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Il y a d'abord les carnets à dessin de Walid Taher qu'il remplit de façon compulsive sur des thèmes libres et qu'il nous montre à chaque retrouvaille. Au printemps 2023, Walid Taher déclinait les montagnes et leur donnait des noms : nous en avons fait un livre au titre et aux poèmes tout simples, Les Montagnes (Le Port a jauni, avril 2024). À l'automne 2023, Walid Taher remplissait des carnets sur le temps qui passe, la fugacité des heures, les visages et les montres, les horloges et les bateaux, les passants dans la rue, les chiffres et les aiguilles : une déclinaison sur l'existence, le collectif et l'éphémère.
Walid Taher ne se pose jamais la question du dessin « publiable », des bords perdus, de la qualité du papier, de sa transparence, des matières impossibles à scanner... Il remplit de dessins ses carnets au papier de qualité médiocre, de petit format, jusqu'au bord des pages, à ras bords et quand un carnet est fini, il le confie au Port a jauni !
Et là, nous commençons à réfléchir ensemble...
Pour cette série de dessin, un poème nous est apparu comme une évidence, car lui aussi parle du temps qui passe, et il attendait ses images !
Avant les dessins de Walid Taher, il y a en effet un poème : Tant de temps, que Bernard Friot nous a confié depuis plusieurs années. Tant de temps commence et finit comme un jeu de mots homonymes.
---Tant de pierres.
Temps des pierres.
---Tant, tant de temps.
Pour les temps des temps.
On aurait pu en rester là, tant de jeux de mots à faire sur le temps !
Mais la ritournelle se diversifie et le rythme s'intensifie. Le poème devient plus complexe, il explore le temps des hommes, tant de jours et temps des nuits. Il plonge dans les chemins de vies, les cris, les corps, tant de joies et temps des guerres. Il y a quelque chose de dramatique soudain, on sent le temps qui presse, il reste tant à vivre, une tension s'installe, on passe par le temps des hivers glacés, et des loups affamés, et du silence qui ouvre ou ferme le poème.
Il y a tant à comprendre dans ces jeux de mots sur le temps.
Les dessins de Walid Taher et le poème de Bernard Friot n'ont pas été faits ensemble, mais pourtant ils étaient faits l'un pour l'autre. Nous n'avons eu qu'à trouver le rythme graphique du livre, en jouant sur la transparence des pages, qui relie le temps et le poème, le dessin et son carnet.
Et puis, il y a eu la traduction : comment rendre ces jeux de mots du français vers l'arabe ?
Golan Haji a pris son temps : il y a tant de mots en arabe pour dire le temps !
Zaman, dahr, waqt, kharîf, 3asr, joulba, sabt, sabât, fatra, 3ajoûz... sont autant de nuances d'intensité, de moments de la journée, de saisons. Certains de ces mots sont usités aujourd'hui, d'autres sont anciens et plongent dans les origines de la langue arabe. La traduction de Golan Haji est savante et ludique : il joue avec chacun de ces mots pour retrouver un rythme et un sens pour chaque duo de vers. Il explore un genre poétique arabe ancien nommé al-jinas qui utilise le principe des racines arabes pour les intervertir et jouer avec les sons, les allitérations.
« Pour la poétique arabe du moyen-âge, l'allitération (al-jinas) consiste à répéter dans un vers la même ou les mêmes syllabes, ou encore des mots ayant une même racine. C'était un jeu qui dotait quelquefois le vers d'une certaine harmonie, mais qui, le plus souvent, conduisait à la cacophonie ! Ce qu'on est accoutumé à appeler aujourd'hui « harmonie imitative » est une idée fort nouvelle » écrit Amjad Trabulsi dans une thèse consacrée à La critique poétique des Arabes jusqu'au Ve siècle de l'Hégire (XIe siècle de J.C.), Ifpo, Damas, 2014.
Donnons un exemple simple de ce jeu autour des trois lettres H-r-b : on retrouve ces lettres dans les mots Harb, la guerre, Hibr, l'encre, baHr, la mer, ribH, le profit, raHiba, accueillir. L'art du jinas est d'écrire un poème intégrant tous ces mots aux consonnes inversées !
Dans sa traduction de Tant de temps, hadrou-d-dahr, et dans tous les poèmes du recueil, Golan Haji joue sur ce même principe dans une composition poétique virtuose en arabe contemporain !
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