"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La fin du marxisme en tant qu' « horizon de notre temps » a ouvert une période souvent appelée « postmoderne » caractérisée par une prolifération d'approches ayant souvent en commun une défiance envers toutes les formes de totalisation, en raison d'un lien supposé avec le totalitarisme. Cette période couvre approximativement les années 70 à 2000. On observe alors un attrait renouvelé de la synthèse, pour diverses raisons : l'expérience totalitaire n'est plus aussi centrale, pour les nouvelles générations ; la multiplication des approches et la déconstruction généralisée a aussi fait perdre le sens global de notre époque, débouchant sur ce qu'Alain Caillé a appelé le parcellitarisme ; l'émer- gence des anciens pays en développement sur la scène internationale apporte un regard neuf et partiellement extérieur à l'Occident mettant en lumière ce que cette zone culturelle a de particulier, mettant à mal l'universalisme revendiqué.
Un travail antérieur sur l'écologisme nous avait amené à questionner l'enjeu de l'émancipation sous un angle décalé, par rapport aux deux grandes idéologies de référence en la matière que sont le libéralisme et le marxisme. Nous avions en particulier mis l'accent sur le rapport ambigu entre science et religion. Les écologistes accusent les modernes de religio- sité et de foi dans le progrès, et en retour les modernes accusent les écologistes de comportement religieux. La question s'était déjà posé à propos du marxisme : est-il une foi ? Comment peut-il être à la fois une foi et une science ? N'est-ce pas plutôt le libéralisme qui entretient une confiance toute religieuse dans son ordre propre (thème du fétichisme) ?
Nous avions été à esquisser un cadre théorique s'appuyant principalement sur Sartre et Whitehead, principalement la Critique de la Raison Dialectique (1960) et Processus et réalité (1929), avec quelques autres auteurs comme Serge Mos- covici ou Ernesto Laclau.
Le projet de ce nouvel ouvrage est à la fois de proposer un bilan synthétique de la question de l'émancipation, à l'époque de la mondialisation et de la crise écologique. Il procède en trois étapes : un bilan du libéralisme, dans sa critique du conservatisme (thèse) ; un bilan des marxismes et post-marxismes, dans leur critique du libéralisme (antithèse) ; et une troisième partie de synthèse, se situant dans le prolongement théorique de l'ouvrage sur l'écologisme, où nous proposons de réarticuler des concepts tels que religion, politique, science, culture et sacré, afin d'éclairer d'un jour nouveau la question de l'émancipation.
Notre analyse tourne autour de la difficulté que rencontrent les sociétés à maîtriser ce que Sartre appelle le quasi-souverain, qu'il faut entendre au sens général d'une asymétrie entre individus, quant à la praxis. Le quasi-souverain est « le pouvoir », au sens commun du terme. Il se manifeste par sa capacité d'engendrer « l'obéissance » ou plus simplement de bloquer les alternatives à la synthèse qu'il propose - ou impose. Nous soutenons qu'il s'agit de la forme générale de l'alié- nation, dont le conflit entre capital et travail est un cas particulier. Nous proposons une réinterprétation de différents concepts : autorité, communauté, domina- tion, pouvoir notamment. Les conclusions auxquelles nous aboutissons rejoignent Gramsci et d'autres pour qui l'émancipation réside dans le fait d'agir en vérité, cette vérité étant ce qui fait autorité, collectivement, et génère un ordre concret qui est celui de la liberté.
Quels sont les enjeux ? Ils sont nombreux, citons-en quelques-uns :
- la mise en évidence de la centralité et en même temps de l'ambiguïté de ce que Sartre appelle le « quasi-souverain », habituellement qualifié de « pouvoir », fournissant une nouvelle interprétation de la « servitude volontaire » ;
- une définition précise des rapports entre science comme domaine de l'expérience et au moins trois manières de comprendre le religieux, suggérant quelques explications concernant le caractère inévitablement millénariste des mouvements révolutionnaires (la raison doit errer pour être créatrice) ;
- insistance notamment sur la Philosophie de la Nature de Hegel, en tant qu'elle porte le moment romantique de la création radicale (« divine »), et non pas le moment du déterminisme comme on le pense trop souvent en sciences humaines ;
- l'ouvrage montre l'ambiguïté de la science, qui peut être émancipatrice mais aussi castratrice, en tant que l'expérience, c'est aussi le passé, qui nie qu'il puisse y avoir création véritable (pas de « miracle », « there is no alternative », répétition du même cadre, qui discipline le changement) - la réhabilitation d'une sorte de droit à l'expérimentation tous azimuts, contre les pensées « réactionnaires de gauche » ou d'extrême-gauche, dont les pratiques autoritaires ne sauraient être émancipatrices ;
- une réinterprétation du totalitarisme et des dérives post-révolutionnaires, sans condamnation des luttes révolutionnaires (au contraire) ; une réinterprétation des différentes positions marxistes, entre le 19e et le 20e siècle, par rapport à la « prise de pouvoir », leurs forces et leurs faiblesses ;
- une ontologie sociale postmoderne mais pas relativiste, ou plus exactement a-moderne, tiers- mondiste, prenant acte de la sociologie des sciences, des théo- ries de la reconnaissance, de la lutte des classes mais articulant de tout dans un cadre conceptuel unique. C'est une partie d'un travail plus large étayé notam- ment sur une connaissance de l'Inde qui reste implicite dans cet ouvrage mais sera explicité dans un autre à venir sur Louis Dumont (rédaction largement achevée) ;
- une explication du recours constant, en philo politique, à l'état de nature ;
- identification du conservatisme, qui est le véritable adversaire de l'émancipation, le libéralisme pouvant être un allié de circonstances (le libéralisme pouvant aussi être conservateur).
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