuie sur le FNL (Front de libération du Sud Vietnam également appelé Viêt-Cong).
Le Saïgon, capitale du Sud Vietnam (aujourd’hui Ho Chi Minh Ville), de notre héros en cette année 1973 se trouve, donc, particulièrement agité. Mickey est un rouage de second ordre, il reçoit des documents de diverses sources, les analyse et les transmet aux autorités compétentes. Il fait la connaissance de Corley Rodgers sorte d’écrivain propagandiste louant les bienfaits de la présence américaine, arrivé deux ans auparavant, présence qui le rassure. Et bientôt, il est recruté par Ignatius Donovan, analyste sénior pour la C.I.A. d’origine irlandaise comme Mickey. Lors d’une de ses missions, il fait la connaissance d’une famille de collaborateurs Vien et Quyen tenanciers d’un restaurant et de Tuyen, leur fille, qui ne laisse pas indifférent Mickey.
Le temps passe à diverses petites missions, mais la panique et la violence montent. Il faut évacuer Saïgon, c’est un peu chacun pour soi, les documents sont brûlés, des avions, des hélicoptères sont affrétés pour exfiltrer les ressortissants américains mais rien n’est prévu pour les locaux qui se sont ralliés à leur cause.
Quarante ans plus tard, nous retrouvons Mickey dans sa vaste maison sur la côte ouest des Etats-Unis. Recontacté par Corley, Mickey sera poussé à retrouver Ignatius reclus dans un ranch du désert de Sonora à la frontière avec le Mexique pour une dernière mission, sorte de rédemption.
J’ai bien aimé ce roman particulièrement bien écrit, ce questionnement incessant de Mickey sur sa place dans le monde, sur ce qui est bien, ce qui est mal. Au départ fier de servir sa nation, il s’aperçoit que l’Etat est une machine à broyer l’existence du particulier, qu’il conditionne ses actions au détriment de sa foi dans le droit chemin. Cette dernière mission sera une revanche sur leurs destins, une transgression pour sauver leurs âmes.
Remerciements aux Editions de la Table Ronde qui m’ont permis cette lecture.
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